La Romaine : turbiner aux défis et à l’innovation

27 novembre 2012
Par Marie Gagnon

Considéré comme le chantier de la décennie, le complexe hydroélectrique de la Romaine défie toute commune mesure et pousse ses artisans hors de leur zone de confort.

Avec quatre centrales, 11 ouvrages de retenue, deux lignes de transport et quelque 230 kilomètres d’infrastructure routière, dont huit ponts, le complexe hydroélectrique de la Romaine en Minganie atteindra une envergure inégalée sur la Côte-Nord depuis la Manic. Il va sans dire que ce chantier aux proportions titanesques, qui représente des investissements globaux de 8,5 milliards de dollars sur 11 ans, comporte son lot de défis. Des défis techniques mais également logistiques auxquels ses artisans apportent, à mesure qu’ils surgissent, des solutions à la fois durables et innovantes.

 

Le projet se signale en effet à plusieurs égards. À commencer par trois sites en activité en 2012. Amorcé en 2009 par l’aménagement du campement temporaire du kilomètre 1 et la réalisation des premiers kilomètres de route, le futur complexe a commencé à prendre forme en 2010 avec la construction du campement des Murailles (kilomètre 36) et le début des aménagements de la Romaine-2, dont la mise en service est prévue à l’automne 2014.

 

Son développement se poursuit cette année avec la mise en chantier de Romaine-1 (2012-2016) et la construction du campement Mista (kilomètre 115), prélude à la mise en oeuvre de Romaine-3 (2012-2017). En parallèle, la construction de la route d’accès asphaltée de 150 kilomètres continue sa progression vers le site de la Romaine- 4, dont la construction démarrera en 2016 pour prendre fin en 2020. Le complexe, qui affichera une puissance installée de 1 550 mégawatts (MW), aura nécessité à terme des investissements globaux de 8,5 milliards de dollars.

 

Un échéancier serré

On s’en doute, l’ampleur du projet et son échéancier très serré supposent une planification rigoureuse de chacune des phases de réalisation et une gestion pointue des approvisionnements. « Certaines pièces de fonderie proviennent de Pologne tandis que d’autres composantes sont soudées en Chine, relève Paul DesRoches, directeur principal - projets de production pour Hydro-Québec Équipements et Services partagés (HQE). On doit donc assurer un suivi strict de la fabrication hors Québec, tant sur le plan de la qualité que des délais de livraison. »

 

Afin de respecter l’échéancier et de réduire les coûts globaux du projet, Paul DesRoches et son équipe ont également privilégié l’emploi d’éléments d’acier. Au site de la Romaine- 2, où l’on prévoit la construction de six digues et d’un barrage de 135 mètres de hauteur, on a aussi utilisé à l'aval de la centrale des piliers d’acier, plutôt que des colonnes de béton, pour supporter la plage des transformateurs. La construction de l’enveloppe de la centrale au moyen de structures d'acier et panneaux de béton préfabriqués a en outre permis d’éviter la construction d’un abri temporaire pendant la saison hivernale et, du coup, épargné quelques millions de dollars à la société d’État.

 

Les travaux, qui sont avancés à 45 %, comprennent en outre la construction d’une galerie d’amenée de 5,5 kilomètres de longueur et le blindage des conduites forcées. Une technique somme toute courante lorsque le couvert rocheux est plus mince et que l’on doive prévenir tout risque de fuite. Sauf que dans le cas de Romaine-2, dont la hauteur de chute est de 160 mètres, la gaine d’acier aura un diamètre de 5,7 mètres et une longueur de 208 mètres.

 

Autre défi de taille : la consolidation, au moyen de boulons et de treillis métalliques, de la falaise qui surplombe la digue F. « Le traitement de la falaise était nécessaire avant le déploiement des travailleurs affectés à la construction de la digue, souligne Paul DesRoches. Les travaux se sont amorcés l’été dernier et se sont achevés à la fin du mois de mai. Cela donne une idée de l’ampleur de la tâche. »

 

Place à l’innovation

Il ajoute que le chantier de Romaine-2, comme celui de Romaine- 1, donnera lieu à la mise en oeuvre d’une technologie mise au point en Europe : la construction d’ouvrages de retenue à noyau asphaltique. « Cette méthode a été testée à plus petite échelle en 2008 sur le barrage de la rivière Némiscau, dans le cadre de la construction d’Eastmain-1-A – Sarcelle – Rupert, rapporte celui qui est également ingénieur civil. Habituellement, on construit des barrages à noyau de moraine, mais la moraine présente sur ces sites ne convenait pas ou n'était pas disponible à une distance de transport économique viable. La construction d’une paroi asphaltique nous permet de gagner du temps et de l’argent sur le transport de moraine. »

 

Il précise que Romaine-2, avec son barrage de 135 m de haut et ses cinq digues, dont la plus haute dépassera les 80 m, sera le plus grand aménagement hydroélectrique au monde, mettant en vedette cette technologie de pointe. Notons également que le barrage principal de Romaine-2 sera la plus haute structure de ce type des Amériques et que la même technologie sera utilisée pour les ouvrages de retenue de l’aménagement Romaine-1.

 

Quant au barrage principal de Romaine-3, il sera érigé de manière conventionnelle, les investigations au terrain ayant démontré la qualité de la moraine présente à proximité du site. Bien que les sondages effectués à Romaine-4 n’aient pas encore été validés, tout semble indiquer que la moraine qui s’y trouve est de bonne qualité.

 

Toujours dans l’optique de gagner du temps, le stator et les mécanismes de vannage seront assemblés à l’extérieur du puits avant d’être installés dans l’enceinte des installations de Romaine-1. Également, afin de minimiser les litiges en cours de route et les dépassements budgétaires, les appels d’offres d'excavation de roc ont été établis à partir de paramètres géotechniques de référence (Geotechnical Baseline Reference – GBR) qui décrivent plus en détail la qualité du roc.

 

Gérer avec souplesse

« Nous avons également innové dans la gestion des contrats, signale Paul DesRoches. Un projet pilote est actuellement en cours pour le contrat de bétonnage de la centrale de Romaine-2. Pour trancher en cas de différence d’interprétation dans le contrat, nous avons formé un comité de "règlement de différends" entre Hydro-Québec et les entrepreneurs. Ce comité, formé de trois personnes de grande expérience dans le domaine de la construction et réputées pour leur neutralité, étudie les questions qui achoppent et émet un avis. Celui-ci est non exécutoire mais, la plupart du temps, il est accepté et appliqué par les parties en cause. »

 

Même chose en ce qui concerne les appels d’offres. Lors du processus d’appel de propositions, il est permis au soumissionnaire, pour certains contrats ciblés, de présenter des variantes. Si ces variantes satisfont aux critères techniques de l’ouvrage, le contrat est attribué en fonction des modifications soumises. « Le GBR, le comité de règlement des différends et l’octroi de contrats fondé sur l’expertise des entrepreneurs constituent des primeurs propres au complexe de la Romaine », fait valoir non sans fierté le porte-parole de la société d’État.

 

La Romaine, turbiner aux défis et à l’innovation

 

Et ce n’est pas fini. Il faudra également assurer la cohabitation harmonieuse des travailleurs de chantier. Ils seront 2 200 à pied d’oeuvre à la fin de l’été. La pointe culminera en 2013 et 2014 avec plus de 2 400 travailleurs répartis sur les trois sites présentement en activité.

 

TROIS GRANDS DÉFIS
  • Attirer une main-d’oeuvre spécialisée et la conserver alors que le Plan Nord se met en branle
  • Maintenir de bonnes relations avec le milieu hôte
  • Travailler de façon sécuritaire, respecter les échéanciers et les engagements budgétaires

 

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2012. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !