Faire d’un pont un emblème architectural

24 décembre 2013

Le remplacement du pont Champlain soulève bien des passions, notamment sur le plan de l’ingénierie et de l’architecture. État de la situation.

Par Marie Gagnon

 

Octobre 2011. Le gouvernement du Canada annonce la construction d’un nouveau pont en remplacement du pont Champlain. Une onde de choc s’ensuit. Bientôt, la communauté montréalaise, décideurs, gens d’affaires, professionnels du design, fait entendre sa voix. Le futur pont qui enjambera le fleuve Saint-Laurent se doit d’être un véritable ouvrage d’art et un emblème mettant en vitrine nos ressources.

 

Il est vrai que, mis à part ses ponts couverts, le Québec n’est pas reconnu pour la beauté de ses structures. Toutefois, depuis plus d’une décennie, Montréal vit au rythme d’une effervescence exubérante sur le plan du design urbain, comme du design tout court. Le Quartier international de Montréal et le Quartier des spectacles, pour ne citer que ces exemples, témoignent du dynamisme qui s’est emparé de la métropole, et qui continue d’en métamorphoser le visage.

 

Aujourd’hui, cette énergie s’est portée sur les entrées de la ville. Ces dernières années, de nombreuses voix se sont élevées en faveur d’un traitement approprié des entrées de ville afin d’affirmer la personnalité de Montréal. En 2011, un concours international d’idées en design urbain a même été lancé pour alimenter la réflexion sur le réaménagement du parcours d’entrée compris entre l’aéroport et le centre-ville.

 

La construction d’un nouveau pont sur le fleuve s’avère donc une occasion rêvée pour Montréal d’améliorer une autre de ses entrées de ville, et non la moindre. Et de capter les regards de la communauté internationale. « Les ponts sont en soi une attraction touristique, affirme d’entrée de jeu Nathalie Dion, la présidente de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ). On n’a qu’à penser au Golden Gate, à San Francisco, au pont de Normandie ou, encore, au Sydney Harbour Bridge. Ces ouvrages attirent chaque année une multitude de touristes. »

 

Concevoir un monument

Un point de vue que partage Stephen Léopold, fondateur d’Auda- Cité Montréal, un groupe d’administrateurs et de gens d’affaires qui revendique un ouvrage emblématique pour stimuler le tourisme et l’activité économique dans la métropole. « Il faut concevoir un pont qui sera une merveille d’ingénierie et d’architecture, dit-il. Un pont qui fera autant la fierté de Montréal que du Québec entier et du reste du Canada. Et qui génèrera des retombées économiques énormes. »

 

Stephen Léopold voit encore plus loin. Il souhaite que le tablier du futur pont soit chauffé en hiver. Une pratique qui a cours ailleurs dans le monde. Notamment dans la ville de Holland, en bordure des Grands Lacs au Michigan. Pour éviter d’avoir à déneiger le centre-ville, les autorités municipales ont incorporé un chauffage radiant dans les principales artères qui le sillonnent.

 

Le chauffage du tablier du pont s’avère en effet avantageux à bien des égards. Sur le plan écologique d’abord. Chaque hiver, le déversement de 10 000 tonnes de déchets et résidus toxiques dans les eaux du Saint-Laurent serait évité. Sur le plan économique ensuite. Un tablier chauffé éliminerait le coût annuel associé au déneigement du pont et à l’achat et à l’épandage de 4 500 tonnes de sels de déglaçage. Sans compter les gains sur le plan de la sécurité et de la mobilité.

 

« Ce serait une façon de mettre en valeur notre avantage en matière d’énergie propre et de capitaliser sur celui-ci de façon éloquente, soutient Stephen Léopold. Du point de vue technique, c’est faisable. Il faudrait aussi examiner toutes les façons possibles d’utiliser notre aluminium lors de la construction du pont. Et l’aluminium produit ici possède la plus faible empreinte écologique au monde, un autre avantage à faire valoir. »

 

Transparence et multidisciplinarité

Il convient toutefois qu’un projet d’une telle envergure nécessite des investissements importants. Mais en homme d’affaires avisé… il martèle qu’il faut investir de l’argent pour faire de l’argent. Il assure cependant qu’il est possible d’économiser des sommes substantielles et d’éviter les dérives budgétaires en misant sur la transparence et en concluant un pacte d’intégrité. Comme le propose Transparency International Canada, un organisme à but non lucratif qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille.

 

Mais avant toute chose, l’OAQ et AudaCité réclament la tenue d’un concours international d’architecture et d’ingénierie. « Le concours est garant d’une qualité certaine sur le plan de la conception, fait valoir Nathalie Dion. Avec une équipe multidisciplinaire, les fonctions techniques et esthétiques sont mieux intégrées. Et les projets sont soumis à un jury, qui choisit la meilleure solution. Les résultats sont souvent grandioses. »

 

Elle signale au passage que plusieurs voix se sont jointes au mouvement en faveur d’un pont emblématique. Notamment le Regroupement pour la qualité architecturale du futur pont Champlain, qui a remis à Transports Canada un mémoire faisant valoir la nécessité de concevoir un véritable ouvrage d’art. Par ailleurs, une résolution appuyant la tenue d’un concours international a été adoptée par le conseil municipal de la Ville de Montréal.

Et les choses commencent à bouger. En juin, Transports

 

Canada annonçait sa collaboration avec la Ville de Montréal pour définir le meilleur moyen d’intégrer le design au futur pont Champlain. Reste l’épineuse question du financement. « Peu importe le type de PPP retenu, ce qui importe, c’est que la conception se fasse en dehors du PPP, souligne Nathalie Dion. Ç’a fonctionné pour le viaduc de Millau, qui a été remporté par un ingénieur et un architecte. Mais jusqu’ici les gens du fédéral ont démontré peu d’ouverture. »