La réalisation de projet intégré, une révolution dans le monde de la construction

3 avril 2024
Par Benoit Poirier

La Société québécoise des infrastructures (SQI) lançait, fin janvier, un projet en mode collaboratif RPI (réalisation de projet intégrée). S’il s’agit d’une première au Québec et de l’arrivée d’une toute nouvelle façon de faire, cela annonce d’abord et avant tout un changement de culture radical dans l’industrie de la construction.

Imaginons un bureau de projet. Au centre se trouve une grande table autour de laquelle prennent place, dès le départ et tout au long de l’aventure, un donneur d’ouvrage et les représentants des architectes, des ingénieurs, de l’entrepreneur général et des entrepreneurs spécialisés sélectionnés non pas en fonction du prix de leur offre, mais bien sur leur capacité à livrer un projet donné et, surtout, à y collaborer en toute transparence et à livres ouverts.

 

Le concept est élaboré en équipe, les responsabilités et les risques sont assumés par toutes les parties et les profits partagés selon un ratio préétabli et en fonction des résultats obtenus. Les objectifs et les attentes résultent d’un consensus entre tous les intervenants et l’équipe de gestion, rendant inopérante toute poursuite, sauf, bien entendu, dans le cas d’une erreur professionnelle. Difficile à concevoir dans une industrie minée par de fréquents et coûteux litiges. Et pourtant…

 

Née aux États-Unis au début du présent siècle, cette nouvelle approche a vite gagné en popularité dans l’Ouest canadien et en Ontario où plus d’une centaine de projets ont été réalisés jusqu’à ce jour, majoritairement sous juridiction municipale, mais également dans le secteur privé. Les grands donneurs d’ouvrage québécois, la SQI en tête, ont commencé à s’y intéresser en 2023.

 

Un contexte favorable

Nombre sans précédent de projets mis de l’avant, incapacité d’une industrie en surchauffe de répondre à la demande, manque de main-d’oeuvre qualifiée, appels d’offres publics demeurant sans réponse, tout cela conjugué à une hausse faramineuse des coût des matériaux sont autant d’incitatifs à innover. À revoir tout le processus de réalisation d’un projet. « Parce que c’est bien beau avoir de beaux projets, mais si je mets les risques sur les genoux des entrepreneurs, il y a deux réactions possibles », remarque Guy Paquin, directeur général des stratégies et des projets spéciaux à la Société québécoise des infrastructures (SQI), indiquant que s’ils choisissent de tenter leur chance, ils y mettent le prix. S’il y a trop de risques, ils ne présentent tout simplement pas de soumission. « Comme donneur d’ouvrage, si j’ai des prix trop élevés ou que je n’ai pas de soumission, ça ne marche pas ! Donc, la solution c’est de travailler ensemble. »

 

Guy Paquin, directeur général des stratégies et des projets spéciaux à la Société québécoise des infrastructures. Crédit : Gracieuseté

 

« Je pense que les gens sont tannés de se chicaner. Nous oeuvrons dans la construction parce qu’on a la passion de construire. Puis, je pense que comme humains, la collaboration c’est une culture naturelle. Il faut juste changer notre capot de bord », observe Daniel Drouin, formateur en projets collaboratifs et président de l’Integrated Project Delivery Alliance (IPDA). « Puis se dire : "Maintenant, on collabore, on travaille ensemble. Même si nous ne sommes pas dans la même organisation, nous prenons part au même projet !" " »

 

Mettre ses bénéfices en gage

La phase initiale d’un projet, explique Daniel Drouin, réunit habituellement le donneur d’ouvrage, l’architecte ou concepteur maître et l’entrepreneur principal. Ils élaborent ensemble les objectifs et les besoins, de même que les services professionnels et spécialisés qui seront requis.

 

Daniel Drouin, formateur en projets collaboratifs et président de l'Integrated Project Delivery Alliance. Crédit : Gracieuseté

 

L’équipe maintenant complète détermine en amont le registre des besoins, des prévisions et des risques sur la base desquels chacun dépose sur la table les coûts anticipés et les profits visés. Une enveloppe budgétaire (contingence) est réservée pour les imprévus; l’information sur l’évolution du projet est partagée tout au long du chantier.

 

« Ce n’est pas évident de prévoir les imprévus, admet Daniel Drouin. Mais lorsqu’on a les bonnes personnes autour de la table, des entrepreneurs généraux et spécialisés qui ont une expertise et l’expérience d’un chantier, il y en a plusieurs que l’on peut anticiper.

 

« Les profits sont à risque. On peut les augmenter si on est efficace. Mais si on ne gère pas bien nos risques, si on prend collectivement de mauvaises décisions, il en va autrement », explique-t-il, les parties prenantes pouvant voir leurs profits grugés en conséquence. « C’est un gros changement de culture. »

 

L’implantation du mode RPI au sein d’une organisation exige une préparation minutieuse guidée par un expert, impliquant des ajustements structurels, des changements culturels et une préparation des équipes, soutient Daniel Drouin. « Pour adopter le mode collaboratif RPI, l’industrie va nécessairement avoir besoin de formation, d’information et d’accompagnement. »

 

PAS UNE PANACÉE

« Cela n’élimine pas les autres types de réalisation, les projets en mode entreprise générale ou en gérance. Nous allons continuer à en faire! Tout ça dépend des caractéristiques d’un projet », tient à souligner Guy Paquin, la réalisation en mode collaboratif étant plus pertinente pour les projets complexes. Cela peut relever de difficultés techniques ou, par exemple, de l’intégration d’un bâtiment patrimonial dans un milieu résidentiel.

 

Ce que corrobore Daniel Drouin. Selon lui, les projets qui se prêtent le mieux à ce mode de réalisation collaboratif sont ceux qui ont un coefficient de difficulté plus élevé, avec un échéancier, un budget serré ou comportant des éléments avant-gardistes, par exemple. Cela n’est pas nécessairement lié à l’envergure d’un projet. Encore que « si une équipe n’a jamais entrepris de projet en RPI auparavant, elle doit investir du temps dans la création de contrats multipartites, l’organisation et la formation ».

 

Ainsi, un projet modeste peut ne pas justifier ces coûts supplémentaires. Le formateur et président de l’IPDA prévoit une démocratisation de cette nouvelle approche avec la multiplication de ce type de projets au fil des ans et son élargissement vers d’autres secteurs. « Les modes traditionnels vont continuer à avoir leur place dans l’industrie. » Même que, avance-t-il, les entrepreneurs adopteront, d’ici quelques années, les principes liés à ce mode de réalisation dans leurs projets traditionnels.