Bâtir des bâtiments dynamiques pour réduire l'impact du vent?

4 novembre 2022
Par Jean Garon

Avec l'arrivée de phénomènes météorologiques extrêmes, les forces excessives comme des vents violents peuvent endommager gravement les structures des bâtiments. Des solutions sont à l'étude au Québec.

Depuis quelques années, des chercheurs en ingénierie du vent s’affairent à développer des méthodes pour aider les professionnels en génie et en architecture à concevoir des bâtiments de grande hauteur dynamiques. Des bâtiments et des structures qui peuvent résister et même s’adapter aux charges d’événements climatiques extrêmes.

 

En fait, plusieurs groupes de chercheurs québécois se penchent sur ce problème. C’est le cas du Centre d’études interuniversitaire des structures sous charges extrêmes (CEISCE). Celui-ci regroupe des chercheurs de plusieurs universités qui étudient le comportement sécuritaire des structures face aux effets extrêmes causés notamment par les changements climatiques.

 

Ces chercheurs collaborent, entre autres, pour trouver des solutions qui assureront l’intégrité structurale des bâtiments résidentiels et de bureaux de grande hauteur, ainsi que ceux présentant des formes irrégulières. Leurs travaux se basent sur les résultats expérimentaux d’essais en soufflerie, sur des modèles avancés de dynamique des fluides, et plus récemment, sur l’apport en calcul de l’intelligence artificielle. Ils tentent ainsi de répondre à d’importants enjeux de sécurité, compte tenu de la recrudescence et de la récurrence croissante de vents violents dans plusieurs régions du Québec. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à penser aux tornades et orages violents de l’été dernier, dont la récente tempête Fiona qui a durement touché les Îles-de-la-Madeleine en causant d’importants dommages.

 

Créer des bâtiments dynamiques

Un des chercheurs actifs dans le domaine est le professeur Reda Snaiki du Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS). Il travaille sur un important projet de recherche consistant à concevoir des bâtiments aux caractéristiques dynamiques et aérodynamiques qui varient en fonction du temps, en temps réel, et en fonction des conditions environnementales changeantes. Il s’agit en quelque sorte de concevoir des bâtiments qui s’adaptent au vent.

 

Reda Snaiki du Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS). Crédit : ÉTS

 

« Dans le contexte actuel des changements climatiques, dit-il, on peut prévoir qu’il y aura de plus en plus de phénomènes météorologiques extrêmes qui peuvent exercer des forces aérodynamiques très importantes sur les structures des bâtiments. Il faudra aussi tenir compte des nouveaux bâtiments de grande hauteur construits dans les centresvilles qui peuvent carrément changer le champ des vents en milieu urbain. »

 

Le défi principal rencontré avec le vent, c’est que la force qu’il exerce est intrinsèquement liée à la forme aérodynamique des structures qu’il frappe : « En effet, la réponse dynamique de la structure aura une incidence sur la force aérodynamique du vent et vice versa. » D’où l’intérêt de rechercher d’abord la meilleure forme aérodynamique possible pour minimiser les charges du vent sur le bâtiment.

 

Trois solutions explorées

Le professeur Snaiki travaille particulièrement sur trois solutions pour rendre les bâtiments dynamiques, lorsque la forme aérodynamique initiale du bâtiment n’est plus la forme optimale à cause des nouvelles conditions sur le site environnant.

 

Première solution

Elle consiste à injecter de l’air à des endroits stratégiques de la structure pour changer l’écoulement de l’air autour du bâtiment. Cela peut se faire par l’ajout de tubes sur les façades reliés à un injecteur d’air dans le bâtiment pour minimiser les charges du vent sur la structure. L’intelligence artificielle participe à l’exercice en déterminant le volume d’air à injecter ainsi que les endroits où l’injection de fluide doit être faite pour changer le cours du vent.

 

Deuxième solution

Cette solution vise à modifier l’enveloppe et la forme de la structure. Par exemple, en installant des plaques contrôlables à l’aide de vérins et de l’intelligence artificielle. Le changement d’angle des plaques permet ainsi de modifier les forces aérodynamiques subies par le bâtiment. C’est comme pour un avion dont les plaques amovibles des ailes permettent de changer la direction de l’air. Des plaques de 20 à 30 centimètres installées dans les coins d’un bâtiment, par exemple, permettraient d’éviter l’effet de tourbillon de la structure à cause de la séparation des fluides.

 

Troisième solution

Elle porte sur l’utilisation de matériaux innovants et intelligents qui changent de forme lorsqu’ils sont sollicités par des pressions aérodynamiques. Il est question ici d’alliages à mémoire de forme qui changent la forme aérodynamique du bâtiment. Ces matériaux, qui peuvent être de plusieurs types, ont comme caractéristiques de s’adapter aux charges du vent sans se briser, puis de reprendre leur forme initiale au retour à la normale.

 

Les deux premières solutions seraient relativement peu couteuses. Mais elles nécessitent néanmoins un apprentissage de l’intelligence artificielle pour leur contrôle en temps réel. La troisième, elle, peut se révéler plus onéreuse compte tenu du développement de matériaux issus des nouvelles technologies.

 

De la théorie à la pratique

Ces solutions demeurent encore au stade expérimental et leur application sur site reste à déterminer suivant les résultats des travaux de recherche. « Le Québec est très avancé dans le domaine aéronautique, poursuit le professeur Snaiki. Nous, on s’en inspire pour des applications dans le domaine du bâtiment. On a développé plusieurs modèles pour utilisation en soufflerie, plusieurs modèles basés sur l’intelligence artificielle que l’on peut partager avec des experts. Oui, les professionnels pourraient s’en servir pour leurs projets de conception de bâtiments de grande hauteur.»

 

Il existe déjà des bâtiments dotés de façades dynamiques, rappelle-t-il, même si elles n’ont pas spécifiquement pour objet de diminuer les effets du vent, étant plutôt conçues pour des fins de ventilation ou autres. C’est le cas de la tour Al Bahar aux Émirats arabes unis, d’un musée pour enfants à Pittsburgh et d’un stationnement dans un aéroport de Boston.

 

« On travaille sur l’aérodynamique des structures pour minimiser les charges du vent, souligne le chercheur, mais on peut aussi travailler sur la dynamique de la structure, soit sur la rigidité en augmentant les dimensions des éléments structuraux, soit sur l’amortissement en utilisant des amortisseurs ou des amortisseurs de masse accordée afin de minimiser les déplacements et l’accélération de la structure. Ce sont des systèmes déjà utilisés dans l’industrie. C’est le cas de la tour de Taipei à Taiwan, où il y a une grosse boule au sommet qui sert d’amortisseur de masse accordée. »

 

En résumé, même si de nombreuses études se concentrent sur la recherche de solutions pour des structures de grande hauteur exposées à des vents violents, elles peuvent se révéler également utiles pour des bâtiments de petite grandeur. Le professeur Snaiki est d’avis finalement que tous les types de bâtiments et structures sont inévitablement concernés par les changements climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes.