Soumissionner sur des projets d'envergure : bien mesurer les risques

11 janvier 2022
Par Jean Garon

Le marché des appels d’offres publics est souvent la voie empruntée pour faire prendre de l’expansion à son entreprise. Cette aventure stimulante n’est toutefois pas sans risque dans un secteur compétitif, où le prix le plus bas fait encore loi.

D’entrée de jeu, tout contrat d’envergure suppose une plus grande complexité de la gestion des composantes essentielles liées à sa réalisation, dont les ressources humaines, matérielles et financières. D’où ce rappel à la prudence lors de l’estimation de ses capacités pour soumissionner sur des projets de plus grande envergure que ceux auxquels on a pu faire ses preuves par le passé et livrer la marchandise.

 

« Parfois, réaliser 18 projets de 1 M$ peut être plus simple qu’un gros projet de 18 M$ », reconnait Jean-Patrick Blanchette, directeur de l’estimation et gestionnaire de projet chez Aménagement Côté Jardin. Il conseille à ce propos de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, question de ne pas rendre l’entreprise dépendante d’un seul gros contrat, en plus de lui faire encourir de plus grands risques sur le plan financier. Il parle en connaissance de cause en référant à l’expérience de son entreprise qui a décroché en 2019 le plus gros contrat de son histoire auprès de la Ville de Montréal par le biais du SEAO.

 

Jean-Patrick Blanchette, directeur de l’estimation et gestionnaire de projet chez Aménagement Côté Jardin. Crédit : Mélissa Couture

 

Il s’agissait d’un contrat de 18 M$ pour la réfection d’une partie des infrastructures d’un tronçon de 430 mètres de la rue Sainte-Catherine, entre le boulevard Robert-Bourassa et la rue de Bleury. Les travaux à réaliser consistaient principalement à arracher l’asphalte temporaire, réduire la rue d’une voie pour la rendre semi-piétonne, installer la dalle de béton, la bordure de granit, les caniveaux de drainage, les trottoirs, l’éclairage et le mobilier urbain, faire la finition de la rue en pavés de béton de 4 pouces ainsi que la plantation d’arbres.

 

Composer avec un échéancier exigeant

Pour une firme comme Aménagement Côté Jardin, spécialisée en travaux de génie civil et en aménagement urbain, l’exécution de ce contrat de deux ans n’avait rien d’exceptionnel, hormis le fait de devoir respecter un échéancier particulièrement exigeant. L’entreprise montréalaise s’était tout de même qualifiée pour la réalisation du projet en se classant au premier rang pour l’échéancier et au deuxième rang pour le prix.

 

« La soumission était d’une complexité supérieure à celles qu’on était habitués », relate Jean-Patrick Blanchette. Et réaliser le projet en pleine pandémie n’a pas facilité les choses non plus. « On a réussi à se concentrer sur ce projet sans embaucher de personnel supplémentaire, mais on a eu recours à plusieurs sous-traitants pour être capable de livrer à temps. »

 

« Au début, dit-il, on avait pris un peu de retard en raison du défi que posait la gestion de la circulation et l’achalandage des commerces. Heureusement, la période hivernale nous a permis de reprendre le dessus. On a révisé notre approche et commencé l’année 2020 avec deux quarts de travail par jour. » Cela représentait donc un défi additionnel pour la gestion des équipes de travail et des activités sur le chantier.

 

Il faut dire aussi que la pandémie de la COVID-19 a également compliqué les choses en ce qui concerne l’approvisionnement. Il a fallu non seulement gérer le chantier en ajoutant un quart de travail de nuit et en modifiant le séquençage des travaux, mais aussi composer avec un problème d’approvisionnement, notamment en appliquant des mesures temporaires pour les grilles des caniveaux qui n’étaient pas disponibles. Mais en développant des caniveaux de béton préfabriqués sur mesure, l’entreprise a pu gagner beaucoup de temps dans l’échéancier.

 

Autre détail qui a son importance : l’entreprise a dû acheter une nouvelle pelle hydraulique, qu’elle a équipée d’un système robotisé autonome de 100 000 $ relié à des capteurs lui permettant de creuser à la profondeur voulue sans endommager la conduite de gaz enfouie dans le sol. Une contrainte nécessaire pour obtenir l’autorisation d’Énergir avant de creuser au-dessus de sa conduite sans le concours d’un arpenteur.

 

Malheureusement, Aménagement Côté Jardin s’est fait voler son système lors d’une intrusion sur le chantier durant l’été. Cela dit, elle a néanmoins réussi à démontrer son expertise à la Ville pour la réalisation d’un contrat d’une telle envergure. Bien que l’entreprise ait enregistré une croissance depuis quelques années, ce gros contrat l’a contrainte à concentrer ses efforts sur la réussite du projet compte tenu de ses problèmes particuliers de gestion. Au résultat final, confie Jean-Patrick Blanchette, « ce contrat nous a permis de nous maintenir au même niveau que l’année précédente, avec l’espoir de prendre de l’expansion par le développement de cette nouvelle expertise ».

 

Objectif : élargir les horizons

Ali Excavation, de Salaberry-de-Valleyfield, est une autre entreprise qui témoigne d’une croissance résultant de la prise en charge d’un contrat d’envergure en matière de génie civil. Il s’agit d’une entreprise familiale de troisième génération qui cumule environ 100 M$ de chiffre d’affaires annuellement. Un contrat de 13 M$ obtenu de la Ville de Vaudreuil-Dorion en 2020 via le SEAO pour l’installation d’une nouvelle conduite souterraine de grand diamètre lui a permis de développer ses compétences et de confirmer son expertise en génie civil.

 

La nouvelle conduite surdimensionnée devait traverser plusieurs rues à partir de l’usine d’épuration pour se raccorder à la conduite principale du boulevard de la Gare. Le contrat impliquait en plus de traverser la rivière Quinchien en recourant à la technique de forage directionnel.

 

En termes d’efforts pour la réalisation de ce contrat, l’entreprise a utilisé des équipements lourds surdimensionnés, dont une grosse excavatrice de 60 tonnes munie d’une flèche de portée très longue pouvant atteindre 10 mètres de profondeur.

 

Selon le président-directeur général, Marc-André Loiselle, « cet équipement a permis d’atteindre un niveau de production nettement amélioré et une manutention optimale de conduites surdimensionnées. De plus, nous avons mis en place une politique de gestion des surplus de matériaux de chantier et granulaires d’apport afin de mieux récupérer, valoriser et traiter les matériaux existants ».

 

Marc-André Loiselle, président-directeur général de Ali Excavation. Crédit : Jean-Guy Paradis

 

L’entreprise a dû également relever plusieurs défis en lien avec les risques d’exécution de tels travaux à grande profondeur en sol argileux, dans un contexte de travail où s’affairaient une quarantaine d’employés et quelques sous-traitants. Elle a notamment élaboré une stratégie d’utilisation d’un système d’étançonnement pour contrer les risques d’effondrement dans d’étroites et profondes tranchées. Ce mandat très exigeant a nécessité une adaptation de l’entreprise, autant dans sa planification que dans l’exécution des travaux. Tout compte fait, il lui aura servi de tremplin pour instaurer de nouveaux jalons et paramètres de performance.

 

Comme le souligne Marc-André Loiselle, « ce mandat majeur a fait la preuve de la forte capacité de performance de l’entreprise, de son sens de la productivité et surtout de son agilité en toute circonstance ». Il l’aura d’ailleurs mené à l’obtention d’un autre contrat d’importance, de même type, à la Ville de Châteauguay.