Héliporter les solutions sur les chantiers

10 mai 2024
Par Elizabeth Pouliot

Dans le nord-ouest de l’Ontario a présentement cours un des plus grands projets d’infrastructures de lignes électriques au Canada. Des difficultés d’accès ont donné du fil à retordre aux ingénieurs civils. Et ce sont des hélicoptères qui sont venus à leur rescousse !

Situés au nord de Thunder Bay, non loin de la frontière du Manitoba, le projet totalisera 2 000 kilomètres et permettra de relier 22 nations autochtones au réseau d’Hydro One. Ces villages étaient alimentés jusque-là par d’imposantes génératrices au diesel arrivées en fin de vie. « Elles devaient être remplacées à grands frais », explique Philippe Richard, président-directeur général (PDG) du Groupe LEG, une entreprise de génie civil spécialisée dans les fondations profondes. « Et le ravitaillement de diesel se faisait par avion pour la plupart de ces villages. Ils ont donc procédé à l’analyse des coûts et ont décidé de construire un réseau de lignes électriques qui serait raccordé à celui de la province. » Les lignes en cours d’installation appartiennent en partie aux Premières Nations (Wataynikaneyap Power) et en partie à Fortis, une compagnie canadienne qui donne dans l’énergie. Le client du Groupe LEG est Valard Construction, responsable du projet.

 

Taylor McNeil, surintendant de la construction chez Valard. Crédit : Gracieuseté

 

Les Premières Nations souhaitaient conserver leur territoire le plus intact possible. « Ils ont autorisé le déboisement pour l’emprise de la ligne de transmission, mais n’acceptaient pas qu’on construise des routes pour opérer durant la construction », précise Philippe Richard. Les ingénieurs se sont donc creusé les méninges et en sont arrivés à la seule conclusion possible à leurs yeux et selon leurs contraintes : héliporter l’équipement, l’outillage et les travailleurs. « Donc, partout où nous ne pourrions pas aller traditionnellement, nous utiliserions des hélicoptères », confirme Taylor McNeil, surintendant chez Valard.

 

Solidité, performance et poids

À partir de cette prise de décision cruciale, trois mots d’ordre allaient rythmer tous les choix futurs pour l’équipe de génie civil embauchée par Valard : solidité, performance et poids. Car en optant pour l’héliportage, tous s’imposaient un défi majeur : l’équipement pour installer des fondations à la fois capables de soutenir des pylônes et transportables par hélicoptère n’existait pas sur le marché. « La contrainte principale, quand on fait des projets héliportés, c’est le poids. Plus les équipements sont lourds, plus on doit grossir les hélicoptères. Et plus ceux-ci sont gros, plus ils coûtent cher à opérer et sont difficiles à trouver », indique le PDG du Groupe LEG.

 

Philippe Richard, président-directeur général du Groupe LEG. Crédit : Groupe LEG

 

Pour que le projet demeure économiquement viable, les ingénieurs ont restreint les charges à 8 500 livres et ont dû créer des équipements respectant ce maximum. « On a fabriqué des unités d’injection de coulis cimentaire, des paniers de transport et toutes sortes d’équipements spécialisés », illustre Philippe Richard. Le tout a d’ailleurs dû être réalisé dans un temps record : « On avait quatre mois pour concevoir les équipements, les fabriquer et les mettre en production ! » Le Groupe LEG a aussi fait affaire avec GeoRocFor, un fabricant de matériel de forage dont un système breveté permettant de forer et d’installer un tuyau dans le sol de façon simultanée. « La particularité de notre produit, précise Luc Charland, président de GeoRocFor, c’est qu’il rend faisable l’installation de tuyaux de grand diamètre par rapport à la grosseur des foreuses utilisées. Pour l’ingénieur, limité quant au poids du matériel de forage, l’utilisation de très petites foreuses était de mise. »

 

Accessibilité, sécurité et communication

Au cours de l’année 2023, un véritable ballet d’hélicoptères a traversé le ciel ontarien pour atteindre le chantier de Wataynikaneyap Power. Près de 50 appareils de classes Super Puma et Bell 407 ont été réquisitionnés. Les pilotes réalisaient plusieurs voyages par jour, transportant tantôt du matériel, tantôt des travailleurs. En amont, tout avait été calculé. Chaque transport avait été prévu d’avance, et chaque cargaison aussi. « On a déterminé le nombre de lifts par site qu’on devait faire en le limitant au minimum », souligne le PDG du Groupe LEG.

 

Armés de scies à chaîne, des travailleurs ont abattu des arbres et les ont placés parallèlement au sol afin de créer des plateformes temporaires pour accueillir les équipements. Crédit : Groupe LEG

 

Et d’autres défis attendaient les ingénieurs au bout du voyage, une fois l’hélicoptère atterri, comme les travaux devaient être réalisés sur des terrains boueux, marécageux et avec une faible capacité portante. « Quand on a accès par la route, nos équipes préparent le site en installant des stations de flottaison et en enlevant la partie végétale pour optimiser l’opération quand les équipements lourds arrivent, explique Philippe Richard. Mais quand on dépose tout en hélicoptère, c’est bien différent : il faut que tout soit fait manuellement. » Ainsi, armés de scies à chaîne, des travailleurs coupaient des arbres et les plaçaient parallèlement au sol afin de créer des plateformes temporaires pour accueillir les foreuses, par exemple.

 

La sécurité des travailleurs et l’évacuation éventuelle de blessés ont aussi dû être étudiées préalablement. « Il fallait s’assurer que, s’ils avaient à dormir sur le site, les travailleurs auraient accès à un abri, à de l’eau potable et à de la nourriture. De plus, il fallait prévoir le positionnement des hélicoptères si une évacuation d’urgence était nécessaire », souligne Philippe Richard. En effet, comme plusieurs sites étaient actifs en même temps, positionner les appareils de vol au bon endroit demandait une logistique complexe afin de minimiser le temps du trajet en cas d’incident.

 

Finalement, que ce soit pour la sécurité ou pour les opérations quotidiennes de construction, un système de communication efficace était essentiel pour un tel chantier. « Connexions Internet, téléphones satellites, radio portative FM : nous avons mis en place plusieurs couches de communication pour pouvoir bien communiquer avec tous les membres de l’équipe dans les différentes installations », poursuit-il. La partie génie civil s’étant achevée à l’automne 2023, le « gigantesque » projet tire à sa fin et devrait se boucler au cours de l’année 2024. D’autres équipes, toujours sur place, érigent maintenant les pylônes et tirent les conducteurs.

 

« C’était notre première expérience dans ce domaine extrêmement niché et ça a été une grande réussite », termine le PDG, qui compte bien poursuivre le développement de cette nouvelle expertise au sein de son entreprise. Et la compagnie Valard, quant à elle, retenterait-elle l’expérience ? Et que conseillerait-elle aux téméraires qui souhaiteraient se risquer dans une telle aventure ? « Nul doute, pour nous, cela a bien fonctionné. Toute l’équipe était fantastique. Alors, avant même de vous lancer, je vous dirais de vous entourer de la meilleure équipe possible… et de maintenir le poids aussi bas que possible ! », conclut Taylor McNeil.