[Au tribunal] Le sursis d’une décision du BIG est exceptionnel

23 octobre 2020
Par Me Yannick Forget, associé Miller Thomson

Le 11 aout dernier, le tribunal rendait jugement dans l’affaire Beauregard Environnement ltée c. Inspectrice générale de la Ville de Montréal[1]. Ce jugement a été rendu dans le cadre d’une demande visant à suspendre l’exécution d’une décision prononcée par une inspectrice du Bureau de l’inspecteur général (« BIG ») de la Ville de Montréal.

Cette décision apporte certains éclaircissements quant à la possibilité pour un entrepreneur de surseoir aux impacts d’une décision prise par la Ville à la suite d'une décision du BIG.

 

Les faits

À l’été 2019, le BIG enquête sur l’exécution de certains « contrats de nettoyage et de vidange complète des puisards et des chambres de vannes, incluant le transport et l’élimination des résidus » octroyés à Beauregard, la demanderesse, par la Ville de Montréal entre juin et septembre 2019.

 

Dans le cadre de l’exécution de ces contrats, Beauregard retenait les services d’un sous‑traitant pour assurer le transport et l’élimination des résidus à un site dûment autorisé en Ontario.

 

Or, lors de son enquête, le BIG a constaté que les résidus n’étaient pas transportés au site autorisé. Ils étaient plutôt déposés sur un terrain agricole appartenant au sous-traitant.

 

Suivant cette enquête, le BIG recommande à la Ville l’annulation de plusieurs contrats d’une valeur totale de 4,5 millions de dollars et l’ajout des personnes liées à Beauregard sur la liste des personnes non admissibles à contracter avec la Ville. Dans les mois qui ont suivi et après avoir obtenu les explications écrites de Beauregard, la Ville a donné suite à la recommandation du BIG de sorte que les contrats furent annulés.

 

Le jugement

Beauregard réclame le sursis de cette décision. Selon elle, plusieurs stipulations de la Charte de la Ville de Montréal sur lesquelles la décision du BIG est fondée sont inconstitutionnelles. Elle ajoute que le processus manque d’impartialité. De plus, elle soutient que le droit d’être entendu dans le contexte de l’enquête entreprise requiert la tenue d’une audience. Beauregard allègue aussi que certains agissements des enquêteurs du BIG démontrent un manque d’impartialité.

 

Le tribunal rappelle que le sursis de ce type de décision est exceptionnel. Dans ce contexte qui s’apparente à une injonction mandatoire, la demanderesse Beauregard  doit démontrer :

 

  • une forte apparence de droit qu’elle obtiendra gain de cause au procès;
  • qu’elle subirait un préjudice irréparable;
  • qu’elle subirait des inconvénients supérieurs à ceux de la Ville.

 

Forte apparence de droit qu’elle obtiendra gain de cause au procès
Le tribunal rappelle que le rôle du BIG est administratif et que ses décisions peuvent être infirmées par le conseil municipal. Le tribunal juge que Beauregard avait amplement l’occasion de présenter ses observations, par écrit, de sorte que les règles de la justice naturelle furent respectées. Rien n’obligeait la Ville à permettre à Beauregard d’être entendue en personne.

 

Ainsi, selon le tribunal, Beauregard pourrait difficilement démontrer que la décision du BIG devrait être annulée pour défaut de respecter l’équité procédurale. De plus, le tribunal conclut qu’il est douteux que la demanderesse puisse faire invalider certaines des stipulations de la Charte de la Ville de Montréal.

 

Ainsi, le critère de la forte apparence de droit n’est pas satisfait.

 

Un préjudice irréparable
Le tribunal est d’avis que les pertes que subirait Beauregard par la perte des contrats dont elle est privée à la suite de la décision de la Ville sont pleinement compensables en dommages-intérêts dans l’éventualité où il était démontré que cette décision était fautive.

 

Balance des inconvénients
Selon le tribunal, il semble très incertain que la suspension temporaire de la décision du BIG fasse en sorte que ceux qui ont annulé des contrats vont les réinstaurer. De plus, le tribunal est d’avis qu’il ne faut pas perdre de vue que le sursis de la décision forcerait la Ville à faire affaire avec une entreprise avec qui elle a mis un terme à ses relations.

 

Le juge conclut que la balance des inconvénients favorise la Ville.

 

Conclusion

Le tribunal rejette donc la demande de sursis de la demanderesse.

 

À retenir

Bien que chaque dossier doive être analysé dans son contexte, il faut retenir de ce jugement qu’il sera très difficile pour un entrepreneur de faire suspendre les effets d’une décision de la Ville prise à la suite des recommandations du BIG. Il sera intéressant de suivre le cheminement de ce dossier afin de connaître la position du tribunal quant à l’équité procédurale et la validité des dispositions de la Charte de la Ville de Montréal.

 


1. Beauregard Environnement ltée c. Inspectrice générale de la Ville de Montréal, 2020 QCCS 2616.


Pour questions ou commentaires, vous pouvez joindre Me Yannick Forget par courriel au yforget@millerthomson.com ou par téléphone au 514 905-4216.

 

Miller Thomson avocats

 

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Cet article est paru dans l’édition du 9 octobre 2020 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.