[Au tribunal] Appel d’offres en cours : interdiction pour le donneur d’ouvrage de négocier avec un tiers

9 septembre 2021
Par Yann-Julien Chouinard, avocat, Miller Thomson

Pendant la période de validité des soumissions, un donneur d’ouvrage peut être tenté de vérifier s’il peut obtenir un meilleur prix auprès d’autres entrepreneurs avant d’annuler l’appel d’offres.

En procédant ainsi, le donneur d’ouvrage s’assure que, si ses démarches échouent auprès d’un tiers, il pourra néanmoins octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire conforme.

 

Toutefois, en procédant ainsi, est-ce que le donneur d’ouvrage engage sa responsabilité envers les soumissionnaires dans l’éventualité où il décide d’octroyer le contrat à un tiers? Récemment, la Cour supérieure s’est penchée sur cette question dans l’affaire 9150-2732 Québec inc. c. Ville de Montréal[1].

 

Les faits

Au mois de juillet 2018, la Ville de Montréal (la « Ville ») lance un appel d’offres pour l’attribution de contrats de transport de la neige pour quatre lots, dont deux dans l’arrondissement de Ville-Marie. À l’ouverture des soumissions, le Groupe TMD (« TMD ») est le plus bas soumissionnaire conforme pour les deux lots de l’arrondissement de Ville-Marie.

 

La Ville considère cependant que les soumissions de TMD sont trop dispendieuses et décide de communiquer avec Transvrac, un courtier en transport, dans le but de conclure un contrat. Une fois l’entente intervenue avec Transvrac, la Ville informe TMD qu’elle se prévaut de la clause de réserve de sorte qu’aucun contrat ne lui sera octroyé.

 

Au mois de mai 2020, la Ville lance un autre appel d’offres pour les deux lots de l’arrondissement de Ville-Marie. Une fois de plus, TMD est le plus bas soumissionnaire conforme pour ces deux lots. Ses prix sont toutefois plus de 40 % supérieurs aux estimations de la Ville.

 

À nouveau, la Ville considère que le prix des soumissions de TMD est trop élevé et décide de contracter avec Transvrac. Une fois les contrats conclus avec Transvrac, la Ville informe TMD qu’elle se prévaut de la clause de réserve et annule l’appel d’offres.

 

À la suite de la nouvelle annulation de l’appel d’offres, TMD entreprend un recours contre la Ville afin de réclamer le profit que lui auraient rapporté les contrats s’ils lui avaient été octroyés. Bien qu’elle reconnaisse que la Ville pouvait annuler les appels d’offres, TMD soutient que la Ville ne pouvait pas négocier de gré à gré avec Transvrac alors que l’appel d’offres était toujours en vigueur puisque cela l’empêchait de soumissionner sur d’autres contrats.

 

De son côté, la Ville prétend que le prix soumissionné était trop élevé. Elle considérait donc être en droit de négocier des contrats de gré à gré et d’annuler par la suite les appels d’offres. La Ville invoquait l’exception prévue à l’article 573.3. de la Loi sur les cités et villes (« L.c.v. ») qui a pour effet de lui permettre de conclure des contrats de gré à gré avec un courtier en transport, tel que Transvrac.

 

La décision

Dans le cadre de sa décision, la Cour examine l’argument de la Ville à l’égard de l’article 573.3 L.c.v. et convient que la Ville a le droit de négocier de gré à gré avec Transvrac. La Cour considère toutefois que l’intention du législateur à l’égard de l’exception prévue à l’article 573.3 L.c.v. est de permettre à une municipalité de choisir l’une ou l’autre de deux voies : l’appel d’offres ou la négociation de gré à gré. Elle n’est pas de permettre à une municipalité d’utiliser la première voie pour ensuite changer d’idée et négocier de gré à gré avec un tiers.

 

Selon la Cour, même s’il est vrai que la négociation de gré à gré a permis aux contribuables de conclure un contrat à meilleur prix, un tel exercice peut avoir un effet délétère, entraînant ainsi une augmentation globale des coûts. En effet, cette tactique pourrait décourager les entreprises à participer aux appels d’offres étant donné le temps et l’argent à investir dans la préparation d’une soumission en plus d’empêcher ces entreprises de soumissionner sur d’autres projets.

 

La Cour en vient donc à la conclusion que la Ville ne pouvait transiger de gré à gré avec Transvrac, après avoir lancé un appel d’offres. En agissant comme elle l’a fait, la Ville a contrevenu à ses obligations légales et contractuelles. Elle n’a pas été transparente ni équitable, et a marchandé ses contrats. En d’autres mots, la Cour est d’avis que la Ville a commis une faute envers TMD en négociant avec Transvrac tout en maintenant en vigueur l’appel d’offres. TMD s’est donc vue octroyer les profits perdus pour ces contrats.

 

Conclusion

Cette décision est intéressante pour deux raisons. Premièrement, elle confirme qu’un donneur d’ouvrage contrevient à ses obligations en vertu du contrat A en négociant en parallèle avec un tiers pendant la période de validité des soumissions. Deuxièmement, afin de rendre sa décision, la Cour s’est inspirée d’une décision rendue dans une autre province, soit celle de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire Port Hawkesbury (Town) v. Borcherdt Concrete Products Ltd. Toutefois, la Ville a porté le jugement en appel de sorte qu’il faudra attendre pour voir si cette décision sera confirmée par la Cour d’appel.

 


1. 9150-2732 Québec inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCS 2899


 

Pour questions ou commentaires, vous pouvez joindre Me Yann-Julien Chouinard par courriel à ychouinard@millerthomson.com ou par téléphone au 514 871-5445.

 

Miller Thomson avocats

 

Miller Thomson avocats

 

Cet article est paru dans l’édition du 26 août 2021 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.