La « fin des travaux » survient avant les travaux de la fin

20 juin 2013
Par Me Anik Pierre-Louis

Se faire payer pour des travaux de construction n’est pas toujours chose simple. Ainsi, la loi prévoit l’existence d’une hypothèque légale au bénéfice des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble. Une telle hypothèque existe d’elle-même par le simple effet de la loi. Mais pour la conserver, il faut procéder à une inscription dans un délai de 30 jours suivant la « fin des travaux », faute de quoi, l’hypothèque ne peut survivre. Or, la prudence et la proactivité sont de mise lorsqu’il s’agit d’inscrire une hypothèque légale puisque la « fin des travaux » peut survenir même si les travaux correctifs ne sont pas encore réalisés. C’est ce qu’a malheureusement appris un sous-entrepreneur à ses dépens dans un cas récent devant la Cour du Québec (Centre sportif Rouville inc. c. Miroirs Laurier ltée, 2013 QCCQ 1882 (CanLII)).

 

Les faits

Afin de procéder à la rénovation de l'aréna qu'elle exploite, Centre sportif Rouville inc. (ci-après « Rouville ») octroie un contrat de construction à Lampron Sport inc. (ci-après « Lampron ») pour procéder au remplacement des bandes et baies vitrées de la patinoire. Pour ce faire, Lampron engage Miroirs Laurier ltée (ci-après « Laurier »), une entreprise spécialisée dans les baies vitrées. Fait important à souligner, aucun plan ni devis régissant les travaux n'a été réalisé, pas plus qu'un contrat précisant les travaux à exécuter n'ait été rédigé.

 

Les travaux de Laurier s'entament le 6 juin 2011. Le mois suivant, Laurier envoie son avis de dénonciation des travaux à Rouville, tel que doit le faire un sous-traitant à l'égard du donneur d'ouvrage pour pouvoir inscrire une hypothèque légale et ainsi protéger sa créance. Advenant que Lampron, l'entrepreneur, fasse défaut de payer Laurier, le sous-contractant, ce dernier pourra réclamer le solde à Rouville, le donneur d'ouvrage, par voie d'hypothèque légale.

 

Ce qui devait arriver arriva. Dès l'automne 2011, Lampron éprouve des difficultés financières et ne paie pas Laurier pour les travaux réalisés. Le 25 novembre 2011, Laurier enregistre alors un avis d'hypothèque légale. Puisqu'un tel avis doit se faire dans les 30 jours de la fin des travaux, Rouville tente de démontrer que le délai pour ce faire est expiré et que l'inscription d’hypothèque légale publiée par Laurier est invalide.

 

Rouville soutient que les travaux sont complétés en date du 16 septembre 2011. Le sont-ils réellement ? Certes les baies vitrées sont installées et la patinoire est fonctionnelle, mais il existe une importante fuite d'eau qui s'échappe de la bande à plusieurs endroits. Les travaux d'étanchéité sont complétés uniquement l'année suivante, soit à l'été 2012. Laurier argumente donc que la fin des travaux coïncide avec l'accomplissement de ces travaux à l’été 2012 pour colmater les fuites.

 

La décision

La question cruciale à laquelle doit répondre le tribunal est la suivante : à quelle date survient la fin des travaux ? Est-ce au moment où toutes les baies vitrées sont installées ou plutôt est-ce lorsque les travaux d'étanchéité sont complétés ?

 

Il faut rappeler que dans le cas qui nous occupe il n'existe aucun devis, plan ou contrat qui détaille l'étendue des travaux à réaliser. Ainsi, le tribunal doit s'en remettre à la définition légale de « fin des travaux », soit « lorsque l'ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l'usage auquel on le destine » (Article 2110 du Code civil du Québec.). En l'occurrence, la patinoire servait au patinage, aux cours de hockey ainsi qu'à la compétition de hockey élite. Situons-nous en date du 31 juillet 2011. Les travaux de confection de la glace sont terminés, mais il reste 34 baies vitrées à installer. Le patinage et les cours de hockey peuvent reprendre, mais la compétition de hockey ne peut se faire sans que ne soient installées toutes les baies vitrées. Selon le tribunal, les travaux ne sont donc pas complétés.

 

Par contre, la situation est différente le 16 septembre 2011. Bien que le joint d'étanchéité ne soit pas complété, toutes les baies vitrées sont installées. La saison de hockey compétitif peut donc reprendre tel que prévu, ce qui permet à l'ouvrage de servir à l'usage auquel il était destiné. Puisque l'avis d'hypothèque légale est publié le 25 novembre 2011, soit plus de 30 jours suivant la « fin des travaux », il n'est pas valide et l'hypothèque en faveur du sous-entrepreneur Laurier est éteinte.

 

En concluant de la sorte, le tribunal applique le principe à l’effet que les travaux correctifs ne retardent pas l’arrivée de la « fin des travaux ». Puisqu'aucun plan, devis ou contrat descriptif des travaux n'existe, les travaux sont considérés comme terminés bien qu'ils demeurent à parfaire. La situation aurait pu être différente si de tels travaux d'étanchéité avaient été détaillés parmi les travaux à effectuer. La prudence est donc indiquée en l'absence de description claire d'étendue des travaux, et rien n’empêche une personne ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble d’inscrire une hypothèque légale avant même la « fin des travaux ». Bref, mieux vaut inscrire que languir !

 

Conclusion

Somme toute, la date de « fin des travaux » se détermine selon les faits propres à chaque projet de construction. En l'absence de description des travaux, la question peut devenir épineuse et lourde de conséquences pour l’entrepreneur. En effet, en l’absence de plans et devis précis, la « fin des travaux » survient dès que l'ouvrage peut servir aux fins auxquelles il est destiné. L'inscription de l'hypothèque légale doit donc se faire dès que l'essentiel de l'ouvrage est complété pour éviter de se retrouver dans la situation frustrante de Laurier. Pour une plus grande assurance, il est judicieux de détailler l'étendue des travaux à effectuer dès la conclusion du contrat de construction ou, du moins, de définir l’usage auquel est destiné l’ouvrage.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372 ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com.

Miller Thomson avocats

 

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 14 juin 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !