3 approches distinctes pour l'intégration de la relève

11 janvier 2022
Par Jean Garon

Il existe plusieurs modèles de transition pour assurer la relève d’une entreprise familiale. Trois constructeurs québécois ont accepté de partager leur expérience selon trois approches distinctes pour intégrer leur relève.

Forage CBF : un modèle classique de relève familiale

David Blais, président-directeur général de Forage CBF. Crédit : Ashley Fortin Photographe

 

Voici une entreprise familiale bien établie qui en est à sa troisième génération. Une entreprise où les petits-fils du fondateur Camille Blais tiennent les rênes de façon indépendante depuis novembre 2019, mais dont les pères de la deuxième génération sont encore détenteurs majoritaires à 51 % des actions.

 

Le petit-fils qui assume aujourd’hui les fonctions de président-directeur général, David Blais, explique le processus qui a mené à la transition générationnelle familiale. « La transaction a pris la forme d’une vente des actions aux enfants de la deuxième génération. On a d’abord gelé la valeur des actions à une date spécifiée et on a payé près de 50 % de la valeur de l’entreprise à nos pères actionnaires au moment de la transaction. Eux, ils sont restés actionnaires majoritaires, mais sans participation au conseil d’administration. Le paiement de la balance de vente des actions a été étalé sur une période de sept ans, incluant le paiement des intérêts. » Cette façon de faire a ainsi permis aux cédants de bénéficier d’une exemption de déclaration de gain en capital jusqu’au moment du rachat complété de leurs actions.

 

« Mais comme nous avons obtenu d’excellents résultats financiers pendant la pandémie, avec une augmentation du chiffre d’affaires et une hausse des profits, enchaine David Blais, on est en train de finaliser une entente pour devancer le paiement final à la fin de 2022 au lieu de 2026 comme prévu. »

 

En considérant l’ensemble du processus de transition générationnelle entamé cinq ans plus tôt, il estime que cela s’est fait plutôt bien pour la passation des pouvoirs. Que ce soit sur le plan du fonctionnement du conseil d’administration, de la confirmation des fonctions de chacun des actionnaires et de leurs rémunérations. Bien que chacun a dû mettre de l’eau dans son vin, les résultats sont là.

 

« Si ça va bien, affirme David Blais, c’est parce qu’on s’est soumis aux premières étapes essentielles, soit la préparation du plan de relève, incluant l’évaluation psychologique des partenaires et des forces en jeu. » Il admet que ça prend beaucoup de diplomatie et une grande ouverture dans une transition de relève à plusieurs actionnaires. D’où l’importance d’un accompagnateur externe, d’autant plus que la relève est constituée, dans ce cas-ci, de deux groupes d’actionnaires, les cédants de la deuxième génération et leurs successeurs de la troisième génération.

 

INO Construction : inverser la tradition

Mathieu R. Cloutier, fondateur de INO Construction. Crédit : Ino Construction

 

Prendre la relève d’une entreprise familiale ne se fait pas toujours à sens unique. À preuve, l’entrepreneur Mathieu R. Cloutier a fondé INO Construction résultant de l’intégration de trois générations d’entrepreneurs : la sienne, celle de son père et celle de son grand-père. C’est une forme d’intégration multigénérationnelle fondée sur des bases familiales.

 

Il faut dire que Mathieu R. Cloutier évolue dans le milieu de la construction depuis un très jeune âge. Il a d’abord travaillé sur les chantiers avec son grand-père, entrepreneur général, puis avec son père également entrepreneur, jusqu’à ce que ce dernier décide de concentrer ses activités dans la branche immobilière de son entreprise sans la fermer. Son fils menuisier-charpentier dûment formé a alors décidé de fonder sa propre entreprise de construction générale, INO Construction, en récupérant les employés et la clientèle de l’entreprise de construction de son père. Pour lui, la construction est demeurée une affaire de famille, dont la passion de construire, de rénover et de réaliser divers projets est transmise de père en fils depuis plusieurs dizaines d’années.

 

« J’ai beaucoup appris de mon père et de mon grand-père, confie-t-il, et beaucoup de trucs de mon côté aussi. Par exemple, ce qui se faisait au fil de plomb pour mettre les murs à niveau à l’époque de mon grand-père, se faisait au niveau à bulle à l’époque de mon père, et maintenant ça se fait au laser. Même chose en ce qui concerne la gestion des projets : les contrats rédigés à la main sont devenus des bons de travail au papier carbone, tandis que maintenant, tout se fait avec des outils informatiques. » En fin de compte, c’est la transmission du savoir-faire technique et de la gestion de clientèle qui auront été privilégiés de génération en génération dans cette entreprise familiale.

 

« Les clients réguliers avec lesquels nous travaillons depuis plusieurs décennies étaient heureux de voir que la relève était en place pour continuer de les servir, tout en conservant les mêmes valeurs et la même qualité de service. »

 

Groupe Jenaco : et pourquoi pas un modèle hybride?

Jean Turgeon, président et fondateur de Groupe Jenaco. Crédit : Groupe Jenaco

 

Pour le président et fondateur de Groupe Jenaco, Jean Turgeon, il faut faire attention au processus de transmission de la direction d’une entreprise familiale, parce que la relève peut-être mal préparée. Particulièrement en ces temps difficiles qui posent d’énormes défis, notamment au chapitre de la main-d’oeuvre et de l’approvisionnement.

 

« Je voulais donner la chance à mes enfants de continuer dans l’entreprise, mais aussi leur donner le choix de faire autre chose. » Ce qui l’a amené à explorer l’avenue d’une formule hybride de transmission de l’entreprise.

 

« Quand j’ai commencé ma réflexion sur la relève, il y a une quinzaine d’années, relate l’entrepreneur, nous étions une trentaine d’employés. Aujourd’hui, on est près de 160. » Compte tenu de cette croissance, la réalité n’est donc plus la même. Pour lui, cette décision d’adopter une formule hybride s’imposait dans une perspective de transition plus lente, sur plusieurs années.

 

Ç’aura été l’occasion d’intégrer progressivement six employés qui occupaient des postes-clés dans l’entreprise. Concrètement, il a intégré une première cohorte de trois employés actionnaires en 2015, puis une autre cohorte équivalente en 2020. Mais il y a toujours de la place pour intégrer éventuellement ses enfants bénéficiaires de la fiducie familiale. Pour lui, il est clair que la passation des pouvoirs de l’entreprise va se faire sur plusieurs années. « Moi, ce qui motive ma démarche, c’est d’assurer la pérennité de l’entreprise. Aujourd’hui, j’ai 150 familles qui dépendent de mes décisions », rappelle-t-il.

 

Se défendant d’avoir la science infuse en la matière, il se réjouit d’avoir su s’entourer des bonnes personnes dans ses démarches, même s’il a dû s’adapter à certaines situations de son côté. Tant et si bien qu’aujourd’hui plusieurs personnes le contactent pour savoir comment il a fait pour développer une stratégie de transmission hybride d’une entreprise familiale.