L’érosion des berges gagne du terrain dans l’est du Québec

10 mai 2022
Par Mathieu Ste-Marie

Les changements climatiques accélèrent l’érosion des berges, menaçant de submerger des milliers de bâtiments et de kilomètres de routes qui bordent les cours d’eau dans l’est du Québec. Heureusement, des solutions existent pour freiner cet inquiétant phénomène.

Tempêtes, fonte des glaces, montée des eaux : les causes de la dégradation des côtes sont multiples et risquent de s’amplifier dans les prochaines années à cause du réchauffement climatique. « Nous avons maintenant des hivers avec peu ou pas de glace, qui est un élément de protection important puisqu’il limite les vagues au large. De plus, avec le niveau de la mer qui monte, les vagues atteignent la côte plus rapidement », s’inquiète Susan Drejza, géographe et professionnelle de recherche à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

 

Les tempêtes, elles, sont plus nombreuses et plus virulentes que par le passé. « Une seule tempête peut faire reculer la berge de 10 à 15 mètres. Cela a un impact énorme! », observe Mathieu Leclerc, ingénieur civil et chef d’équipe du module des aléas naturels et de l’adaptation aux changements climatiques de la direction générale du Bas-Saint-Laurent–Gaspésie–Iles-de-la-Madeleine au ministère des Transports du Québec (MTQ).

 

Tempête ou pas, le recul des berges peut varier en général de 10 centimètres à plusieurs mètres annuellement selon les endroits. Un phénomène irréversible auquel doivent s’attaquer les experts et les autorités publiques.

 

Depuis près de 20 ans, le Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières de l’UQAR dresse un portrait des infrastructures exposées à l’érosion. À l’heure actuelle, les chercheurs du Laboratoire suivent attentivement environ 5 500 infrastructures qui sont dans une situation à risque sur la Côte-Nord, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie.

 

« L’intégralité de nos villes et nos villages sont en zone côtière. Ils sont tous installés sur le bord de l’eau. Or, la côte, c’est un milieu naturel, ce n’est jamais stable. C’est ce qui cause le problème », souligne Susan Drejza.

 

Susan Drejza, géographe et professionnelle de recherche à l’UQAR. Crédit : Sylvio Demers

 

Par exemple, sur la Côte-Nord, plus de 50 % des collectivités côtières abritant près de 100 000 personnes sont à moins de 500 mètres des rives. Autre exemple inquiétant : à Sept-Iles, 80 % du littoral est constitué de structures très vulnérables à l’érosion de la mer.

 

Heureusement, plusieurs Municipalités ont produit des cartes de sécurité qui indiquent aux promoteurs et aux résidents de ne pas bâtir de maisons ou autres infrastructures sur certains sites vulnérables. « Il y a des gens qui habitent dans ces zones-là, mais il n’y aura pas d’autres habitations qui y seront construites », précise Susan Drejza.

 

La situation est également précaire pour les routes dans l’est du Québec, dont la majorité longe le fleuve Saint-Laurent ou le golfe du Saint-Laurent. C’est principalement le cas de la route 132 et de la route 138, qui traversent le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et la Côte-Nord.

 

D’ailleurs, le MTQ surveille 273 segments de route dans 59 municipalités menacées par l’érosion côtière. Parmi ces segments, 27 kilomètres de route sont menacés de façon imminente, c’est-à-dire qu’une tempête pourrait endommager le tronçon routier. Le pire est arrivé en décembre 2016 dans le village de La Martre, en Gaspésie, alors qu’une tempête a créé l’affaissement d’une portion de la route 132, qui est carrément tombée à l’eau.

 

Déplacer ou protéger

Devant une telle menace pour plusieurs infrastructures, deux choix s’offrent aux autorités publiques : les déplacer ou les protéger.

 

« On évalue toujours s’il y a un potentiel intéressant de déplacement de la route ou pas en nous basant sur certains critères. Nous regardons notamment si le tronçon est en milieu urbain et s’il y a des contraintes géotechniques. Par exemple, en Gaspésie, ces contraintes peuvent être très élevées puisqu’il y a des montagnes », indique Mathieu Leclerc, du MTQ.

 

Si des routes ont déjà été déplacées, des bâtiments sont occasionnellement déménagés ou tout simplement détruits. Ainsi, ces dernières années, dans le secteur de Clarke City, à Sept-Iles, les grandes marées ont fait disparaître cinq mètres de falaise. Les résidences ont donc dû être démolies ou déménagées en raison du risque d’effondrement.

 

À Longue-Pointe-de-Mingan, une municipalité d’à peine 400 habitants sur la Côte-Nord, des résidences à risque d’être submergées ont été relocalisées. « Des résidences sont déplacées dans des secteurs moins denses où l’érosion est moins rapide. Mais est-ce qu’on pourrait déménager le centre-ville de Saint-Anne-des-Monts ou le centre-ville de Sept-Iles ? Non ! », s’exclame la géographe.

 

Solutions inadéquates

Lorsque le déménagement n’est pas possible, des ouvrages de protection sont installés pour freiner la progression de l’érosion des berges. Actuellement, environ 17 % des côtes du territoire du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine ont ce type d’ouvrage. Et dans 98 % des cas, ce sont des enrochements ou des murs. Or, ces structures réflectives ne représentent pas toujours la meilleure solution, notamment sur les plages.

 

« Dans les milieux sableux, une réflexion de la vague va avoir des effets négatifs sur la capacité naturelle du milieu à absorber la vague et sur les écosystèmes côtiers. Bref, cela mène à la disparition de la plage », indique Philippe Sauvé, doctorant en sciences de l’environnement à l’UQAR.

 

Philippe Sauvé, doctorant en sciences de l’environnement à l’UQAR. Crédit : Laurie Desrosiers-Leblanc

 

Après avoir effectué une vaste revue de la littérature sur les études concernant les effets des ouvrages de protection, l’étudiant de l’UQAR a développé un algorithme qui aide les ingénieurs à choisir la meilleure intervention sur un site. En structurant l’information et en rendant accessible des études, il permet à l’ingénieur de savoir quelle est la meilleure solution pour chaque site, dont les caractéristiques varient d’une place à l’autre.

 

« Historiquement au Québec, nous avons appliqué une solution unique sans égard aux caractéristiques locales du site d’intervention. Il faut prendre le temps d’analyser ces caractéristiques et de choisir une solution qui est adaptée au site », explique Philippe Sauvé.

 

Selon lui, les murs et les enrochements sont utiles près des falaises, mais sont peu adaptés aux autres sites. Les recharges de plages, des épis maritimes, des brise-lames et des techniques végétales sont des solutions qui gagneraient à être davantage utilisées au Québec, croit-il.

 

Un vent de changement

La situation est sur le point de changer, soutient toutefois l’ingénieur Mathieu Leclerc. « Beaucoup de projets avec des brise-lames vont se faire prochainement. À Percé, la Ville a un gros projet de recharge de plage. Même chose aux Iles-de-la-Madeleine. Il faut adapter le type d’ouvrage à chaque situation. »

 

Mathieu Leclerc, ingénieur civil et chef d’équipe du module des aléas naturels et de l’adaptation aux changements climatiques de la direction générale du Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine au MTQ.  Crédit : Éliane Gaulin-Leclerc

 

En effet, à Percé, la recharge de plage doit s’étendre sur une distance de 900 mètres pour protéger les berges et les infrastructures. Ce projet de 23 M$ comprend notamment la construction d’une nouvelle promenade et des aménagements récréotouristiques.

 

Aux Iles-de-la-Madeleine, 32 M$ ont été investis depuis 2018, entre autres dans les recharges de plages du site de La Grave et à Cap-aux-Meules. D’autres projets devraient être annoncés sous peu pour protéger les berges des Iles.

 

Protéger les routes

Des sommes sont également investies pour sécuriser la route 132. En 2019, Québec et Ottawa ont annoncé qu’une enveloppe de 26,4 M$ était disponible pour construire et réparer des ouvrages de protection côtière, stabiliser les berges et relocaliser des segments de route afin de préserver l’intégrité des infrastructures en Haute-Gaspésie.

 

Puis, l’an dernier, le MTQ a entamé un programme d’intervention d’envergure pour protéger des infrastructures dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie–Iles-de-la-Madeleine. Toutefois, l’étude incluse dans le programme se terminera seulement au printemps 2024 et aucune intervention majeure en découlant ne pourra être effectuée avant 2026.

 

D’ici ce temps, les tempêtes et la montée des eaux auront sans doute le temps de faire des dégâts importants sur plusieurs portions de la route 132 et de la route 138.