3 juin 2022
Par Elizabeth Pouliot

L’impression en trois dimensions attire l’attention depuis quelques années déjà et voilà qu’elle investit l’industrie de la construction. Une équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke travaille à développer une imprimante 3D à béton, caressant le rêve d’un jour imprimer non seulement des éléments modulaires, mais aussi des bâtiments complets.

On trouve déjà de ces fameux bâtiments imprimés en Chine, où se sont carrément érigés des hôtels à l’aide d’imprimantes en trois dimensions. Des maisons modèles existent aussi à Dubaï ou encore à Nantes. « Je les ai visitées, en France, avant la pandémie », raconte Ammar Yahia, professeur au Département de génie civil et de génie du bâtiment à l’Université de Sherbrooke.

 

Ammar Yahia, professeur au Département de génie civil et de génie du bâtiment à l’Université de Sherbrooke. Crédit : Université de Sherbrooke

 

« J’ai appris qu’ils se préparent pour imprimer apparemment une structure à grande échelle encore une fois. Donc, ailleurs ça se fait, surtout à l’échelle industrielle. Ça pousse rapidement. C’est une technologie très émergente. » Dans le domaine universitaire, le professeur et son équipe sont les premiers à travailler sur un tel projet au Canada. L’imprimante qu’ils ont conçue est faite de métal, fonctionne à l’aide d’un moteur électrique et peut imprimer des éléments de deux mètres cubes (m3). Ils en sont à la phase de recherche et développement, concevant puis testant par la suite les éléments imprimés. « On valide la performance des matériaux et on s’assure qu’ils sont bel et bien imprimables à petite échelle », explique le professeur. Les chercheurs s’attellent donc à comprendre le comportement des matériaux, car ils doivent en développer qui s’adaptent à l’impression 3D.

 

Leurs travaux sont rendus possibles grâce à une chaire de recherche, financée par des partenaires du Québec et par le gouvernement fédéral, par l’entremise du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNGC). « On est sur le point de renouveler ce programme de recherche de cinq ans pour un autre mandat de cinq ans », mentionne Ammar Yahia. Le professeur espère, pendant cette deuxième phase, monter des projets pilotes et imprimer des éléments structurants avec ses partenaires industriels.

 

Imprimante à avantages

Mais pourquoi imprimer des matériaux ? Bien entendu, la construction coute très cher. Et un aspect dispendieux important est la mise en place. Installer des coffrages, fixer l’armature, y couler le béton, attendre qu’il durcisse, démonter les armatures et les coffrages : ce processus prend du temps et beaucoup d’argent. « C’est une procédure assez longue et assez complexe, qui représente jusqu’à 40 pour cent (%) du cout total de la construction », confirme Ammar Yahia. L’impression 3D permet de sauter l’étape du coffrage : le béton s’imprime couche après couche, et peut supporter son propre poids, donc nul besoin de coffrages latéraux pour le retenir jusqu’à son durcissement. À la clé ? Une économie en temps et en argent, et la simplification du projet de construction.

 

L’imprimante est faite de métal, fonctionne à l’aide d’un moteur électrique et peut imprimer des éléments de deux mètres cubes. Crédit : Université de Sherbrooke

 

Le deuxième avantage de l’imprimante 3D à béton est de procurer une plus grande flexibilité en termes de géométrie, puisqu’elle permet d’imaginer ou de construire des formes plus complexes. « On peut aller chercher des géométries qui, autrement, seraient impossibles à atteindre car elles requerraient des moules très spécifiques, très pointus », explique Ammar Yahia.

 

En troisième lieu, l’impression en trois dimensions offre des économies en matériaux. « On peut s’assurer de maintenir 0 % de déchet, car tout ce qu’on prépare est imprimé », affirme le professeur. Avec comme point de départ une géométrie à imprimer, on entre un code à l’ordinateur qui permet d’estimer la quantité de matériaux nécessaire. On prépare ensuite ce matériau, on l’envoie à l’imprimante, puis cette dernière fait le travail; aucune perte.

 

Pour Ammar Yahia, il est clair que l’impression 3D serait fort utile dans le monde de la préfabrication d’éléments modulaires. « C’est le domaine qui s’adapterait le mieux en ce moment à cette technologie. » Depuis déjà longtemps, on construit des maisons préfabriquées en bois. Pour le béton, ça pourrait donc être pareil : préfabriquer des éléments, les transporter sur un chantier et les assembler sur place.

 

Imprimantes à défis

Devant cette nouvelle technologie, plusieurs restent néanmoins réticents.   Les gens veulent comprendre, s’assurer que ça fonctionne et que c’est sécuritaire », constate Ammar Yahia. « C’est d’ailleurs un débat entre chercheurs. » La solution ? Promouvoir la technologie et laisser les gens l’apprécier et constater que c’est possible. En tant que spécialistes des matériaux, le professeur et son équipe se butent également au fait qu’ils doivent chercher à réduire l’impact environnemental des matériaux imprimés. « Ils contiennent beaucoup de poudre. Et ce sont des matériaux prototypes, modèles. Il faut donc viser à améliorer le comportement de matériaux à faible empreinte environnementale afin qu’ils soient, eux aussi, imprimables. C’est un défi de taille ! », confie le chercheur.

 

Ammar Yahia et son équipe espèrent bientôt acheter une imprimante à grande échelle, qui leur permettra d’imprimer des maisons. « Elle se trouve sur un flatbed. On peut la déplacer, faire des démonstrations et imprimer des éléments structurants à l’échelle réelle. » Les chercheurs déposeront sous peu une demande de subvention auprès du gouvernement provincial pour son achat. « Et avec ça, on pourra par la suite songer à imprimer des maisons modèles. »

 

 

Rappelons qu’à Nantes, en France, se trouve déjà une de ces maisons expérimentales instrumentées. Les scientifiques en place étudient notamment son efficacité énergétique, son évolution dans le temps et son comportement face aux vents et à la pluie. « Construire nous aussi une maison, c’est notre objectif à moyen terme », termine Ammar Yahia.

 

UN TRAVAIL DE COLLABORATION

Pour atteindre ses objectifs, l’équipe de génie civil et de génie du bâtiment du professeur Yahia travaille en parallèle avec des chercheurs en robotique. Ces derniers oeuvrent à la conception et à l’amélioration de l’imprimante comme telle. Et pour la concevoir, les deux équipes se sont inspirées de l’imprimante à plastique, qu’ils ont modifiée pour l’adapter à leurs besoins spécifiques. Résultat ? « C’est une imprimante portique à trois axes, X, Y, Z, sur le plan et l’élévation », indique Ammar Yahia.