L’importance du prix forfaitaire si le contrat est résilié

4 mai 2015
Par Me Andréanne Sansoucy, LL.B., LL.M.

En matière de résiliation de contrat par le client, l’on distingue la résiliation pour faute de l’entrepreneur, qui confère au client le droit à la réparation intégrale de tous les dommages qu’il a subis, de la résiliation unilatérale.

Dans ce dernier cas, « le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l’entrepreneur, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis…1 ».

 

Notre chronique publiée dans l’édition du mardi 20 août 2013 du journal Constructo, intitulée La résiliation pour faute permet au client d’être compensé, fournissait un exemple du calcul des dommages appliqué par la Cour d’appel dans un contexte de résiliation « pour faute » ou « résiliation-sanction », c’est-à-dire dans un contexte où le client résilie le contrat en raison du défaut de l’entrepreneur de l’exécuter correctement.

 

En effet, dans l’affaire Construction Argus inc. c. Entreprises A & S Tuckpointing inc.2, les tribunaux tranchaient un litige opposant A & S Tuckpointing inc. (ci-après « A&S ») et Constructions Argus inc. (ci-après « Argus »). Dans le cadre du projet de construction résidentielle maintenant connu sous la désignation « Les Lofts Redpath », le propriétaire de l’immeuble, la Compagnie Immobilière Gueymard & Associés inc. (ci-après « CIGAL »), avait confié à Argus la réalisation des travaux de nettoyage et de restauration de la maçonnerie du projet. À son tour, Argus avait confié ce contrat entier à A&S. Les documents de soumission, addenda et plans et devis du projet prévoyaient que les travaux devaient débuter le 6 mai 2002 et se terminer le 30 octobre 2002.

 

Or, les travaux d’A&S progressaient au pas de tortue. Au 30 septembre 2002, A&S indiquait dans sa facturation qu'elle avait complété 38 pour cent des travaux du contrat, alors que selon l'échéancier convenu initialement, 90 pour cent des travaux auraient dû être parachevés. En octobre 2002, en raison de la progression déficiente et insatisfaisante des travaux, Argus avait résilié le contrat d’A&S et engagé d’autres sous-traitants pour compléter les travaux. Argus réclamait à A&S les dommages découlant de cette résiliation, lesquels comprenaient le coût relatif à la complétion des travaux par d’autres sous-traitants et le coût des troubles et inconvénients. Pour sa part, A&S réclamait à Argus des montants dus en vertu du contrat et des montants pour des travaux supplémentaires.

 

La Cour d’appel avait jugé que la Cour supérieure avait erré en droit en n’accordant pas les dommages réclamés par Argus. De l’avis de la Cour, lorsque la résiliation a lieu pour cause d’inexécution (à distinguer de la réalisation unilatérale, régie par les articles 2125 et 2129 du Code civil du Québec), le client a droit d’être compensé pour l’ensemble du préjudice subi. Le montant des dommages devait être établi conformément à la clause de résiliation prévue au contrat. Cette clause prévoyait qu’en cas de résiliation-sanction, Argus devait imputer à A&S « le montant par lequel le coût total de l’achèvement des travaux dépasse le solde impayé du prix du contrat ».

 

La Cour avait donc accordé à Argus la différence entre le coût total de l’achèvement des travaux (865 839 $) et le solde impayé (510 569 $). De ce montant de 351 869 $, avait été retranché le montant de 104 736 $ représentant le montant réclamé par A&S pour travaux supplémentaires et autres motifs, accordé par la Cour supérieure et non remis en cause par Argus. L’on retenait donc qu’en matière de résiliation pour faute, le client est en droit d’obtenir le montant de tous les dommages subis. Quant au calcul, il importe de noter que le calcul de la Cour était basé sur le prix du contrat forfaitaire, utilisé pour déterminer le solde impayé du coût du contrat.

 

Qu’en est-il en matière de résiliation unilatérale par le client ? Le montant dû à l’entrepreneur doit-il être calculé suivant le pourcentage des travaux effectués sur le montant du contrat à forfait ou doit-on établir la valeur réelle des travaux effectués avant la résiliation à l’aide des coûts réels de l’entrepreneur sans prendre en compte le montant du contrat à forfait ?

 

L’arrêt récent de la Cour d’appel dans l’affaire Argiris c. Entreprises Tectonica inc.3 fournit un exemple du calcul effectué dans un contexte de résiliation unilatérale par le client. Dans cette affaire, le client Argiris avait conclu un contrat à forfait avec l’entrepreneur Entreprises Tectonica inc. (ci-après « Tectonica ») pour l’agrandissement d’un entrepôt, le 5 juin 2005. Argiris avait résilié le contrat Argiris et Tectonica le 25 août 2006 et le litige portait sur la somme due à Tectonica.

 

La Cour supérieure avait jugé que le montant dû à Tectonica (c’est-à-dire la valeur des travaux effectués au sens des principes relatifs à la résiliation unilatérale susmentionnés) s’élevait à la somme de 205 753 $ en prenant en compte le montant du contrat (3 050 M$) et le pourcentage global des travaux exécutés en date de la résiliation (54,65 %). Sur cette base, Argiris devait la somme de 1 667 099 $ à Tectonica.

 

Devant la Cour d’appel, Argiris faisait valoir que la méthode de calcul suivant le pourcentage des travaux effectués était inadéquate, soutenant que la Cour aurait dû utiliser la méthode de calcul des coûts directs de construction, en ajoutant le profit et l’administration, sans baser le calcul sur le coût du contrat à forfait. La Cour d’appel a refusé d’intervenir dans la décision de la Cour supérieure, jugeant qu’Argiris ne démontrait pas à titre d’appelant une erreur manifeste dans la méthode de calcul utilisée par la Cour supérieure.

 

L’analyse de ces deux arrêts récents de la Cour d’appel démontre que les tribunaux effectuent le calcul des sommes dues à l’entrepreneur et au client dans un contexte de résiliation en se basant sur le prix du contrat forfaitaire, d’où l’importance d’estimer adéquatement le contrat, même s’il prenait fin avant que l’ouvrage ne soit livré.

 

1. Code civil du Québec, article 2129.

2. Construction Argus inc. c. Entreprises A & S Tuckpointing inc., J.E. 2013-834 (C.A.)

3. Argiris c. Entreprises Tectonica inc., 2015 QCCA 161. Entreprises Tectonica inc. c. Argiris, 2013 QCCS 2854.


Pour toutes questions ou commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec MeAndréanne Sansoucy à asansoucy@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5455.

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 17 avril 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !