Est du Québec : une croissance démographie éphémère?

19 mai 2022
Par Mathieu Ste-Marie

La pandémie a convaincu plusieurs Québécois de déménager en région, notamment dans l’est du Québec, entrainant par le fait même une crise du logement. Or, malgré cette popularité soudaine, ces populations pourraient décliner dans les prochaines années si ces régions ne créent pas davantage d’emplois pour attirer et retenir les travailleurs et leur famille.

L’an dernier, la Gaspésie–Iles-de-la-Madeleine a enregistré son bilan migratoire le plus élevé des 20 dernières années avec près de 1 400 nouveaux arrivants, soit le double de l’année précédente. Parmi eux, de jeunes familles ont décidé de quitter les grands centres pour la tranquillité et la nature de cette région reconnue pour ses paysages magnifiques.

 

À Gaspé, cette croissance démographique est telle qu’il manque de garderies, de services et d’environ 400 unités de logement pour soutenir les besoins actuels et anticipés. Ce manque de maisons et de logements combiné à une forte demande fait exploser leur prix, un peu comme ailleurs au Québec. À Murdochville, située à 90 kilomètres de Gaspé, une maison payée à peine 20 000 $, il y a un an, en vaut dix fois plus maintenant. Cette ville minière attire désormais des passionnés de plein air et de ski.

 

Le Bas-Saint-Laurent gagne, lui aussi, en popularité. Pour une troisième année consécutive, la population est en croissance. En 2020-2021, il y a eu 1 597 personnes de plus qui s’y sont installées que de personnes qui l’ont quitté.

 

Jean Langelier, directeur général de Développement économique Matanie. Crédit : Marceau Coiffard

 

« Nous avons le vent dans le dos depuis deux ans. Il y a quelques années à peine, il y avait des maisons à vendre, maintenant il n’y en a pratiquement plus. Les gens ont de la difficulté à se loger », constate Jean Langelier, directeur général de l’organisme Développement économique Matanie, ajoutant qu’il manque aussi de garderies pour su re à la demande.

 

Rimouski, la capitale régionale, est frappée de plein fouet par la crise du logement. Alors que l’an dernier le taux d’inoccupation était de 0,9 %, il a chuté à 0,2 % cette année, le quatrième plus bas au Québec.

 

Depuis la pandémie, Jean Langelier observe une augmentation des jeunes familles dans sa région. « Elles veulent avoir un rythme plus lent, vivre davantage dans la nature et dans un endroit où tout le monde se connait. Dans la région, les résidents sont à cinq minutes du travail et à cinq minutes de leurs loisirs. De plus, le cout d’une maison est de 60 % à 70 % moins cher qu’à Montréal. »

 

Pour certains, le télétravail a rendu possible le déménagement dans le Bas-Saint-Laurent. Au début de la pandémie, il y en a qui se sont loué une maison pour travailler à distance avant d’y prendre gout et de s’établir en permanence dans la région, rapporte Jean Langelier.

 

De son côté, le Saguenay–Lac-Saint-Jean connait une tendance similaire à celle du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie puisqu’il a connu une hausse de 3,5 % de sa population en 2020, soit sa plus importante augmentation depuis cinq ans.

 

Guy Simard, directeur du développement industriel, Innovation et développement Manicouagan. Crédit : Gérald Poirier

 

La situation est différente sur la Côte-Nord, qui poursuit son déclin démographique. Toutefois, ce déclin a ralenti puisqu’en 2019-2020, la région a perdu seulement 2 % de sa population par rapport à 5 % en 2018-2019. « Nous voyons un changement au cours des dernières années. Il y a une diversité de plus en plus intéressante de nouveaux habitants de différentes cultures et de différentes professions. Nous continuons à accentuer nos efforts pour bien les accueillir », souligne Guy Simard, directeur du développement industriel de l’organisme Innovation et développement Manicouagan. Selon lui, la fermeture, l’an dernier, de la papetière Résolu, qui engageait environ 250 travailleurs à Baie-Comeau, a causé le départ de plusieurs Nord-Côtiers.

 

Un phénomène limité

Professeur au Département de sciences économiques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Marc-Urbain Proulx tempère cette popularité soudaine pour les régions de l’est du Québec. « Il y a un mouvement, mais il n’est pas immense. Ce n’est pas un revirement de situation complet. Les agents de développement régional croient beaucoup à ce mouvement de personnes qui recherchent une meilleure qualité de vie, mais le phénomène est limité, actuellement. »

 

En fait, derrière ce nouveau phénomène se cache une triste réalité : les populations de ces régions sont parmi les plus vieillissantes au Québec et le nombre d’emplois est en baisse.

 

Marc-Urbain Proulx, professeur au département de Sciences économiques et administratives de l’UQAC. Crédit : gracieuseté

 

Dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, près de 30 % de la population est âgée de 65 ans et plus, alors que la moyenne est de 20 % au Québec. Cette statistique est gonflée chaque année par des Québécois qui reviennent dans leur région pour prendre leur retraite après avoir travaillé plusieurs années dans les grands centres. L’Institut de la statistique du Québec estime même que ces deux régions perdront 0,2 % de leur population d'ici 2026 par rapport à 2021.

 

En contrepartie, des jeunes quittent encore largement les régions de l’est du Québec pour faire carrière et fonder leur famille près des grandes villes. Le nombre d’enfants baisse à un point tel que des écoles primaires et secondaires dans les milieux ruraux doivent fermer leurs portes, observe Marc-Urbain Proulx, qui est également responsable du Centre de recherche sur le développement territorial.

 

« Il y a moins d’emplois qui s’ajoutent en région et ceux qui se créent sont moins attrayants puisqu’ils sont dans le secteur des services. » Si ces régions, dont la principale économie est l’exploitation des ressources, ont connu une croissance économique très forte entre les années 1960 et 1980, la situation est stagnante depuis des décennies, observe Marc-Urbain Proulx. « Il y a beaucoup moins d’investissement privé puisque l’on a utilisé les ressources à la limite de ce que l’on pouvait exploiter dans les secteurs forestiers, minier et hydroélectrique. De plus, lorsqu’il y a des investissements, il se crée moins d’emplois, car les entreprises ont pris le virage technologique et elles ont maintenant recours à la robotique. »

 

Vers les énergies renouvelables

Pourtant, plusieurs occasions s’offrent encore aux entreprises qui souhaitent exploiter les ressources naturelles sur la Côte-Nord, soutient pour sa part Guy Simard. « Le territoire est riche de plusieurs minéraux critiques et stratégiques, comme du nickel, du titane, du scandium. De plus, le prix de l’aluminium et du fer est encore très élevé. Il y a de belles perspectives d’investissement. » Des entreprises s’établissent sur la Côte-Nord pour produire de l’hydrogène vert, comme l’entreprise allemande Hy2gen AG qui a annoncé un investissement de près d’un milliard de dollars. Ce projet pourrait créer une centaine d’emplois.

 

Par ailleurs, des projets d’infrastructure en développement, dont un pont sur le Saguenay reliant Tadoussac et Baie-Sainte-Catherine ainsi qu’un chemin de fer reliant Dolbeau-Mistassini et Baie-Comeau pourraient dynamiser l’économie de la Côte-Nord.

 

De leur côté, la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent se tournent de plus en plus vers les énergies renouvelables. Dans la première région, l’usine de pales d’éoliennes de LM Windpower sera agrandie à Gaspé et passera de 400 à 600 employés.

 

Dans la seconde région, l’entreprise québécoise Stace, qui a fait l’acquisition d’une ancienne usine à Matane l’an dernier, produira de l’énergie renouvelable. « Avec la reprise des activités chez Marmen, un fabricant de tours d’éoliennes, Matane se positionne comme une ville qui veut centrer son développement sur les énergies renouvelables. On pense que cela va attirer d’autres entreprises », explique Jean Langelier. Selon lui, ce nouveau dynamisme économique dans la ville pourrait attirer d’autres entreprises qui cherchent à réduire leurs couts de production. « Le cout des terrains dans le parc industriel de Matane est environ 15 à 20 fois moins cher que dans la région de Montréal ou de Québec. Par exemple, les entreprises peuvent payer 15 ¢ le pied carré alors qu’à Mirabel, elles paient 15 $ du pied carré. »