Les changements climatiques, un obstacle au projet du chemin de fer de la Gaspésie

19 mai 2022
Par Isabelle Pronovost

Les travaux s’amorcent cette année sur le deuxième tronçon du chemin de fer de la Gaspésie, dont la réalisation est retardée en raison des bouleversements climatiques.

Âgé de plus d’un siècle, le chemin de fer de la Gaspésie a cruellement manqué d’amour au cours des dernières décennies. À un point tel qu’en 2013, le transport de passagers a dû être interrompu pour des raisons de sécurité. Le transport des marchandises a quant à lui été maintenu, mais seulement sur le premier tronçon, reliant Matapédia et Caplan, et non sur l’ensemble de la voie ferrée, qui s’étend sur 325 kilomètres (km) jusqu’à Gaspé.

 

En mai 2015, le gouvernement du Québec est devenu propriétaire de cette infrastructure ferroviaire et en a entrepris la réhabilitation, deux ans plus tard. Une tâche colossale considérant que le chemin de fer comporte 183 passages à niveau, 860 passages de ferme, 699 ponceaux, 33 murs de soutènement, un tunnel et 66 ponts. « Les principaux travaux à effectuer sont des réparations d’infrastructures, de ponts et ponceaux, de murs de soutènement, de protection contre l’érosion. Ils sont nécessaires parce que ç’a manqué d’entretien pendant les 30-40 dernières années », résume Luc Lévesque, directeur général de la Société du chemin de fer de la Gaspésie. Un montant de 235 millions de dollars a été réservé pour ce chantier d’envergure, dont 100 millions ont déjà été investis.

 

Luc Lévesque, Directeur général de la Société du chemin de fer de la Gaspésie. Crédit : Sarah Gagnon

 

Deux types de travaux sont entrepris : le renouvellement des structures arrivées à la fin de leur vie utile et le maintien des actifs. Ce dernier comprend notamment le remplacement de traverses et de rails, l’épandage de ballast et l’amélioration de signaux lumineux aux passages à niveau. Pour faciliter sa réalisation, le projet a été découpé en trois : Matapédia à Caplan (126 km), Caplan à Port-Daniel–Gascons (72 km) et Port-Daniel–Gascons à Gaspé (127 km).

 

Trois tronçons

Sur le premier tronçon, les travaux prévus en 2022 concernent principalement le maintien d’actifs : remplacement de tabliers, installation de rails et déboisement. À la fin de décembre 2020, deux nouveaux ponts à Cascapédia–Saint-Jules ont été mis en service, ce qui a permis aux trains de marchandises de recommencer à circuler normalement.

 

Les travaux sur le deuxième tronçon accusent du retard, la mise en service ayant été reportée à 2024 plutôt que cette année. « C’est le tronçon qu’on attend avec grande impatience. Il n’y a pas de travaux présentement, mais un appel d’offres pour un pont est en cours et huit autres sortiront cette année », mentionne Luc Lévesque. En effet, un appel d’offres a été publié le 24 février dernier pour la reconstruction de la structure à Caplan–Saint-Siméon.

 

Parmi les travaux majeurs réalisés sur le tronçon entre Caplan et Port-Daniel–Gascons figurent la réhabilitation de la structure à Port-Daniel–Gascons (PM 23.00), dont le parachèvement est prévu en 2022, et la reconstruction de la structure à Caplan (PM 80.90) surplombant le ruisseau Watt. Crédit : MTQ

 

Suivront dans les prochaines semaines des demandes de soumissions pour la réhabilitation des ponts de Bonaven ture, de Shigawake et de la Petite rivière Port-Daniel. Parmi les autres chantiers prévus en 2022 mentionnons plusieurs travaux à Port-Daniel–Gascons, dont le remplacement du ponceau qui enjambe le ruisseau Castilloux, l’élargissement du tunnel et le déplacement de la voie ferrée sur 1,4 km près de la cimenterie.

 

Quant au troisième tronçon, l’échéancier initialement annoncé pour 2025 a été repoussé à une date indéterminée. C’est que cette partie du trajet comporte de nombreux défis liés aux conditions géologiques et côtières. Par exemple, certains bancs de sable sur lesquels passe la voie ferrée ont été submergés et plusieurs glissements de terrain ont été

 

Christine Nget, Conseillère en communication au ministère des Transports du Québec. Crédit : Justin Fugère-Henry

 

En fait, les changements climatiques — dont les nombreuses tempêtes qui se sont multipliées au cours des dernières années — affectent le projet dans son ensemble. « À l’été 2021, des inspections additionnelles ont été réalisées et ont dévoilé des problématiques d’érosion et des dommages plus importants que prévus sur certaines structures, donc qui nécessitent des travaux plus complexes », explique Christine Nget, porte-parole du ministère des Transports du Québec. Par exemple, les analyses préliminaires laissaient entrevoir des travaux de réhabilitation plutôt que de reconstruction pour le pont de Caplan–Saint-Siméon. « Il y a aussi des murs de soutènement qui doivent être construits dans plusieurs secteurs proches des falaises de Port-Daniel– Gascons. Des travaux d’enrochement sont également prévus afin de tenter de limiter les répercussions de l’érosion sur les infrastructures ferroviaires », ajoute-t-elle.

 

Le report de l’échéancier laisse craindre non seulement pour la reprise du transport des marchandises sur l’ensemble du tracé, mais aussi pour celui des passagers. VIA Rail espère offrir de nouveau le service aux voyageurs, mais seulement si la voie complète de Matapédia à Gaspé est restaurée. L’entreprise affirme à ce sujet qu’elle a l’intention « de rétablir le service en Gaspésie une fois les travaux complétés, lorsque les voies seront jugées sécuritaires pour le service ferroviaire voyageur et que l’infrastructure permettra le service jusqu’à Gaspé avec des temps de parcours et des vitesses raisonnables ».

 

UNE SOMBRE HISTOIRE

La construction du chemin de fer de la Gaspésie, à la fin du XIXe siècle, s’est avérée pour le moins tumultueuse et interminable. Ayant vu le jour avec la création, en 1871, de la Compagnie de la baie des Chaleurs — une firme privée de chemin de fer —, le projet avait comme objectif de relier Matapédia et Paspébiac en dix ans. Ce réseau se voulait en quelque sorte une branche gaspésienne du chemin de fer Intercolonial, qui effectuait le trajet entre Rivière-du-Loup et Halifax. À l’échéance de 1882, pas un seul kilomètre de rail n’avait été posé.

À la suite de nombreux changements de propriétaires et de délais supplémentaires, le train circulait finalement pour la première fois en 1894, entre Matapédia et Caplan, puis se rendait jusqu’à Paspébiac, en 1902. Mais ce n’est qu’en 1911 que Gaspé était enfin desservie, après quarante années de déboires financiers et politiques qu’on appellera plus tard le « scandale du chemin de fer de la baie des Chaleurs ».