Les espoirs de l’impression 4D en construction

25 juin 2025
Par Isabelle Pronovost

Loin des chantiers de construction, des chercheurs de l’École de technologie supérieure planchent sur ce qui pourrait constituer la prochaine révolution dans cette industrie : l’impression 4D. Contrairement à l’impression 3D, celle-ci permet d’inclure l’espace-temps aux objets imprimés pour rendre possible la modification de leur forme.

L’impression 3D n’a pas fini de remplir ses promesses que des chercheurs se penchent déjà sur des façons d’amener ce processus encore plus loin, en faisant intervenir le temps dans l’équation. « On va utiliser des matériaux particuliers qui vont être capables de réagir à des stimuli donnés », avance Conrad Boton, professeur agrégé au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS) et directeur du Laboratoire de recherche sur les technologies de l’information dans la construction (LaRTIC).

 

« Ces stimuli peuvent résider dans tout et n’importe quoi. Ça peut être l’humidité, la température, le temps qui passe, le champ électrique, le champ magnétique, la présence ou l’absence de lumière. Et, du coup, ça donne un aspect temporel à la pièce; elle n’est jamais stable dans le temps », ajoute Ilyass Tabiai, professeur au Département de génie mécanique à l’ÉTS. Bienvenue dans l’univers de l’impression 4D !

 

Une révolution qui passe par le plastique

Imprimer en 4D nécessitera l’utilisation de matériaux particuliers, qu’on appelle « intelligents ». Ilyass Tabiai insiste toutefois pour dire que ces derniers ne sont pas vraiment intelligents, c’est seulement qu’ils sont mis dans des scénarios qui les font évoluer en fonction de leur environnement. « Il faut que le matériau soit capable de changer de forme pour qu’on puisse jouer sur ses propriétés. Et le matériau sur lequel on arrive à jouer aujourd’hui, c’est le plastique », indique Conrad Boton.

 

Conrad Boton, professeur agrégé au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure et directeur du Laboratoire de recherche sur les technologies de l’information dans la construction. Crédit : ÉTS

 

C’est que tous les plastiques ont une propriété qui se nomme « température de transition vitreuse », soit la température à laquelle ils passent d’un état vitreux (dur) à un état mou ou caoutchouteux, ou vice versa. Ilyass Tabiai donne l’exemple de la gomme à mâcher. « L’ingénierie du chewing-gum, c’est qu’on veut que cette température de transition vitreuse soit autour de la température de la bouche. Donc quand il n’est pas dans la bouche, il est dur, il est solide. Mais si on monte la température au-delà de sa température de transition vitreuse, il devient mou », illustre-t-il.

 

Des applications dans l’industrie de la construction

Les deux professeurs collaborent pour tenter de trouver des moyens d’utiliser l’impression 4D dans le domaine de la construction. Une des applications qu’ils envisagent concerne l’enveloppe d’un bâtiment, dont la couche extérieure pourrait changer de forme pour empêcher la lumière de pénétrer dans la bâtisse. Cette technologie pourrait permettre des mouvements de l’enveloppe extérieure, et ce, sans apport d’énergie externe puisque seules les propriétés intrinsèques du matériau seraient sollicitées.

 

Ilyass Tabiai, professeur au Département de génie mécanique à l’ÉTS. Crédit : ÉTS

 

Ilyass Tabiai constate qu’il y a, dans l’industrie du bâtiment, des équipements qu’on doit activer manuellement ou programmer pour qu’ils se déclenchent dans certaines circonstances. Il pourrait exister, par exemple, des stores qu’un capteur de lumière amènerait à bouger en fonction des conditions météorologiques. « Une première étape serait d’être capable d’éliminer tout un tas de composants électroniques, de moteurs, d’actionneurs, de microcontrôleurs pour un matériau qui fait lui-même le travail selon les scénarios, sans qu’on ait besoin de faire quoi que ce soit », dit-il.

 

Selon les deux chercheurs, l’impression 4D permettrait une construction plus durable, non seulement en matière d’économie d’énergie, mais aussi en limitant le recours à divers composants électroniques contenant des métaux rares et toxiques qui, rejetés dans la nature, peuvent détruire l’environnement. Ils sont également d’avis que la suppression de mécanismes en tout genre pourrait réduire les nuisances sonores.

 

Une technologie à ses balbutiements

Aussi prometteuses qu’elles soient, ces idées ne sont pas près de se concrétiser. « Le problème qu’on a aujourd’hui, c’est qu’il y a très peu d’équipes à travers le monde qui s’intéressent à cette question. C’est vraiment tout nouveau. Ça prend des gens qui connaissent les matériaux et ça prend des gens qui connaissent l’industrie de la construction pour que ça fonctionne », commente Conrad Boton. Nous sommes donc loin d’une utilisation industrielle.

 

N’empêche que, un jour, un entrepreneur pourrait être en mesure de réunir les conditions nécessaires à l’impression 4D, notamment la disponibilité commerciale de matériaux intelligents. « L’impression 3D permet de construire de petits avions, des vélos, tout un tas de choses qui demandent surtout des propriétés mécaniques. Là, on parle juste d’exploiter d’autres propriétés du matériau dans des cadres d’utilisation particuliers. Je pense que c’est quelque chose qui serait faisable », lance Ilyass Tabiai.

 

Son collègue souligne que bien que leurs travaux demeurent très préliminaires, ces derniers pourraient déboucher sur une nouvelle manière d’entrevoir les matériaux utilisés en construction. « On est aujourd’hui à une étape importante dans notre industrie où on se demande comment on pourrait la moderniser. On parle beaucoup de processus. On parle beaucoup d’utilisation d’outils informatiques. Mais on devrait remettre en question un certain nombre de choses aussi pour voir comment on pourrait s’approprier les dernières avancées. Et l’impression 4D, ça rentre pleinement dans ce cadre-là ! », conclut Conrad Boton.

 

VOIR LE PLASTIQUE AUTREMENT

Il peut être étonnant d’associer l’usage du plastique au développement durable. Ilyass Tabiai est conscient de la mauvaise presse dont fait l’objet ce matériau. Il explique que le raffinage du pétrole génère du naphta, un liquide servant de matière première à la production de plastique. « Le jeter ou refuser de l’utiliser engendre une grande empreinte carbone, parce qu’il a été tiré du sol, qu’il a été amené à la surface, qu’il a été raffiné. […] Le travail a déjà été fait, autant l’utiliser. » Selon celui qui œuvre au sein du Laboratoire d’ingénierie des polymères et composites (LIPEC), le problème réside surtout dans le fait qu’il est très peu recyclé au Québec. « Mais si on est capable de le recycler, ce n’est pas un matériau qui est si méchant que ça ! », fait-il valoir.

 

EXPLOITER LES POSSIBILITÉS DE LA 3D

En attendant les percées de la 4D, il reste des applications à explorer en matière d’impression 3D dans le domaine de la construction. Selon Conrad Boton, cette technologie peut être utilisée comme outil de prototypage. Il s’agit ainsi d’imprimer les maquettes architecturales en 3D plutôt que de les fabriquer en carton, une option facilitée par l’usage de plus en plus répandu de plans 3D. Autre possibilité : adopter l’impression 3D dans un contexte de préfabrication, où un des défis consiste à s’assurer que les éléments s’emboîtent bien une fois sur le chantier. Or grâce au BIM et au niveau de détail LOD 400 (Level of Details), il est possible d’envoyer un modèle directement en usine pour qu’il soit imprimé. « Et on est certains que rendu sur le terrain, il y a zéro risque qu’on ait des surprises, que ce ne soit pas bien aligné », assure-t-il.