Irrégularité mineure ou non-conformité majeure ?

2 juillet 2015
Par Me Anik Pierre-Louis

En matière de contrats publics conclus au terme d’un appel d’offres, le principe de l’égalité des soumissionnaires prévaut tant au moment de l’octroi du contrat qu’au stade de son exécution.

En effet, certaines non-conformités des soumissionnaires peuvent être qualifiées de « majeures », par opposition à « mineures », ce qui empêche alors le soumissionnaire de pouvoir exécuter le contrat.

 

Une affaire récente1 nous éclaire sur les critères à considérer pour conclure si, au jour du début de l’exécution du contrat, soit après l’octroi du contrat au terme de l’appel d’offres, un défaut est « mineur », ce qui n’affecte pas la conformité de la soumission, ou s’il est « majeur » et disqualifie le soumissionnaire.

 

Les faits

Le 17 juillet 2014, la Ville de Saguenay (« Ville ») octroyait un contrat de déneigement à Terrassement Saint-Louis inc. (« St-Louis »), plus bas soumissionnaire conforme au terme de l’appel d’offres.

 

Lors de la première rencontre de démarrage, la Ville informait Saint-Louis de la non-conformité du garage que ce dernier avait loué puisqu’il était trop petit pour recevoir l’équipement nécessaire à l’exécution du contrat au sens des documents d’appel d’offres. St-Louis proposait donc à la Ville un autre site qui lui serait acceptable, ce que la Ville acceptait, mais, dans les faits, il n’y a eu aucune suite à cette proposition.

 

Le 25 septembre 2014, lors de la tenue de la deuxième rencontre de démarrage, Saint-Louis n’a toujours pas remis tous les documents nécessaires pour satisfaire les exigences du devis, dont les certificats d’enregistrement de la machinerie réservée pour le contrat, la preuve d’installation du système GPS, l’adresse du site proposé et l’information démontrant la méthode d’entreposage des fondants abrasifs. Par ailleurs, la promesse de location du garage pour recevoir la machinerie ne couvrait pas toute la durée du bail et le bâtiment en cause était trop petit.

 

À la lumière du défaut de Saint-Louis de faire parvenir les renseignements demandés à la date de début du contrat, soit le 1er octobre 2014, la Ville a résilié ledit contrat et l’a attribué au deuxième soumissionnaire conforme sans même retourner en appel d’offres.

 

Saint-Louis s’est alors tourné vers la Cour supérieure pour obtenir une ordonnance (injonction interlocutoire) qui annulerait la décision de la Ville et qui lui permettrait de réaliser le contrat. St-Louis soutenait que les documents requis avaient tous été fournis à la Ville et qu’une clause du contrat permettait à la Ville de passer outre à tout vice de forme ou défaut mineur de conformité contenu dans la soumission. La Ville était toutefois d’avis qu’en l’espèce, les défauts de St-Louis étaient plutôt majeurs et qu’elle était en droit de résilier le contrat pour ce motif.

 

Le droit

La Cour supérieure rappelle qu’un manquement est qualifié de « majeur » s’il affecte le principe d’égalité des soumissionnaires. De plus, si l’irrégularité a un impact sur le prix de la soumission, elle est également considérée comme étant un manquement majeur.

 

Le juge décide que le défaut d’avoir prouvé l’immatriculation d’un équipement ainsi que le retard de l’installation du système GPS n’étaient pas des manquements majeurs car ils n’ont causé aucun impact sur le prix de la soumission, n’affectant donc pas l’égalité des soumissionnaires.

 

Il en va autrement pour l’obligation d’avoir un immeuble d’une dimension suffisante pour l’entreposage de la machinerie et localisé dans une zone permettant l’entreposage de fondants. La Ville avait prévenu Saint-Louis à maintes reprises que son édifice ne satisfaisait pas ces exigences nécessaires pour l’exécution adéquate du contrat de déneigement. La Cour conclut ainsi que cette faute contractuelle est majeure et qu’elle déséquilibre la valeur des soumissions, affectant de ce fait le principe de l’égalité des soumissionnaires.

 

Le juge est d’avis que la Ville n’avait pas d’autre choix que de résilier le contrat si elle voulait assurer la qualité des services de déneigement à laquelle les contribuables sont en droit de s’attendre. La sécurité des contribuables justifie aussi cette résiliation puisqu’il faut pouvoir intervenir rapidement et efficacement en cas de tempête de neige.

 

Par ailleurs, la décision de la Ville d’accorder le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire conforme sans retourner en appel d’offres est jugée raisonnable dans les circonstances puisque l’hiver approchait à grands pas, ce qui ne donnait ainsi pas le choix à la Ville d’agir autrement.

Pour toutes ces raisons, la demande de Saint-Louis est rejetée. Ce dernier n’exécutera donc jamais le contrat pour la Ville et doit laisser sa place au deuxième plus bas soumissionnaire conforme au terme de l’appel d’offres.

 

Conclusion

Dans un contexte de contrat public qui a pour objet l’exécution d’un service en faveur des contribuables, ces derniers sont en droit de s’attendre à un certain niveau de qualité. Si ce niveau de qualité est compromis par un défaut majeur du soumissionnaire ayant obtenu le contrat, cela peut justifier le corps public de résilier le contrat.

 

De plus, il faut retenir des enseignements du tribunal qu’un manquement majeur est celui qui affecte le principe d’égalité des soumissionnaires ou qui a un impact sur le prix de la soumission. Ainsi, il est possible d’attribuer le contrat au deuxième soumissionnaire conforme, sans retourner en appel d’offres, s’il est déraisonnable dans les circonstances de reporter la date de commencement du contrat.

 

1. Terrassement St-Louis inc. c. Saguenay (Ville de), 2014 QCCS 5738 (permission d’appeler rejetée, 2015 QCCA226)

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 17 mars 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !