Centre de transport Bellechasse : voyage au centre de la terre

1 avril 2020
Par Marie Gagnon

Sous des dehors futuristes se dessine à Montréal le premier garage étagé souterrain en Amérique du Nord. Bienvenue au centre de transport Bellechasse.

Rien à voir avec le célèbre roman de Jules Verne. Et pourtant, lorsqu’en mars 2019 la Société de transport de Montréal (STM) inaugure les travaux d’excavation du centre de transport (CT) Bellechasse, elle pose également la pierre d’assise de ce qui deviendra le premier centre de transport étagé au Canada et le premier garage souterrain en Amérique du Nord. Et propulse du même coup le transport en commun dans une nouvelle ère.

 

Le CT Bellechasse, faut-il le rappeler, est l’un des piliers sur lesquels s’appuie la STM pour accueillir les 300 bus hybrides dont l’acquisition, initialement prévue en 2025, a été devancée à 2020. Face à l’urgence, la STM doit se doter rapidement des infrastructures nécessaires à l’exploitation de ces véhicules supplémentaires. D’autant plus que le vieux garage Saint-Denis, qui date d’une soixantaine d’années, fermera ses portes en 2022.

 

Toutefois, dès son annonce, le projet d’une valeur de 254 millions de dollars suscite des inquiétudes dans le quartier : il consiste en un bâtiment de 37 000 mètres carrés (msup>2) hors sol. Qui plus est, dans un quadrilatère fortement urbanisé compris entre l’avenue de Gaspé et les rues Marmier, Bellechasse et Saint-Dominique, où l’on retrouve presque autant de commerces que d’habitations. Ce genre de bâtiment est habituellement de plain-pied, mais l’exiguïté du site, qui fait 26 000 m2, ne le permet pas.

 

Il faut construire en hauteur. « On se préparait à bâtir l’équivalent d’un gros stade de football, commente Guillaume Leroux, directeur de projet à la STM. Les citoyens craignaient pour leur sécurité. Ils se sont plaints aussi que le garage leur couperait la vue sur le mont Royal. »

 

Intégration urbaine

Pour rendre le projet acceptable aux yeux des citoyens, la STM a donc retravaillé le concept afin qu’il soit moins visible. Pour ce faire, elle s’est inspirée du modèle d’affaires de la Régie autonome des transports de Paris (RATP), qui a notamment développé un savoir-faire incontesté en matière d’ateliers souterrains. Signée Lemay, la nouvelle mouture de 95 900 m2 sera en grande partie enfouie sous terre.

 

Coupe transversale des trois niveaux en sous-sol - Image : STM

 

En gros, le futur garage sera composé de trois niveaux en sous-sol et de deux niveaux hors terre, aménagés en fonction des usages. Le troisième et dernier sous-sol servira ainsi de stationnement à quelque 210 bus. Le niveau suivant sera pour sa part consacré aux installations techniques. Il logera les chargeurs et les postes de transformation qui serviront à alimenter les autobus en l’électricité, en plus des systèmes mécaniques et électriques usuels.

 

Quant au premier sous-sol, il sera consacré à l’entretien des véhicules. Il comptera quatre baies d’entretien au sol et quinze baies à vérin. Ce niveau, qui servira également à l’entreposage des consommables, comme le lave-glace, le carburant et l’urée des systèmes antipollution, sera augmenté de deux mezzanines aménagées en stationnement pour les employés.

 

En surface, le rez-de-chaussée aura pour seule fonction de permettre l’entrée et la sortie des véhicules. « C’est par ce niveau que les autobus et les véhicules de livraison accéderont aux rampes intérieures, indique Guillaume Leroux. Juste au-dessus, à l’étage, on a prévu les bureaux administratifs et les espaces desti nés aux employés, comme le gymnase, la cafétéria et la salle de repos. »

 

Cette portion supérieure est cependant tout sauf banale. Inspirée de l’esprit du lieu, elle se distingue par sa volumétrie futuriste de forme circulaire qui accueillera, en son centre, un espace végétalisé accessible à la collectivité. Un bel exemple d’intégration urbaine et sociale.

 

Échéancier serré

Mais le temps presse. La mise en service du CT Bellechasse est prévue pour janvier 2022; le bâtiment doit donc être complété au plus tard en décembre 2021. De construire en souterrain suppose toutefois des travaux d’excavation plus longs que d’ordinaire. Il faut en effet creuser à travers trois mètres (m) de mort-terrain et 18 m de roc. Au final, c’est près d’un million de tonnes métriques de roc qu’il faudra extraire du sol. Ce qui a poussé la STM à changer son fusil d’épaule en termes d’exécution.

 

« On avait prévu deux lots au départ, signale Guillaume Leroux. Soit un contrat pour la décontamination et l’excavation, confié à Pomerleau Excavation, et un autre, à forfait, pour la construction comme telle. Mais l’échéancier est tellement serré qu’on a préféré transformer le second lot en mandat de gérance de construction, un contrat remporté par Pomerleau Construction. »

 

Début mars, le projet comptait environ 42 lots. Mais la donne pourrait encore changer, la stratégie devant faire l’objet d’une révision avec le gérant de construction et les professionnels, dont BPA, pour le volet mécanique et électrique, et SNC Lavalin, pour ce qui est des travaux civils et de structure. Car ce sont eux qui doivent jongler avec les défis que sous-tendent le concept architectural et les conditions de sol.

 

Défis relevés

L’excavation, qui est complétée à 95 pour cent (%), constituait à elle seule un véritable casse-tête, puisqu’il fallait creuser jusque sous la nappe phréatique. Un système de pompage a donc été mis en place pour évacuer l’eau de la fosse. Une fois le garage en service, les eaux d’infiltration seront par ailleurs récupérées et réutilisées pour le lavage des bus et l’irrigation des espaces verts sur le toit.

 

La vocation de l’édifice est également venue pimenter le jeu. Normalement, en souterrain, les ingénieurs auraient eu recours à une structure de béton. « Mais comme on a besoin de très grandes portées pour le virage des autobus, on a spécifié de l’acier, note le gestionnaire. Sauf que l’acier n’est pas adapté aux conditions souterraines, on doit donc le protéger avec un enduit pour empêcher sa corrosion. »

 

Par ailleurs, l’alimentation des bus électriques nécessite l’installation de panneaux de distribution beaucoup plus importants, soit de 15 mégawatts (MW) plutôt que les entrées électriques habituelles d’au plus 3 MW. À cette fin, le centre disposera de deux modes de recharge, par pantographe et par pistolet. Des choix pris en compte dans le design du bâtiment puisqu’il faut compter des dégagements plus importants, selon que la recharge se fait par le toit ou le côté du véhicule.

 

Sur le plan de la mise en oeuvre, les équipes devront en outre composer avec l’exiguïté du site. Le centre occupe à lui seul 74 % du site, ce qui laisse peu de marge de manoeuvre pour la mobilisation et l’approvisionnement au chantier. « L’arrondissement nous a permis d’aménager, sur le domaine public, une aire d’attente pour les camions, mentionne Guillaume Leroux. Il faut quand même être capables de circuler sur le site. »