Substitution et réduction d’hypothèque légale : mode d’emploi

20 octobre 2014
Par Me Anik Pierre-Louis

En cas de différend qui survient en cours d’exécution de travaux sur un chantier, l’inscription d’une hypothèque légale sur un immeuble peut incommoder le propriétaire et créer une impasse pour la suite du déroulement du chantier.

 

Pensons au cas où, par exemple, cette dernière limite les opportunités du propriétaire d’obtenir un financement additionnel pour continuer les travaux. Dans une situation où le temps presse, le propriétaire peut conclure une entente avec l’entrepreneur pour substituer une garantie suffisante à l’hypothèque et prévoir de demander au Tribunal par la suite d’en réduire le montant. Mais attention : sans une telle entente, le Tribunal ne pourra, une fois l’hypothèque substituée et radiée, réduire la garantie octroyée par le propriétaire. Voyons plus en détail la décision de la Cour supérieure rendue dans une affaire récente.1

 

Les faits

En 2009, le Diocèse canadien de la Sainte-Église apostolique arménienne (« l’Église ») octroie à la firme Exedra Construction inc. (« Exedra ») un contrat pour construire une église. Les travaux de la phase I sont interrompus durant près de deux ans et une hypothèque légale est publiée par Exedra. Pour reprendre les travaux et aller de l’avant avec le projet, les parties finissent par s’entendre : un montant est payé à Exedra et l’hypothèque est radiée.

 

Un nouveau contrat de construction est signé ; celui-ci prévoit une entente à coûts majorés (cost-plus) pour laquelle un montant forfaitaire de 325 000 $ pour le profit est versé en sus des coûts de l’entrepreneur pour réaliser l’ouvrage. De plus, le contrat prévoit que l’Église pourra auditer les coûts et profits de l’entrepreneur pour la phase I du projet. L’Église désire effectuer ces vérifications elle-même, alors que l’entrepreneur souhaite toutefois recourir à un tiers indépendant pour ce faire. C’est l’impasse à nouveau.

 

Ainsi, le 14 mars 2012, l’Église fait parvenir un avis de terminaison de contrat à Exedra, l’enjoignant de permettre l’audit dans les 21 jours, à défaut de quoi le contrat sera résilié. En réaction, Exedra fait publier une hypothèque légale pour une personne ayant participé à la construction d’un immeuble, au montant de 493 000 $, ce qui inclut le profit non réalisé de 325 000 $. Les travaux ne reprennent jamais.

 

Face à cette situation, le 1er juin 2012, l’Église décide d’intenter des procédures pour substituer l’hypothèque légale par une garantie suffisante, soit une lettre de crédit bancaire irrévocable. Le 17 octobre 2012, Exedra publie un préavis d’exercice de recours hypothécaire. Le 31 octobre 2012, le Tribunal rend jugement et permet la substitution de l’hypothèque légale par une lettre de crédit bancaire irrévocable pour une durée de deux ans, au montant de 560 000 $. Suite à ce jugement, le 6 novembre 2012, l’Église décide d’intenter un second recours, celui-ci, pour faire réduire la sûreté qui a été substituée à l’hypothèque légale dont l’inscription a été radiée.

 

Le droit

La Cour supérieure est saisie de la question suivante : le propriétaire de l’immeuble visé par une inscription d’hypothèque légale peut-il obtenir la réduction de l’inscription après en avoir obtenu la substitution par une garantie suffisante et la radiation ? La question peut sembler simple, mais les conséquences qu’elle comporte sont importantes.

 

L’article 2137 du Code civil du Québec permet au propriétaire de l’immeuble visé par l’inscription d’hypothèque de s’adresser au Tribunal pour en obtenir la substitution, la réduction ou faire déterminer le bien que l’hypothèque peut grever. Lorsqu’il rend sa décision, le Tribunal peut ainsi ordonner la radiation de l’hypothèque légale.

 

Dans le cas présent, la Cour décide que l’Église ne pouvait procéder en deux étapes pour obtenir, en un premier temps, la substitution et la radiation de l’hypothèque, et, en un deuxième temps, la diminution de la sûreté substituée à l’hypothèque. Ses deux demandes auraient dû être réunies puisque le juge saisi de la demande de substitution a aussi la tâche d’évaluer la suffisance de la garantie substituée et la loi n’autorise pas le Tribunal à réduire la sûreté ainsi substituée, mais uniquement l’inscription de l’hypothèque légale. Bref, si l’inscription est radiée, le Tribunal ne peut la réduire.

 

Certes la décision de l’Église arménienne de procéder rapidement par voie de substitution est stratégique et lui permet d’obtenir rapidement du financement grâce à un titre de propriété exempt d’inscription d’hypothèque, mais, rappelle la Cour, cela comporte aussi des conséquences. En effet, l’Église arménienne doit supporter les frais de garantie bancaire, immobiliser des sommes suffisantes s’il advenait que la lettre de garantie soit tirée, et elle ne peut demander par la suite la réduction de la sûreté offerte à titre de substitution d’hypothèque.

 

Le Tribunal souligne que les parties auraient pu s’entendre pour convenir de la substitution immédiate de l’hypothèque par un montant déterminé, tout en spécifiant clairement dans leur entente que tel montant pourra être réduit par tout jugement final rendu quant à la requête en réduction de l’inscription d’hypothèque. Une telle entente aurait permis « le maintien fictif de l’hypothèque légale »2. À défaut, le Tribunal rappelle que la loi ne lui permet pas de réduire une inscription qui n’existe plus et rien dans la loi ne lui permet de réduire la garantie substituée. L’Église, si elle avait suivi ce mode d’emploi, aurait pu parvenir à ses fins, sans pour autant porter atteinte à son droit de demander la réduction de la garantie qu’elle a consentie.

 

1. Diocèse canadien de la Sainte-Église apostolique arménienne c. Construction Exedra inc., 2014 QCCS 1956. Ce jugement a été porté en appel (inscription en appel le 30-05-2014).

2. Rive Gauche inc. c. Gypses Maheux et Fils, 2004 CanLII 27100 (QC CS), juge Gosselin, j.c.s.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 3 octobre 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !