Quand l’alcool et la drogue s’invitent au chantier

18 septembre 2017
Par Marie Gagnon

La consommation de drogue et d’alcool n’a pas sa place au chantier. L’employeur doit s’assurer de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité du public et de ses travailleurs.
Voici comment gérer la situation.

Au Québec comme ailleurs en Occident, l’alcool est un produit de consommation fort répandu et socialement bien accepté. Sa consommation est d’ailleurs souvent associée à des valeurs sociales positives, comme la détente, les loisirs, les vacances ou les repas entre amis. De son côté, l’usage de drogues à des fins récréatives recrute de plus en plus d’adeptes, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes.

 

Lorsque leur consommation devient incontrôlée et incontrôlable, elle peut engendrer de graves problèmes sociaux, individuels et économiques. Entre autres, en milieu de travail, où il importe d’en limiter la progression afin d’assurer un environnement sain et sécuritaire pour tous. D’autant plus que le gouvernement fédéral s’apprête à légaliser le cannabis.

 

« Depuis plusieurs années, on constate une banalisation grandissante de la consommation de cannabis et, pourtant, c’est loin d’être anodin », note Me Dominique Lebeuf, avocate-conseil et formatrice au Centre patronal de santé et sécurité du travail du Québec (Centre patronal SST).

 

Me Dominique Lebeuf, avocate-conseil et formatrice au Centre patronal de santé et sécurité du travail du Québec - Photo de nom de CPSST

 

« Aujourd’hui, selon les experts, la concentration de THC dans le cannabis est beaucoup plus importante qu’auparavant. « Au chantier, on comprend qu’une personne ayant les facultés affaiblies met sa sécurité et celle des autres en danger, souligne-t-elle. Pour l’employeur, il est donc important de trouver le juste équilibre entre ses obligations légales en matière de santé et de sécurité du travail, de confidentialité, et les droits de ses employés. En effet, s’il est démontré qu’il n’a pas fait preuve de diligence raisonnable, il s’expose à des poursuites pénales, des amendes salées et même des poursuites en vertu du Code criminel, entre autres, en cas d’accident où il y aurait des blessures graves ou un décès et où la négligence criminelle serait démontrée. »

 

Une politique préventive

Les obligations de l’employeur en santé-sécurité sont d’ailleurs formellement établies par la législation. À commencer par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) qui, faut-il le rappeler, a pour objet l’élimination à la source même des dangers. De plus, le Code de sécurité pour les travaux de construction (CSTC) stipule pour sa part à l’article2.4.2 que l’employeur doit s’assurer de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité du public et de ses travailleurs et qu’aucun travailleur n’effectue un travail lorsque ses facultés sont affaiblies par l’alcool, la drogue ou une autre substance. D’autres lois s’appliquent, dont le Code criminel et la législation sur les droits de la personne.

 

Pour se prémunir contre d’éventuelles poursuites, Me Lebeuf suggère de commencer par l’adoption d’une politique portant sur l’alcool, les drogues et les facultés affaiblies au travail. Cette politique, idéalement rédigée par un avocat, aura pour objectif d’informer les salariés de leurs obligations et de leur communiquer clairement la position de l’entreprise à l’égard de ceux qui se présenteraient au travail sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, de prise de médicaments de façon inappropriée ou de toute autre substance. Elle énoncera notamment la volonté de créer un environnement de travail sécuritaire, sans drogue ni alcool pour tous.

 

Le texte établira également la portée de la politique, c’est-à-dire l’identification des personnes visées par son application et la définition du lieu de travail. « Est-ce qu’on cible tout le personnel, seulement les postes à risques, soit ceux où la sécurité est importante, ou si on vise aussi les employés en contact avec le public ? Que faire avec les sous-traitants ? questionne Me Lebeuf. Le mieux serait d’instaurer une politique de tolérance zéro pour tous. » Mais cela ne s’arrête pas là. La politique devra en outre préciser la nature de l’interdit et les conséquences de sa violation ou, en d’autres mots, les mesures disciplinaires qui y sont assorties.

 

« L’alcoolisme et la toxicomanie diagnostiqués sont reconnus comme des handicaps, rappelle l’avocate spécialisée en droit du travail. On ne peut pas punir un employé parce qu’il est handicapé, pas plus qu’on ne peut le congédier sur ce seul motif, parce que ce geste serait discriminatoire. Par contre, si l’employeur a adopté une politique sur les facultés affaiblies et qu’un travailleur l’enfreint, le congédiement pourrait être possible à certaines conditions, tel que l’illustre l’arrêt Stewart de la Cour suprême du Canada rendu le 15 juin 2017[1] »

 

Pour assurer la sécurité du chantier, la minière ElK Valley Coal avait mis en place une politique obligeant les employés à révéler tout problème de drogue, avant que ne survienne un accident. S’ils le faisaient, ils étaient invités à participer à un programme d’aide. S’ils étaient impliqués dans un incident sans avoir déclaré leur consommation et que le test de dépistage s’avérait positif, ils étaient congédiés pour non-respect de la politique. Le plus haut tribunal du pays a confirmé le congédiement d’un camionneur de l’entreprise, qui s’est retrouvé dans cette situation.

 

Un accommodement raisonnable

Le droit de gérance d’un employeur justifie le recours à des sanctions envers un travailleur entre autres parce qu’il est intoxiqué au travail. Par contre, l’employeur devra accommoder celui qui l’informe, avant l’imposition de la sanction, qu’il a développé une dépendance. Cela doit s’accompagner d’une entente de dernière chance assortie de l’obligation pour ce salarié de suivre une cure de désintoxication et d’un dépistage dans les deux ans, selon la politique. En effet, la personne est la seule à pouvoir résoudre sa dépendance.

 

S’il refuse l’entente, ne la respecte pas ou s’il échoue à des tests de dépistage, l’employeur pourrait congédier le salarié, mais il s’expose quand même à la contestation de sa décision devant les tribunaux. Mais encore faut-il savoir reconnaître le travailleur aux prises avec un problème d’alcool ou de drogue. À cet égard, Me Dominique Lebeuf recommande d’offrir aux superviseurs une formation appropriée afin d’augmenter leurs compétences dans ce domaine. Mieux informés, ils pourront ainsi repérer plus facilement les changements de comportement et de rendement chez le travailleur qui pourraient s’expliquer par la dépendance, par exemple, les accidents inexpliqués, l’absentéisme chronique ou les comportements hostiles et conflictuels, etc.

 

CE QUE VOUS POUVEZ FAIRE
  • Rédiger et diffuser une politique sur l’alcool, les drogues et les dépendances au travail et vous assurer que les employés la connaissent.
  • Prévoir, dans la politique, la possibilité de tests de dépistage selon les critères de la Cour suprême tels que présentés dans Pâtes et papiers Irving, 2013 CSC 34.
  • Former les gestionnaires afin qu’ils soient en mesure de reconnaître les personnes dont les facultés peuvent être affaiblies et liées à une problématique de consommation.
  • Mettre en place un programme d’aide aux employés.
  • Veiller à offrir l’accommodement raisonnable, si applicable.
  • Consulter un avocat, afin de s’assurer de bien gérer ces cas particuliers.

 

1. 2017 CSC 30 (CanLII)

 

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2017. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !