Nouvelle avancée dans les ponts en bois

29 septembre 2015
Par Jean Garon

Le pont Mistissini : une réalisation marquant une nouvelle avancée dans la construction d’ouvrages d’art en bois au Québec.

Le pont Mistissini, situé dans le village crie du même nom à l’extrémité sud-ouest du lac Mistassini, à 90 kilomètres de Chibougamau, repousse encore plus loin les limites de l’utilisation du bois dans la construction d’ouvrages d’art. Il n’est pas étonnant que cette réalisation ait été récompensée de l’un des Grands Prix du génie-conseil québécois décernés par l’Association des firmes de génie-conseil – Québec (AFG), en mai dernier. La firme Stantec en est la récipiendaire dans la catégorie Infrastructure de transport.

 

Son concepteur principal chez Stantec, l’ingénieur Denis Lefebvre, considère que c’est son « plus beau pont à vie », dans lequel il a pu mettre à profit un véritable travail d’ingénierie. En raison des multiples et complexes défis à relever, « c’est un des projets qui a d’ailleurs suscité le plus de motivation au sein de l’équipe d’ingénieurs impliqués dans ce projet », commente-t-il.

 

Ce qui en fait un pont si particulier, c’est non seulement les solutions proposées pour relever les défis techniques de sa construction, mais sa réponse adéquate et économique au besoin d’une communauté isolée dans un environnement hostile et peu accessible, tout en assurant la durabilité de l’ouvrage et en limitant son empreinte environnementale.

 

Une proposition innovatrice

Les premières démarches de Stantec (précédemment par Dessau qui a été acquise au début de 2015) ont débuté en février 2011, lorsque la communauté crie de Mistissini a lancé un appel de propositions sur invitation auprès de quatre firmes de génie-conseil reconnues pour leur expertise en structures routières.

 

L’appel de propositions consistait à préparer les plans et devis pour un nouveau pont d’environ 165 mètres devant traverser la passe Uupaachikus, entre la communauté crie de Mistissini et les terres de l’autre côté, pour permettre l’accès à une gravière de qualité et une expansion territoriale de la communauté. Le mandat consistait également à préparer les plans et devis pour les approches aux extrémités du pont (est et ouest) et de trouver une solution pour la relocalisation du quai de débarquement de l’hydravion et des bateaux.

 

Lors de la phase d’avant-projet, les ingénieurs de Stantec ont étudié trois solutions pour la structure, à savoir un pont en acier-béton, en acier-bois et en bois-bois. La firme a alors effectué une étude comparative basée sur les critères esthétiques, techniques et budgétaires.

 

Finalement, la communauté a opté pour la solution d’un pont en bois lamellé-collé à un coût équivalant à celui d’un pont classique acier-béton, mais jugée très intéressante sur le plan architectural. D’autant plus intéressante qu’elle mettait à contribution l’exploitation de la matière première localement (épinette noire) pour la fabrication en usine des pièces en bois de la structure à l’entreprise voisine, Chantiers Chibougamau.

 

Un défi de conception

Le concept du pont en bois à deux voies de Mistissini constitue en soi une innovation. Son assemblage de poutres et d'arches crée un ensemble d’arches semi-continues. Le bas des arches est fixé aux piles à l’aide de tourillons, avec un ancrage supplémentaire ajouté au-dessus des tourillons pour en faciliter l’installation ainsi que les travaux d’entretien ou de réparation.

 

Les propriétés du bois ont permis de n’avoir aucun joint sur 160 mètres de pont. Le fait d’enlever les joints d’expansion constitue un atout majeur pour la durabilité plus grande de la structure. Conçues pour les charges légales (d’une capacité de 62 tonnes), les portées des quatre travées continues sont de 37, 43, 43 et 37 mètres et combinent des poutres droites et des arches en bois de 10,8 m de rayon intérieur.

 

Un des grands défis à relever dans ce projet consistait à élaborer un système structural capable de supporter des charges routières sur des portées de près de 43 mètres de longueur, alors que l’élément le plus long en bois lamellé-collé produit en usine était seulement de 24,4 mètres. L’ingénieur Denis Lefebvre souligne qu’il a donc fallu concevoir un assemblage par joints en quinconce en utilisant entre autres des clous annelés et des connecteurs de cisaillement.

 

Le pont a une largeur totale de 9,25 mètres. Son platelage est aussi en bois, de même que le chasse-roue et le trottoir, tous deux recouverts d’une plaque d’acier pour les protéger de l’eau et des assauts des équipements de déneigement. Les fondations du pont, elles, sont constituées de deux culées et de trois piles en béton armé sur semelles superficielles.

 

Un défi de construction

La construction du pont a posé aussi tout un défi au constructeur BSL. Comme cette partie du lac ne gèle pas suffisamment en hiver à cause du courant, souligne le gérant de projet Charles-Olivier Labonté, il a fallu aménager un chemin d’hiver pour apporter les matières premières de l’autre côté de la rive en face du village de Mistissini.

 

La solidité de la moraine permettait de construire les fondations des piles directement dessus, mais elle rendait impossible le battage des palplanches. Il a donc fallu fabriquer des batardeaux en acier sur mesure, puis les bétonner à la semelle avec un béton anti- lessivage à l’aide de plongeurs. Pour l’une des piles, il a même fallu lester le batardeau pour éviter qu’il soit emporté par le courant. Pour le bétonnage des piles et de la culée sur l’autre rive inaccessible, il a en outre fallu recourir à un hélicoptère.

 

Quant à l’assemblage des éléments de la structure au-dessus des fondations, Constructions BSL a dû aussi innover. Les ingénieurs concepteurs ont fourni les plans d’assemblage, mais encore fallait-il trouver les moyens physiques pour exécuter les travaux au chantier. Charles-Olivier Labonté mentionne notamment l’utilisation de barges et de grues, en plus d’exploiter la propriété de flottaison du bois pour certaines parties.

 

Un défi de préfabrication

Compte tenu de la complexité et de l’aspect innovateur de l’ouvrage, Stantec a impliqué dès le début le fournisseur des éléments de la structure, Nordic, et son usine de fabrication, Chantiers Chibougamau. L’usinage des poutres, des arches et des panneaux de travées a été fait à partir des plans d’ingénierie qui ont permis de concevoir un modèle 3D des éléments de la structure pour ensuite les transférer dans les machines- outils qui en ont fait le découpage. Comme le souligne David Croteau, vice- président ingénierie et opération chez Nordic, les pièces de lamellé-collé ont été fabriquées avec du bois d’épinettes noires cueillies dans la région. Tout le bois a été utilisé, y compris les têtes des arbres. L’entreprise à même fourni la quincaillerie permettant l’assemblage des pièces, de même que le traitement de finition du bois. Tout le matériel de la structure, à l’exception des fondations en béton, a été livré progressivement au chantier et a nécessité quelque 35 voyages de camion-remorque.

 

Le bétonnage des piles et de la culée sur une rive inaccessible a requis l’emploi d’un hélicoptère. Photo de Jimmy Fortier

 

Pour la durabilité du bois, David Croteau n’entretient aucun doute : un ouvrage comme celui-là est construit selon la norme de pont de 75 ans. Un produit de scellement des surfaces extérieures du bois a d’ailleurs été utilisé afin d’assurer la pérennité de l’ouvrage.

 

Évidemment, la durée de vie d’un pont en bois est souvent tributaire de la qualité de son entretien, rappelle-t-il, mais bon nombre de ponts couverts en bois encore plus vieux sont encore debout. De plus, il est intéressant de noter que globalement, le total des émissions équivalentes de CO2 pour la construction de ce pont en bois a une valeur négative de -497 tonnes métriques en considérant le fait que le bois constitue un puits de carbone.

 

Au bout du compte, la construction de ce pont en bois aura été une source de fierté pour tous ceux qui ont participé à sa réalisation compte tenu des défis relevés. Et tout ça dans le respect de l’échéancier et du budget (8,6 M$) du client à moins de 1 % d’écart avec le budget estimé en début de projet. Les seuls dépassements autorisés relevaient de problèmes d’accès et d’ajouts subséquents.

 

LA RÉALISATION

Composantes de l’ouvrage

  • 1 200 mètres cubes de béton
  • 100 tonnes d’acier d’armature

Structure

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  • 1 150 mètres cubes de bois lamellé-collé
  • 64 poutres jusqu’à 24,4 mètres de longueur
  • 64 arches de 15 mètres de longueur (10,8 mètres de rayon intérieur)
  • 230 pièces pour former les 21 diaphragmes de stabilisation latérale
  • 170 pièces de 9,25 mètres pour former le platelage à la pleine largeur du pont

Quincaillerie

  • 50 000 kilogrammes d’acier
  • 4 000 connecteurs
  • 152 000 clous annelés
  • 20 tourillons
  • 2 200 goujons filetés et boulons
  • 6 800 vis Blue Max de 38 centimètres

Tablier

  • 1 480 mètres carrés de superficie
  • 170 pièces de bois lamellé-collé de 184 mm d’épaisseur sur 921 mm de largeur et 9 250 mm de longueur pour former le platelage à la pleine largeur du pont
  • Une couche de contreplaqué marine de 20 mm
  • Une couche de membrane imperméable
  • Une couche de béton bitumineux de 65 à 135 mm formant un devers de 2 %
  • Un trottoir en bois protégé par une membrane, une plaque d’acier, un revêtement antidérapant Bimagrip et un solin sur le côté extérieur
  • Un chasse-roue en bois protégé par une membrane, une plaque d’acier et un solin sur le côté extérieur
  • Une glissière et une barrière de sécurité de chaque côté

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2015. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !