L'Insectarium de Montréal, synonyme de grands principes d’ingénierie et d’architecture

4 novembre 2022
Par Maude Ferland

Complexe et fascinant, l’Insectarium se révèle être une véritable science du bâtiment. Tour guidé d’un bâtiment fort attendu.

Exceptionnel ! » C’est ainsi que le projet du nouvel Insectarium d’Espace pour la vie de Montréal, livré au terme d’un concours international d’architecture lancé en 2014, est décrit par Nicolas Ranger, architecte associé principal chez Jodoin Lamarre Pratte architectes. Le concept architectural du projet Métamorphose, réalisé en consortium par les firmes Kuehn Malvezzi, Pelletier de Fontenay, Jodoin Lamarre Pratte architectes et Atelier le Balto, a raflé le prix d’excellence du magazine Canadian Architect en 2018. L’ouverture a eu lieu en avril 2022, révélant de grands principes d’ingénierie et d’architecture au service des plus petits.

 

Plus vrai que nature

L’Insectarium déballe sa mission : celle de la valorisation des insectes. « L’objectif final est de changer la relation émotionnelle et sensorielle que les visiteurs ont avec les insectes », résume Maxim Larrivée, directeur de l’Insectarium. Pour Nicolas Ranger, cela se traduit par un emboîtement des idées à la table de dessins : « L’idée, ce n’était pas de faire un projet dans lequel la muséologie vient s’ajouter par-dessus l’architecture, mais bien que les deux s’imbriquent l’un dans l’autre. » La firme allemande au consortium, Kuehn Malvezzi, détient par ailleurs une grande expertise tant sur le plan de l’architecture muséale que sur celui de la conception des expositions.

 

Nicolas Ranger, architecte associé principal chez Jodoin Lamarre Pratte architectes. Crédit : Jodoin Lamarre Pratte

 

À travers tout un parcours immersif tant inusité que multisensoriel et aux deux tiers souterrain, le visiteur perçoit le monde… comme s’il était un insecte. Laurent Laframboise, ingénieur en mécanique du bâtiment et chargé de projet chez Dupras Ledoux, commente : « Le but était de pousser l’expérience le plus loin possible. » À grandes ambitions, grande ingénierie. La visite muséale débute par l’emprunt d’un labyrinthe sombre, tout en courbes et parsemé d’alcôves, façon galerie souterraine inspiré de l’habitat des insectes. Au nombre de six, les alcôves reproduisent les chambres souterraines des larves, reines et autres ambassadeurs du musée. Le visiteur perçoit alors le monde à leur échelle. Les sens, ici, prennent une dimension inconnue : les vibrations au sol permettent aux visiteurs d’entendre comme les insectes, les effets ultraviolets les font voir comme eux. À leur échelle, ils doivent tantôt se faufiler dans une fissure, un tunnel ou une crevasse, tantôt se déplacer d’une tige mouvante à une autre. Chaque alcôve est destinée à un sens, avec l’ingénierie soutenue.

 

Outre l’ingénierie reliée au sens à l’honneur dans chacune des alcôves, une grande attention a été portée à la matérialité des structures. Dans le labyrinthe, le béton projeté a été privilégié, d’une part pour la complexité des surfaces architecturales – l’application en jet se fait mieux sur des surfaces courbes – et, d’autre part, pour son aspect plus brut et naturel.

 

Le Dôme de l'Insectarium de Montréal. Crédit : Mélanie Dusseault

 

Émerge ensuite la phénoménale collection d’insectes naturalisés de l’institution, dans ce qui se veut un point fort du parcours d’ailleurs déjà scénarisé en bonne partie lors du concours. Le Dôme, espace façon cathédrale de neuf mètres de hauteur et aux murs courbes, est un geste architectural visant à donner un caractère quasi sacré aux insectes. Le parcours se poursuit et nous amène, tel un insecte, à émerger hors du sol, pour atteindre la serre. L’expérience immersive terminée, nous reprenons ici nos propres sens et les redonnons aux insectes… qui nous accueillent ensuite en toute liberté.

 

Petits insectes, grands défis d’ingénierie

Retour à la table à dessin. Dans une idéologie de construction à mi-chemin du musée et du bâtiment de serre, les étapes de la réalisation ont été parsemées de défis. « L’insectarium, c’est notre premier projet de ce genre et il y a peu de projets comparables à travers le monde », se remémore Nicolas Ranger. Beaucoup de recherche et de développement, spécifie l’architecte d’expérience, ont dû d’ailleurs être faits. Premier défi : réunir des professionnels dont les expertises sont aux antipodes. « Un entomologiste et un ingénieur en électromécanique, ça ne parle pas le même langage! » constate Maxim Larrivée.

 

Maxim Larrivée, directeur de l’Insectarium. Crédit : Espace pour la vie/Lola Meunier

 

Défi relevé avec brio, néanmoins. « On a, finalement, obtenu un jet architectural et une muséologie intégrée qui sont d’une cohérence très, très forte et même assez unique. » Preuve d’un langage commun, le Grand Vivarium, où plus de 80 espèces de papillons à la fois volent dans ce qui semble n’être qu’une simple manifestation naturelle. Or, toute une convergence a dû se réaliser entre entomologie et ingénierie pour créer le spectacle des papillons, leur vol étant supporté par le taux d’humidité ambiant, et se laissant en quelque sorte « glisser » sur l’humidité. L’ingénieur Laurent Laframboise en a été le premier surpris : « Il y a toute une science d’humidification, de brumisation pour obtenir le bon taux de gouttelettes. »

 

Laurent Laframboise, ingénieur en mécanique du bâtiment et chargé de projet chez Dupras Ledoux. Crédit : Dupras Ledoux

 

C’est d’ailleurs le Grand Vivarium, un complexe de serres à murs-rideaux, qui a imposé les plus importants défis techniques : celui, entre autres, de reproduire pour les insectes et les plantes les mêmes conditions bioclimatiques qu’un milieu naturel. Le système d’ingénierie recrée et maintient des conditions tropicales artificielles stables, avec un apport de luminosité suffisant et un taux d’humidité relativement stable à 60 pour cent, à maintenir en présence de contrefacteurs tels que la variation de luminosité. On s’assure ainsi d’un résultat où les insectes sont visibles, actifs, et vivent une vie comme en milieu naturel.

 

En respect de l’environnement

Le contrôle bioclimatique est également d’une grande rigueur dans les serres de cultures, des espaces exclus du volet muséologique et destinés uniquement à la production des principaux acteurs du musée. Plusieurs modes de ventilation ont d’ailleurs été créés pour la pleine potentialité des serres : tantôt entièrement mécanique ou naturel, tantôt hybride avec des composantes naturelles et mécaniques. Des fenêtres motorisées ont été configurées. Grand fait saillant de l’Insectarium, il s’agit de la première serre à mursrideaux visant la certification LEED Or au Québec. Le bâtiment, dans son ensemble, vise également une certification LEED Or, une prouesse dans le cas de cet ouvrage hautement vitré, où le verre ici se conjugue avec la performance énergétique.

 

À noter que la ventilation a également fait l’objet d’une grande rigueur, notamment au plan de la conservation de la collection d’insectes, où, par exemple, la préservation des ailes de papillons naturalisés est abordée comme celle du papier parchemin. Ailleurs, la ventilation est adaptée à la configuration des différents espaces, souvent atypiques, comme c’est le cas dans le labyrinthe. Autres approches novatrices de l’institution : la gestion des eaux pluviales par un bassin naturel extérieur, la rétention des eaux se faisant dans un bassin à quenouilles, en cohérence avec la transition écologique qui s’impose pour ralentir l’effondrement de la biodiversité des insectes.

 

Unique au monde, l’Insectarium s’avère, selon Maxim Larrivée, probablement le seul musée scientifique à proposer une offre au-delà des collections muséales. « Il faut venir le vivre », lance-t-il. De grandes prouesses d’architecture et d’ingénierie ont permis la réalisation de ce bâtiment, mais nous rappellent que les petits ambassadeurs de l’institution sont en réalité les premiers architectes et ingénieurs de ces fascinants complexes souterrains.

 

ÉQUIPE DU PROJET
  • Architecture : Kuehn Malvezzi / Pelletier de Fontenay / Jodoin Lamarre Pratte architectes en consortium
  • Architectes concepteurs et muséologie : Kuehn Malvezzi
  • Architectes concepteurs : Pelletier de Fontenay
  • Architectes concepteurs et gestion du chantier : Jodoin Lamarre Pratte architectes
  • Architecture du paysage : Atelier Le Balto
  • Ingénieurs électromécaniques : Dupras Ledoux
  • Ingénieurs en structure : NCK
  • Ingénieurs civils : Génie+
  • Accompagnateur développement durable (certification LEED) : CIMA+
  • Signalisation intérieure et extérieure : Kuehn Malvezzi avec Double Standards
  • Exécution et surveillance de chantier pour la muséologie : La bande à Paul