Montréal face aux défis de la densification urbaine

21 septembre 2022
Par Isabelle Pronovost

Après être passée par diverses phases de développement, Montréal fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats quant à son aménagement. Réflexions d’un architecte et urbaniste sur l’avenir de la métropole.

Montréal a connu trois grandes phases de croissance. Il y a d’abord eu la fondation de Ville-Marie au 17e siècle, marquée par le développement de bourgs fortifiés le long du fleuve Saint-Laurent. Quelque deux cents ans plus tard, l’industrialisation vient modifier le paysage montréalais. « On est partis d’une économie de transport, tête de proue de la colonie, à une ville qui commence à s’industrialiser. C’est une période vraiment importante, qui a donné la configuration de la majeure partie des quartiers centraux de Montréal », raconte François Racine, architecte, urbaniste et professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal.

 

François Racine, architecte, urbaniste et professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Crédit : Émilie Tournevache, UQAM

 

L’apparition de grands ensembles d’usines, notamment aux abords du canal de Lachine, s’accompagne d’un boom de construction résidentielle sur d’anciennes terres agricoles. C’est à ce moment que naissent les duplex et triplex, une forme d’habitation typique de l’ère industrielle et qu’on retrouve aussi dans quelques villes comme Sherbrooke et Shawinigan. Les municipalités qui n’ont pas connu d’industrialisation sont plutôt passées directement de village à banlieue.

 

Dans la région montréalaise, le développement des banlieues, d’abord vers les secteurs est et ouest de l’ile, puis dans les couronnes nord et sud, est lié à la mise en place des réseaux d’autoroutes dans les années 60 et 70. Cette troisième période de croissance se démarque par l’apparition d’ensembles pavillonnaires.

 

Une ville axée sur les services

À mesure que les grandes industries périclitent et que l’étalement urbain prend de l’ampleur, le centre-ville se spécialise pour devenir un pôle tertiaire. Apparaissent alors les tours de bureaux, dont l’emblématique Place Ville Marie. « C’est là qu’on a commencé à avoir une autre façon de vivre, d’instaurer un mode de vie plus axé sur une économie tertiaire où la ville devient le lieu de travail et les gens habitent la banlieue », explique François Racine. Montréal demeure tout de même attractive en raison de sa grande concentration de services, de la qualité de ses universités, de ses centres de recherche.

 

Elle se démarque des autres municipalités de la province par son infrastructure de transport public de très grande qualité, qui permet bien souvent de vivre sans voiture. La ville agit également comme porte d’entrée à la fois pour les immigrants et les gens des régions venus acquérir un mode de vie plus urbain. « Montréal est vraiment un centre d’intégration économique et aussi sociale », souligne l’architecte et urbaniste.

 

Repenser le logement

Malgré ses nombreux atouts, Montréal a connu des années difficiles. « Dans les années 80-90 à 2000, c’était plutôt une période de marasme économique, justement à cause de la désindustrialisation de Montréal et de la fuite des familles de la classe moyenne vers la banlieue. La ville a été plutôt laissée à l’abandon. Et là, on est en train de faire un rattrapage assez phénoménal », indique François Racine. Un rattrapage qui concerne surtout la construction résidentielle, un secteur longtemps négligé au profit du développement de bureaux.

 

Bien que la nécessité de construire plus de logements fasse l’unanimité, plusieurs questions se posent quant au type d’habitation à privilégier. Est-ce du locatif, de la copropriété ou bien d’autres formes d’habitat ? Dans quel barème de prix ? Mais surtout, à quel niveau de densification ? François Racine pense qu’on pourrait s’inspirer du Plateau-Mont-Royal, où la densité moyenne de 40 à 50 logements par hectare est tout à fait adéquate pour les familles, contrairement à Griffintown qui, avec des plateaux de 100 à 150 logements par hectare, offre un style d’habitation qui ne répond pas à tous les besoins. Il évoque aussi le Faubourg Québec, ce quartier à l’est du Vieux-Montréal qui, en combinant divers types de bâtiments, favorise une certaine mixité sociale. « Il y a vraiment à réfléchir sur une façon de faire du développement dense où on retrouve des gabarits de quatre ou cinq étages, qui peuvent aussi être des gabarits plus hauts de huit ou neuf étages, et qui auraient la même densité que si on mettait 10 tours une à côté de l’autre. »

 

Intégrer le développement durable

Densifier, oui, mais densifier les secteurs bâtis existants le long des pôles de transport collectif s’avère essentiel afin de contrer l’étalement urbain et les problèmes environnementaux qu’il entraine. D’ailleurs, la place de la voiture est de plus en plus remise en question. Dans plusieurs arrondissements, on élargit les trottoirs, on aménage des rues partagées ou on retire des cases de stationnement pour créer des pistes cyclables. « Sur le plan du génie routier, il y a toute une nouvelle réflexion qui intègre des notions de qualité du design urbain et des notions de partage de la rue où on n’est plus juste dans le paradigme des années 70, qui voit celle-ci comme un tube pour faire passer les autos le plus vite possible », soutient François Racine.

 

L’urbaniste croit que les solutions d’aménagement ne doivent pas seulement venir des promoteurs immobiliers, mais d’une concertation avec la population, les experts et les élus. C’est en réalisant des exercices de codesign qu’il sera possible de développer des quartiers qui intègrent du transport, des services et des parcs, et qui feront en sorte que « vivre en ville, ça devienne quelque chose de désirable et valorisé ».

 

MONTRÉAL EST-ELLE SATURÉE ?

Non, croit François Racine. Selon lui, il reste énormément d’emprises, de surfaces et de bâtiments sous-utilisés. Il compare d’ailleurs Montréal à une courtepointe inachevée, pleine de trous. L’architecte et urbaniste donne l’exemple de la Place Simon-Valois, dans Hochelaga-Maisonneuve, une ancienne emprise industrielle parsemée de terrains vacants transformée en place publique bordée d’habitations et de commerces. Il propose également de redévelopper de petits mails commerciaux en déclin. « On fait le recyclage de nos objets; la ville aussi, on peut la recycler. Il y a beaucoup de possibilités. Ça prend juste un peu d’imagination, un bon design urbain et une culture politique pour refaire la ville sur elle-même. »

 


Cet article est tiré du Dossier régional – Montréal 2022, accessible gratuitement ici.
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