[Au tribunal] Le BIM et l’avenir du contrat de construction

8 novembre 2018
Par Me Alexia Magneron, Sociétaire et Me Lampros Stougiannos, Associé, Miller Thomson

Au cours des dernières années, l’industrie de la construction a grandement réinventé ses pratiques d’affaires, logiciels et technologies. Le recours accru à la modélisation des données d’un bâtiment (plus connu sous le nom de BIM – Building Information Modeling) en est la preuve.

En parallèle, la technologie des contrats intelligents s’est développée. Ces deux technologies ont le potentiel de changer non seulement la façon de planifier, de concevoir et d’exécuter les projets de construction, mais également de changer le contrat de construction lui-même.

 

BIM : l’avenir de la collaboration

Les logiciels BIM permettent de créer et de gérer des modèles 3D numériques pour les fins d’un projet de construction, rendant ainsi possible une représentation numérique des dessins de conception et l’intégration au sein du modèle BIM de tout élément d’information relatif au projet. De plus, le BIM permet aux participants associés à un projet d’effectuer des simulations 4D et évolutives dans le temps, ce qui rend alors possible le séquençage et l’optimisation du calendrier du projet de construction

 

À l’heure actuelle, il est rare que tous les participants associés à un projet de construction travaillent sur un modèle BIM unique. Ils partagent plutôt, avec les autres intervenants, des modèles propres à leur domaine d’activité et les mettent ensuite en commun. Il n’en reste pas moins que pour beaucoup d’intervenants dans l’industrie, l’utilisation du BIM en tant que modèle unique représente l’avenir des projets de construction. Dans un futur proche, les entrepreneurs et les professionnels engagés dans un projet de construction auront accès à un modèle BIM unique qui représentera le projet dans son intégralité. Maître d’ouvrage, entrepreneur principal, sous-traitants et fournisseurs pourront alors consulter ce modèle unique librement et en toute transparence, et y apporter les changements voulus, dans la mesure où ceux-ci sont autorisés, créant ainsi une plate-forme collaborative au projet de construction. En théorie, cette approche favorisera l’échange d’information et la collaboration entre les participants, de même que le respect des échéanciers et des budgets.

 

L’utilisation d’un modèle BIM unique/collaboratif soulève toutefois des questions juridiques importantes qui constituent autant de défis majeurs à la mise en place et la généralisation de l’usage de cette pratique. Par exemple, les contributeurs au modèle unique voudront préserver la propriété de leurs renseignements et connaître l’étendue de leur responsabilité pour tout vice ou problème associé à un élément conceptuel contenu dans le modèle. Certaines tentatives ont été faites afin d’adapter les contrats de construction à la réalité du BIM, particulièrement par l’Institut pour la modélisation des données du bâtiment du Canada (« IBC »). Ainsi, en 2014, l’IBC a publié un document contractuel standard BIM (le document IBC 100-2014), qui peut être annexé à des contrats d’expertise-conseil ou de construction. Cependant, en raison de la nature dynamique exclusivement numérique du BIM, certains compromis ont été intégrés dans ce document standard. Ainsi, la clause 1.9 du document IBC 100-2014 stipule que les contributions au modèle par les entre- preneurs et sous-traitants ne sont pas des services de conception, sauf clause contraire à cet effet. Le guide accompagnant l’annexe explique d’ailleurs que « les clauses 1.8 et 1.9 précisent la distinction entre les responsabilités professionnelles des architectes et des ingénieurs travaillant à la conception, et les responsabilités des entrepreneurs fournissant des dessins d’atelier, prenant acte de la crainte que le BIM ne vienne brouiller les frontières [4] » [traduction libre].

 

Toutefois, si l’utilisation accrue des processus BIM présente certaines difficultés, elle offre également la possibilité d’innover relativement au contrat de construction et de moderniser certains processus contractuels qui demeurent inchangés depuis bien longtemps.

 

Le contrat de construction intelligent

Les contrats intelligents réfèrent à des protocoles informatiques qui établissent d’eux-mêmes les modalités d’une entente. Ces modalités ne sont pas énoncées sur papier, mais plutôt intégrées dans un code source. Les dispositions d’un tel contrat peuvent ainsi, en tout ou en partie, s’exécuter automatiquement, rendant superflus les intermédiaires et, en théorie du moins, toutes les méthodes visant à inciter ou contraindre les parties à respecter leurs obligations, comme les mises en demeure ou les poursuites. En d’autres mots, les processus contractuels traditionnels, fondés sur l’intervention et la surveillance humaines, peuvent être automatisés en tout ou en partie. Dans le secteur de la construction, la possibilité d’automatiser certains des processus qui reposent généralement sur les interactions et les décisions de multiples intervenants vaut la peine d’être explorée. Pensons aux procédures entourant les de- mandes de paiement. Les retards de paiement constituent un problème de longue date dans l’industrie qui paraît, pour beaucoup, insoluble. Dans de nombreuses juridictions, cette problématique est devenue à ce point critique qu’il a fallu adopter des lois particulières forçant les parties à un projet à régler les sommes dues dans un délai raisonnable. La solution à cette problématique pourrait venir de l’industrie et de sa capacité à innover. Pour favoriser les paiements rapides, elle pourrait miser sur un développement et une utilisation plus poussés des processus automatisés de paiement rendus possibles par les contrats intelligents, et enchâssés dans le logiciel BIM. Ainsi, la procédure de paiement d’un projet donné pourrait être entièrement intégrée au modèle BIM correspondant. Par exemple, une fois que le fournisseur est prêt à expédier une composante au site, il consignerait l’information dans le modèle BIM. Lié à la fois à celui-ci et à un compte de projet approvisionné par le maître d’ouvrage, le contrat intelligent vérifierait la disponibilité des fonds nécessaires et transmettrait une confirmation au fournisseur. Une fois la composante livrée, le gestionnaire de projet en accuserait réception dans le logiciel et les fonds seraient automatiquement transférés du compte de projet aux parties concernées. Les factures et documents liés à une réclamation de paiement (ex. : quittances et déclarations solennelles) pourraient aussi être remplis automatiquement, pourvu que le contrat intelligent soit programmé en conséquence.

 

Conclusion

Il y a quelques années, il aurait été impossible d’imaginer qu’en combinant un outil technique comme le BIM et une technologie juridique (les contrats intelligents), on parviendrait à (1) privilégier une façon de penser et de travailler les projets de construction selon une approche collaborative et (2) disposer de contrats de construction qui s’exécutent automatiquement. Voilà un parfait exemple de progrès.

 

Bien sûr, ce progrès doit faire l’objet d’une grande vigilance afin que les solutions technologiques en place restent adaptées à la réalité du terrain. Il est donc important que les intervenants de l’industrie de la construction (avocats compris) connaissent bien ces technologies et les enjeux qui y sont associés.

 

Pour toutes questions ou commentaires, vous pouvez joindre Me Alexia Magneron par courriel à amagneron@millerthomson.com ou par téléphone au 514 879-4079, ou encore Me ampros Stougiannos par courriel à lstougiannos@millerthomson.com ou par téléphone au 514 871.5426

 

Miller Thomson avocats


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Cet article est paru dans l’édition du 25 octobre 2018 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.