Responsabilité de l'entrepreneur : comment minimiser les risques

3 avril 2024
Par Isabelle Pronovost

Les risques lorsqu’une méthode de travail ou un équipement sont imposés par un donneur d’ouvrage sont parfois nombreux. Heureusement, des précautions peuvent être prises avant et pendant les travaux pour minimiser la responsabilité de l’entrepreneur en cas de problème.

Dans le cadre d’un projet de construction, certains donneurs d’ouvrage imposent à l’entrepreneur des méthodes de travail ou des équipements spécifiques. Il peut s’agir d’utiliser un marteau-piqueur pour creuser le roc plutôt que du dynamitage ou d’intégrer un système de refroidissement précis dans un aréna. Ces méthodes et équipements — et la responsabilité qui vient avec — peuvent être transférés à l’entrepreneur de différentes façons.

 

Par exemple, le donneur d’ouvrage peut conclure un contrat avec un fournisseur et le céder ensuite à l’entrepreneur, qui se fait ainsi imposer un sous-traitant. Sinon, il peut exiger, dans l’appel d’offres, un équipement spécifique que l’entrepreneur est libre de se procurer auprès du fournisseur de son choix. Ou bien, le donneur d’ouvrage achète lui-même l’équipement afin de le donner à l’entrepreneur.

 

Me Maxime Cantin, associé principal chez Norton Rose Fulbright. Crédit : Norton Rose Fulbright

 

Peu importe le cas de figure, il est essentiel que l’entrepreneur comprenne les implications qui découlent de ce transfert, car les risques sont nombreux : équipement qui ne fonctionne pas ou n’a pas la bonne capacité pour le projet, qui s’use trop rapidement ou brise trop fréquemment, qui n’est pas livré à temps ou au contraire trop tôt. « Et l’enjeu de ces situations-là, c’est que le fardeau de déterminer ce qui cause la problématique avec l’équipement spécifié repose tout le temps sur les épaules de l’entrepreneur », indique l’avocat Maxime Cantin, associé principal chez Norton Rose Fulbright.

 

Des risques financiers importants

L’avocat spécialisé en droit de la construction explique qu’en vertu du Code civil du Québec, l’entrepreneur qui fournit un bien (même s’il ne l’a pas choisi en amont) a la même responsabilité que le vendeur dudit bien, lequel doit fournir une garantie légale en matière de vices cachés. Si un bien fait défaut, il y a présomption de vice. Dans pareil cas, le fardeau de la preuve reposera sur les épaules de l’entrepreneur, qui devra soit se tourner vers le fournisseur, soit démontrer que l’équipement a été mal sélectionné au départ. Une démonstration qui peut engendrer des frais, notamment pour l’embauche d’experts pour faire la lumière sur la question.

 

Eric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec. Crédit : Photographes commercial

 

Autre risque financier : celui de ne pas pouvoir livrer un projet, et donc de ne pas être payé, si un élément n’est pas opérationnel. « Imaginez, vous faites un hôpital, vous installez un système de ventilation qui a été déterminé et acheté par le client, puis il ne fonctionne pas. Vous ne pouvez pas livrer l’hôpital parce que vous devez livrer l’hôpital fonctionnel. Donc, les garanties que vous aviez auprès du client ne sont pas honorées. Finalement, vous allez sombrer avec ce projet-là », illustre Eric Côté, président-directeur général à la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ).

 

Des précautions à prendre en amont

Selon Maxime Cantin, il existe des façons de réduire les risques, dont certaines s’appliquent avant même la signature du contrat. En phase de soumission, il est important de poser des questions au donneur d’ouvrage s’il y a un doute quant au produit exigé. Ces interrogations pourraient amener le concepteur à remettre en question ses choix. S’il ne le fait pas, l’entrepreneur pourra faire valoir en cas de problème qu’il avait identifié cet enjeu et que ce dernier a été ignoré. L’entrepreneur doit aussi s’assurer que le fournisseur du produit exigé est bien au fait des conditions projetées d’utilisation en lui transmettant toute l’information pertinente, voire le devis complet. Par exemple, les pompes requises seront-elles assez puissantes pour faire fonctionner une usine d’épuration des eaux de cette envergure ?

 

Le fournisseur doit être tenu aux mêmes obligations que l’entrepreneur par rapport au produit. Toutes les conditions et garanties auxquelles il est soumis devraient notamment être incluses dans le bon de commande. Finalement, si l’entrepreneur a le choix du fournisseur, il doit s’assurer que ce dernier a un établissement au Québec ou au Canada, ce qui facilitera les recours en cas de litige. L’avocat ajoute qu’en cas d’hésitation par rapport à un équipement imposé, il n’est pas idéal de proposer un produit similaire. « Quand tu as suggéré un produit équivalent, oui tu peux toujours dire aux professionnels qu’ils l’ont approuvé. Mais ça reste un produit que tu as toi-même suggéré, donc je dirais que le fardeau est plus difficile à renverser », précise-t-il.

 

Des recours en cas de problème

Parfois, même si de multiples précautions ont été prises avant la signature du contrat, il peut arriver que des pépins surgissent pendant les travaux. Dès que survient un problème avec un produit spécifié, l’entrepreneur doit aviser le fournisseur et l’impliquer dans la recherche de solutions ; après tout, c’est lui le spécialiste de son produit ! De son côté, il doit rester proactif et rechercher toute l’information pertinente en lien avec la problématique.

 

À éviter : résoudre lui-même le problème, même s’il a une vaste expérience en conception ou que le donneur d’ouvrage sollicite son avis. « Quand c’est un contrat de construction et d’exécution, l’entrepreneur doit s’en tenir à l’exécution et à la réalisation. Il ne doit pas mettre son chapeau de concepteur, même si c’est tentant. Il fait juste mettre, malheureusement, un peu le bras dans le tordeur », insiste Félix-Antoine Morin, avocat sénior chez Norton Rose Fulbright.

 

Me Félix-Antoine Morin, avocat senior chez Norton Rose Fulbright. Crédit : Norton Rose Fulbright

 

Enfin, l’entrepreneur ne doit pas oublier d’aviser son courtier d’assurance, et ce, le plus rapidement possible parce qu’il y a des délais à respecter. L’assureur pourrait couvrir les frais d’avocat en cas de litige ou verser une indemnité à l’entrepreneur. Les deux spécialistes en droit de la construction estiment aussi qu’il est utile de consulter ses avocats, ne serait-ce que pour obtenir des conseils, savoir quels avis envoyer à qui et quelles garanties de l’industrie utiliser. Dernière recommandation des experts : documenter le dossier, par exemple fournir les feuilles de temps des ouvriers qui doivent travailler plus d’heures que prévu pour régler un problème. « Il n’y a pas de recette miracle : documenter, documenter, documenter ! », conclut Félix-Antoine Morin.

 

UN IMPACT SUR LA QUANTITÉ DE SOUMISSIONS REÇUES

Le PDG de la CEGQ fait remarquer que le transfert de responsabilité est « un facteur de désintérêt des entrepreneurs ». Il mentionne à cet égard une étude publiée par Raymond Chabot Grant Thornton en avril 2021 qui révèle qu’en « raison de l’effervescence actuelle des marchés de la construction, 72 % des entrepreneurs et 82 % des professionnels se permettent d’écarter les donneurs d’ouvrage publics en fonction des conditions qu’ils offrent ». Les municipalités seraient les grandes perdantes de la baisse d’intérêt des entrepreneurs. Parmi les causes soulevées par les répondants ? Des clauses contractuelles peu attrayantes, incluant notamment un partage inéquitable des risques.