Au tribunal : le droit à l'hypothèque légale naît avec le contrat d’entreprise

20 avril 2011
Me Antonio Iacovelli de la firme Miller Thomson Pouliot

 

 Le droit à l'hypothèque légale de construction naît à la date de la conclusion du contrat d'entreprise. Il est important pour l’entrepreneur qui désire se prévaloir de son droit hypothécaire de déterminer qui est le propriétaire de l’immeuble au moment où le contrat se conclut. À défaut de faire affaire directement avec le propriétaire, l’entrepreneur est en effet tenu de dénoncer son contrat au propriétaire avant de débuter les travaux s’il désire pouvoir bénéficier de l’hypothèque légale.

 

Par ailleurs, bien que les éléments de base d'une hypothèque légale valable comprennent une description des immeubles grevés, une créance, sa nature et sa quotité ainsi qu’une plus-value, les exigences de la bonne foi dans l'exercice de ses droits font en sorte que le bénéficiaire d'une hypothèque se doit de ventiler le montant de sa réclamation selon la valeur relative des immeubles grevés quand, à titre d'exemple, l'immeuble concerné est détenu en copropriété divise. Voilà comment la Cour d'appel a tranché dans l'affaire Excavations Panthère inc. c. Maisons Zibeline inc. en date du 1er février dernier. 

 

Les faits

Les Maisons Zibeline inc. (ci-après « Zibeline ») entreprend en juillet 2005 la première phase d'un projet immobilier sous forme de copropriété comprenant 74 logements répartis dans plusieurs bâtiments à Laval. Les déclarations de copropriété sont publiées entre juillet et octobre 2005 au fur et à mesure que les bâtiments se construisaient. En date du 12 septembre 2005 Zibeline n'avait vendu que 7 unités alors qu'au 18 novembre 2005, date importante à retenir, le nombre de ventes était rendu à 61.

 

Dans le cadre de son projet, Zibeline se devait de raccorder le réseau d'aqueduc et d'égout au réseau municipal. Une firme d'ingénieurs retenue par la Ville a préparé les plans et devis en plus de superviser le processus d'appel d'offres et de surveiller les travaux.

 

En réponse à l’appel d’offres sur invitation, les Excavations Panthère inc. (ci-après « Panthère ») fournit la soumission la plus basse conforme. C'est en date du 2 septembre 2005 que la firme d'ingénieurs informe Panthère qu'elle est la plus basse soumissionnaire conforme et en date du 6 ou du 7 septembre 2005 qu'on lui dit qu'elle est conforme en lui mentionnant du même coup que les travaux devraient débuter sur réception du certificat d'autorisation du ministère de l'Environnement. 

 

En date du 12 septembre 2005, les ingénieurs recommandent à Zibeline d'accepter la soumission de Panthère. Bien que Zibeline soit disposée à suivre cette recommandation, Panthère hésite avant de confirmer sa volonté de procéder, car elle est informée que Zibeline n’a pas payé un entrepreneur dans le cadre d’un autre projet. Cette information donne une frousse à Panthère qui décide de prendre des moyens pour se protéger sans aller jusqu'au point de se retirer compte tenu du cautionnement de 10 % déposé au soutien de sa soumission.

 

Alors, Panthère et Zibeline négocient d'un côté le paiement par Zibeline d'un acompte de 100 000 $ et de l'autre une modification à la soumission afin que le prix de Panthère soit forfaitaire au lieu d'unitaire. Les négociations se soldent par la signature d'un document préparé par Panthère en date du 18 novembre 2005, alors que Zibeline n'est plus propriétaire que de 13 unités sur les 74 d'origine.

 

Le Ministère autorise le projet en date du 30 novembre 2005 et les travaux débutent le 8 décembre.

 

En janvier 2007, Panthère réclame un solde de 152 652,19 $ à Zibeline mais cette dernière ne paie pas. En février 2007, Panthère fait publier un avis d'hypothèque légale sur 70 des 74 unités décrivant chacune d'elles, le montant total et non ventilé (352 652,19 $) de la réclamation et indiquant une plus-value du même montant aux unités confondues.

 

Le jugement de la Cour supérieure

La Cour supérieure fait état du droit à l'effet que l'hypothèque légale de construction existe sans qu'il soit nécessaire de la publier et qu'elle naît à la date de la conclusion du contrat d'entreprise.

 

La Cour est d'avis que le contrat entre Panthère et Zibeline a été conclu en date du 18 novembre 2005, alors que Zibeline n’était propriétaire que de 13 unités, ayant vendu les 61 autres.

 

Ainsi, la Cour radie l'hypothèque légale de Panthère quant aux 61 unités qui n'appartenaient plus à Zibeline au 18 novembre 2005, et ce, faute de dénonciation du contrat aux propriétaires en question, tout en maintenant l'hypothèque quant aux 13 autres mais à la hauteur de la plus-value donnée à l'unité seulement et en tenant compte des valeurs relatives de chacune des unités.

 

Panthère porte la décision en appel, tandis que le syndicat de copropriétaires qui a remplacé Zibeline depuis la faillite de cette dernière, se pourvoit aussi en se portant appelant incident.

 

L'arrêt de la Cour d'appel

Panthère soutient tout d'abord que la Cour supérieure a erré en concluant que la date du contrat d'entreprise correspondait au 18 novembre 2005, puisque Panthère situe cette date durant la première semaine de septembre, soit les 2, 6 ou 7 septembre 2005 lorsque la firme d'ingénieurs a confirmé que Panthère était la plus basse soumissionnaire conforme. Elle argumente de la sorte en s'appuyant sur la jurisprudence en matière d'appel d'offres, laquelle traite de contrats « A » et « B », le contrat « A » étant celui portant sur les critères de conformité de l'appel d'offres et le « B » étant le contrat de construction qui en découle lorsque l'un des répondants conformes est enfin choisi.

 

Cet argument ne réussit pas à convaincre la Cour. Celle-ci reconnaît que la date du contrat de construction est essentielle à déterminer quand est-ce que l'hypothèque prend naissance tout en décidant que Panthère n'a pas démontré une erreur manifeste et dominante dans le raisonnement de la Cour supérieure lorsque cette dernière tranche en déterminant que 18 novembre 2005 est la date de la conclusion du contrat de construction.

 

En effet, il ne pouvait y avoir contrat d'entreprise (ou contrat « B ») entre Panthère et Zibeline avant que cette dernière n'accepte la recommandation des ingénieurs, lesquels dans les faits n'avaient manifestement pas l'autorité d'accepter Panthère sans l'autorisation de Zibeline. Ainsi, le seul document qui fait état du contrat « B » est celui du 18 novembre 2005.

 

Le syndicat de copropriétaires ayant pris la place de Zibeline plaide que l'hypothèque de Panthère doit être radiée car, de un, Panthère n'a pas dénoncé son contrat et, de deux, le fait d'omettre une ventilation de plus-value par unité est une erreur fatale.

 

La Cour d'appel confirme le jugement de première instance en ce que l'hypothèque légale de Panthère est valable en ce qui regarde les 13 unités dont Zibeline était propriétaire en date du 18 novembre 2005. Panthère n'avait pas à dénoncer son contrat aux propriétaires de ces 13 unités car sa cocontractante Zibeline était propriétaire de celles-ci au moment de la conclusion du contrat.

 

Quant à l'absence de ventilation de la plus-value par unité, cette omission n'est pas fatale. La Cour nous rappelle qu'un avis d'hypothèque légale requiert l’information suivante pour être valide : une description des immeubles grevés, une créance, sa nature et sa quotité, et une plus-value. Or, l'avis de Panthère contient ces éléments de base.

 

La Cour d'appel confirme donc le jugement de la Cour supérieure tout en déplorant, entre autres, le stress que l'omission de ventilation a pu causer aux copropriétaires dont les unités étaient grevées d'une hypothèque non ventilée et dont le montant réclamé dépassait la valeur de chacune des unités. La Cour termine en rappelant aux bénéficiaires d'hypothèques que les exigences de la bonne foi requièrent qu'ils ventilent les montants de leurs réclamations.

 

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Miller Thompson Pouliot