Pour des équipements de protection plus inclusifs

5 juin 2025
Par Isabelle Pronovost

Les fabricants proposent de plus en plus d’options adaptées au corps des femmes, mais des freins à leur accès persistent. Malgré les défis, une entreprise de construction a pris le taureau par les cornes pour bien équiper toutes ses employées.

Selon la Commission de la construction du Québec, les femmes formaient 4 % de la main-d’oeuvre totale en 2024, un sommet. Malgré leur poids accru au sein de cette industrie, les travailleuses se voient toujours confrontées à certaines difficultés, dont l’accès à des équipements de protection individuelle (ÉPI) adaptés à leur morphologie. Si trouver des casques ou des bottes de la bonne taille ne se révèle pas trop problématique, il en va autrement pour les gants. Quant aux harnais et aux vêtements (combinaisons, manteaux, vestes), ils ne sont habituellement pas conçus pour accommoder la poitrine et les hanches.

 

Des risques pour la santé

« L’équipement de protection, en matière de santé et sécurité, c’est la dernière ligne de mesure. Ça n’empêche pas un accident, ça empêche les conséquences. Puis, pour être efficace, il doit être ajusté par rapport à sa fonction », explique Émilie Gaignard, conseillère formatrice en santé et sécurité du travail au Centre patronal SST. Elle donne l’exemple d’un harnais mal adapté qui pourrait certes arrêter une chute, mais qui créerait en contrepartie une pression sur des organes vitaux ou la colonne vertébrale, causant ainsi d’autres lésions.

 

Émilie Gaignard, conseillère formatrice en santé et sécurité du travail au Centre patronal SST. Crédit : Laurent Canigiani

 

En plus de mettre les travailleuses en danger, des ÉPI trop grands peuvent compromettre leur santé au quotidien, de l’avis d’Émilie Gaignard. Elle mentionne que, de façon générale, le port de gants contribue au développement de troubles musculo-squelettiques aux mains, en raison de l’effort supplémentaire requis. Ce problème se trouve amplifié pour les femmes, souvent aux prises avec des gants disproportionnés qui nuisent à la dextérité. « Ça diminue leur protection contre les risques et ça crée de nouveaux risques », dit-elle.

 

Une offre limitée

Bien qu’il existe sur le marché quelques options pour les travailleuses, elles sont loin d’être aussi nombreuses que celles offertes à leurs homologues masculins. « Si tu regardes un magazine de fournisseur de gants de sécurité, côté homme, tu vas peut-être avoir 40, 50 modèles pour toutes les saisons, toutes les tâches, toutes les protections différentes possibles. Puis si tu demandes une grandeur femme, ils vont t’arriver avec beaucoup moins de modèles », déplore l’ingénieure Josiane Laflamme-Charette, gestionnaire des opérations chez Aecon.

 

C’est que certains fabricants ne veulent pas investir dans le développement d’équipements plus inclusifs en raison du faible volume des ventes. Ceux qui le font commercialisent souvent leurs produits à fort prix, ce qui s’avère discriminatoire pour les femmes qui reçoivent une allocation identique à celle des hommes pour se les procurer. Émilie Gaignard qualifie de « taxe rose » cette surprime que les travailleuses doivent payer pour obtenir des biens équivalents.

 

Josiane Laflamme-Charette, gestionnaire des opérations chez Aecon. Crédit : Gracieuseté

 

Dans certains cas, ce sont les employeurs qui rechignent à fournir un éventail varié d’ÉPI, que ce soit pour limiter leurs dépenses ou réduire les stocks à gérer. « Ce qui va être un frein, c’est la conscientisation. Si l’employeur n’est pas conscient de l’impact que ça peut avoir et que ses seuls critères sont de s’assurer d’être conforme aux exigences légales minimums et la juste gestion des finances, c’est là parfois qu’on va restreindre le choix à faire », relève la conseillère formatrice.

 

BALADO À ÉCOUTER

 

Trouver chaussure à son pied

Chez Aecon, la conscientisation s’est amorcée en 2017 lorsqu’un groupe de soutien pour les employées a été mis sur pied. Six ans plus tard, le comité sondait celles qui travaillent aux chantiers pour savoir si elles avaient des problèmes qu’elles souhaitaient voir régler. C’est à ce moment que l’enjeu des équipements de protection individuelle a été exposé. Face à ce constat, l’entreprise a dressé une liste de fournisseurs qui proposaient des ÉPI adaptés. Josiane Laflamme- Charette leur a ensuite demandé de lui expédier un exemplaire de chaque modèle et taille pour tous les produits : lunettes, gants, harnais, combinaisons et vestes de sécurité avec ou sans manches. « J’ai organisé un petit lunch essayage. [..] Puis j’ai invité toutes les femmes qui travaillent sur les chantiers au Québec à venir les essayer. » Selon elle, il s’agissait de la meilleure solution pour s’assurer de commander les bonnes grandeurs pour chaque employée, la mention « small » pouvant par exemple s’avérer trompeuse.

 

Confort, sécurité et appréciation

Bien que l’initiative soit récente, la gestionnaire a eu quelques retours positifs des travailleuses, qui se disent incluses et valorisées puisqu’on a tenu compte de leur sécurité, de leur confort et de leur bien-être. « Ça vient lever vers le haut toute l’entreprise, fait valoir Josiane Laflamme-Charette. Parce qu’en faisant ces gestes-là, tu démontres que l’employé est le plus important de ton entreprise, tu lui montres du respect et de l’appréciation. »

 

Elle note aussi des bienfaits sur le sentiment d’appartenance. Par exemple, sur les gros chantiers où se côtoient plusieurs entrepreneurs, des manteaux dotés du logo d’Aecon et du projet sont fournis aux employés. « C’est sûr que tu as une fierté du projet sur lequel tu travailles, et tu as une fierté de dire que tu travailles pour cette compagnie-là par rapport aux autres qui sont présentes sur le chantier. Donc c’est une double fierté. Mais si on t’a offert un manteau et que tu ne peux pas le mettre, tu as un goût amer », illustre-t-elle.

 

DÉMOCRATISER L’ACCÈS AUX ÉPI

Le rôle du comité de femmes chez Aecon en lien avec l’achat d’équipement se déploie en trois volets. Le premier consiste à les informer sur ce qui est disponible pour elles. Dans le second, on les encourage à commander les ÉPI adaptés. « C’est la partie la plus difficile parce que j’ai l’impression que les femmes dans notre domaine, comme on n’est pas beaucoup, on essaie de faire notre place en étant traitées d’égal à égal. Donc on ne veut pas être vues comme demandant des choses spécifiques et outre mesure », confie Josiane Laflamme-Charette. Enfin, le dernier volet vise l’accompagnement; par exemple, aider une travailleuse moins à l’aise avec la technologie à remplir le bon de commande en ligne.

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Matériaux et équipements 2025. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !