[Au tribunal] Utilisation de bonne foi des clauses contractuelles

4 août 2021
Par Tania L. Pinheiro, avocate, Miller Thomson

Un donneur d'ouvrage peut parfois ne pas remplir son obligation d'information ou abuser de ses pouvoirs dans le cadre d'une clause de modification.

Le 10 mars 2021, la Cour supérieure rendait un important jugement dans le dossier BPTH et BPYA c. le CHUM[1], piloté par l’équipe de droit de construction de Miller Thomson. La Cour a conclu que les modifications apportées par le CHUM au mandat des architectes et ingénieurs dépassaient ce que permettait la clause de modification contenue au contrat. De plus, le CHUM a fait preuve de mauvaise foi institutionnelle et son comportement envers BPTH et BPYA constituait un abus de droit et un manquement à son obligation de renseignement.

Faits

Dans cette affaire, les consortia d’architectes (BPYA) et d’ingénieurs (BPTH) avaient conclu des conventions de services avec le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) à titre d’équipes-maîtres en architecture et ingénierie mécanique‑électrique pour la réalisation du projet de construction du nouvel hôpital CHUM. Dans les documents d’appel d’offres, le CHUM avait annoncé que le projet pourrait être réalisé en mode conventionnel ou en mode PPP (partenariat public-privé); la décision n’était pas encore prise. Néanmoins, dans l’un ou l’autre des cas, les documents d’appel d’offres et les conventions de services prévoyaient que les mandats de BPTH et BPYA comprendraient la conception du projet, la confection des plans et devis préliminaires et la responsabilité du contrôle des couts, de l’échéancier, de la qualité et du contenu des travaux. Ces tâches constituaient des éléments essentiels du contrat.

 

En cours de projet, le CHUM a décidé de retenir le mode d’exécution PPP pour les travaux. Utilisant ce prétexte et contrairement aux conventions de services, le CHUM a unilatéralement modifié le mandat de BPTH et BPYA et leur a retiré les éléments essentiels ci-dessus mentionnés pour les transférer aux professionnels mandatés par le partenaire privé retenu par le CHUM.

 

Par ailleurs, malgré cette atrophie et amputation de leur mandat, le CHUM a refusé de libérer les professionnels des importantes contraintes imposées par leurs contrats, à savoir des clauses d’exclusivité, d’assignation exclusive de personnel clé sénior sur le projet et des taux horaires réduits et préférentiels. Ces contraintes, favorables au CHUM, empêchaient ainsi les professionnels de soumissionner sur d’autres projets.

 

Jugement

En défense, le CHUM invoquait deux principaux arguments afin de justifier les modifications apportées, soit que celles-ci constituaient une résiliation partielle du mandat, permise par le contrat et par l’article 2125 du Code civil du Québec. Or, le juge rejeta cet argument. En effet, considérant qu’après l’imposition de la réduction de leurs mandats, BPTH et BPYA ont continué de fournir des services dans le cadre du projet, il ne pouvait s’agir d’une résiliation, mais plutôt d’une modification au contrat.

 

Subsidiairement, le CHUM justifiait la réduction imposée par la présence d’une clause de modification contenue au contrat. Cette clause prévoyait que « le CHUM pourra[it] décider de l’opportunité de confier une partie du mandat de l’équipe maître d’architecture [et d’ingénierie mécanique-électrique] à un tiers, à n’importe quelle étape du projet, y incluant pour la surveillance des travaux. » Or, selon le contrat, un changement était ainsi défini :

 

« Changement » : Augmentation, suppression ou toutes autres révisions qui modifient l’ouvrage sans affecter fondamentalement la portée générale du contrat, à condition d’avoir fait l’objet d’une approbation préalable du CHUM et du Directeur exécutif.

 

Selon la Cour, la clause de modification ne permettait pas au CHUM de dénaturer et réduire à ce point la portée des mandats de BPTH et BPYA, et ce, puisque la clause limitait toute modification à un changement de nature secondaire, accessoire et non fondamentale.

 

Or, dans les faits, la Cour conclut que le CHUM a unilatéralement « modifi[é] de fond en comble [les] conventions de services et [en a] amput[é] le cœur, y compris les éléments décrits dans les contrats comme étant “les facteurs essentiels et même l’essence” de celles‑ci[2]. » En termes d’heures de travail, ces modifications représentaient une réduction du mandat de BPYA de 71 % et celui de BPTH de 66 %[3].

 

Alors que BPTH et BPYA devaient être les « équipes-maîtres » chargées de la conception du projet, la transformation des conventions de services a modifié en profondeur le rôle et la charge des professionnels et leur mandat fut réduit au rôle de simples accompagnateurs et conseillers des professionnels internes du CHUM[4].

 

Au regard de l’application abusive de la clause de modification, la Cour taxe la conduite du CHUM de « mauvaise foi institutionnelle[5] ». La Cour a également conclu que le CHUM a abusé de ses droits contractuels en insistant sur le strict respect des contraintes contractuelles imposées à BPTH et BPYA malgré la réduction substantielle de leurs mandats.

 

De plus, le juge a conclu que lors de l’élaboration des documents d’appel d’offres et même lors de la signature des conventions de services, le CHUM contemplait toujours la possibilité que la conception du projet et la responsabilité des couts, de l’échéancier, de la qualité et du contenu des travaux soient confiées aux professionnels du partenaire privé, et ce, contrairement à ce qui était indiqué dans les conventions de services. Le CHUM savait que les mandats de BPTH et BPYA allaient être réduits, voire transférés à des tiers, et il ne les a pas informés, manquant ainsi à son devoir d’information et de collaboration. À cet égard, la Cour taxe la conduite du CHUM de « mauvaise foi manifeste[6] ».

 

Selon le juge, « en violant ses obligations de renseignement et de collaboration envers BPYA et BPTH et en leur imposant des refontes unilatérales transformant les conventions de services initiales, le CHUM a piégé BPYA et BPTH[7] ».

 

Le juge accorde donc la somme globale et combinée de 19 M$ à BPYA et BPTH représentant les pertes de profits escomptées sur les conventions de services.

 

Conclusion

Ce jugement rappelle les principes fondamentaux qui gouvernent toute relation contractuelle, particulièrement dans le cadre de projets de construction, à savoir l’obligation de renseignement qui incombe au donneur d’ouvrage et l’utilisation de bonne foi des clauses contractuelles, comme envisagé par les parties lors de la signature du contrat.

 

L’équipe de droit de la construction de Miller Thomson est fière d’avoir représenté les intérêts de BPTH et BPYA dans le cadre de ce dossier et remercie toutes les personnes impliquées pour leur confiance.


1. Birtz Bastien Beaudoin Laforest Architectes c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal, 2021 QCCS 795 (Jugement en ligne)

2. Jugement, para. 179.

3. Jugement, para. 11.

4. Jugement, paras. 11 et 515.

5. Jugement, para. 522.

6. Jugement, para. 582.

7. Jugement, para. 617.


 

Pour questions ou commentaires, vous pouvez joindre Me Tania L. Pinheiro par courriel à tpinheiro@millerthomson.com ou par téléphone au 514 879-2115.

 

Miller Thomson avocats

 

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Cet article est paru dans l’édition du 22 juillet 2021 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.