Conciliation travail-famille : difficile à appliquer en construction?

11 janvier 2022
Par Sandra Soucy

Employeurs et employés de la construction sauront-ils poser de concert les jalons d’un nouveau consensus, et ce, dans un domaine où les mesures pour une bonne conciliation entre la famille et le travail sont particulièrement difficiles à adopter ?

La prise en compte de la dimension de la conciliation entre vie de famille et vie professionnelle au sein de l’organisation du travail laisse présager une tendance appelée à s’accentuer. Mais il n’empêche qu’il reste beaucoup à faire pour favoriser l’essor de ce mouvement. Dans cette perspective, alors qu’il est toujours laborieux de trouver un équilibre entre obligations professionnelles et obligations familiales, l’élargissement de cette notion s’impose d’emblée.

 

Des réalités multiples

« De fait, il est de plus en plus pertinent de parler de conciliation famille-études-travail-proche aidance », souligne d’entrée de jeu Marie-Laure Labadie, conseillère en emploi au Centre étape, organisme à but non lucratif qui favorise l’amélioration des conditions socio-économiques des femmes. « Avec le vieillissement de la population, les travailleurs ont beaucoup plus que leur rôle de parent à jouer; bon nombre d’entre eux devront aussi s’acquitter de celui de proche aidant. L’enjeu sera de définir des mesures pour améliorer l’équilibre entre le travail et la vie privée afin d’offrir la possibilité de concilier toutes ces sphères. »

 

Marie-Laure Labadie, conseillère en emploi au Centre étape. Crédit : Gracieuseté

 

Raymond Villeneuve, directeur général du Regroupement pour la valorisation de la paternité, invite à intégrer les réalités paternelles dans l’offre de services aux hommes. « Près d’une famille monoparentale sur quatre est menée par un homme, et ces pères sont aussi confrontés aux défis que représente la conciliation famille-travail (CFT). Une réflexion doit être poursuivie sur l’équilibre à atteindre pour que chacun des parents puisse se réaliser de façon saine et sereine, dans les différents domaines de leur vie. »

 

Jonathan Savaria Simoneau, chargé de projet chez Groupe Humaco, partage le même avis : « Il faut absolument prendre en considération la montée des pères monoparentaux et aussi de ceux qui assurent la garde partagée. De ce fait, les injonctions à intégrer les contraintes familiales des salariés dans l’organisation du travail doivent être prises en compte rapidement. »

 

Envisager les bénéfices

Plusieurs sondages récents démontrent que les jeunes parents ressentent une énorme pression et sont anxieux, particulièrement quand la CFT n’est pas bien réussie. Corinne Vachon Croteau, directrice générale du Réseau pour un Québec Famille et de son initiative Concilivi, observe qu’un manquement à l’égard de la CFT constitue une source de stress considérable qui se traduit bien souvent par un taux d’absentéisme élevé et de l’épuisement chez les travailleurs. Et les conséquences peuvent aussi être désastreuses pour l’employeur. « Dans le contexte actuel, alors que s’opère une transition sur le plan des valeurs des jeunes travailleurs qui accordent de plus en plus d’importance aux différentes expériences de vie, un employeur qui ne prendrait pas en considération cette réalité s’exposerait à une perte importante d’employés, et ce, dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre. »

 

Corinne Vachon Croteau, directrice générale du Réseau pour un Québec Famille. Crédit : Gracieuseté

 

Un sondage réalisé par Léger Marketing pour le compte de Concilivi, mené auprès de 3 000 parents et proches aidants, démontre que 54 % d’entre eux seraient prêts à changer d’emploi et 27 % accepteraient une réduction de salaire pour obtenir de meilleures mesures de la CFT.

 

« Ces mesures doivent être encouragées par l’entreprise, car elles représentent un élément crucial de l’équation qui permet d’assurer une meilleure attractivité, une meilleure productivité et une meilleure rétention de main-d’oeuvre, tient à rappeler Raymond Villeneuve. L’employeur doit se saisir de l’opportunité qui se présente à lui pour s’adapter à cette nouvelle réalité et apporter son soutien à la CFT. »

 

Véronique Gagné, responsable des ressources humaines pour l’ensemble de Groupe Humaco. Crédit : Gracieuseté

 

Véronique Gagné, responsable des ressources humaines pour l’ensemble de Groupe Humaco est bien d’accord : « En entrevue, ce sont les premières questions que les candidats vont nous poser : “ Quelles sont vos flexibilités ? Quelle est votre ouverture d’esprit ? ” L’employeur n’a d’autres choix que d’adapter le milieu de travail et de favoriser la CFT. Et cela vaut aussi pour les employés sur le chantier. »

 

Employés de bureau, employés de chantier, même réalité ?

Il faut noter que l’arrimage famille-travail se présente de manière bien différente selon qu’il s’agisse d’un employé de bureau ou d’un employé sur le chantier. Les défis, bien que présents des deux côtés, ne sont pas les mêmes pour tous. Pour Marie-Laure Labadie, il est clair qu’il sera plus difficile pour les travailleurs sur chantier d’obtenir les mêmes conditions que ceux hors chantier. « Sur chantier, il y a des conventions collectives, des associations patronales, des syndicats, la CCQ qui encadrent tout ça, bref, ça fait beaucoup de monde à consulter pour pouvoir faire avancer les choses ! De plus, avec les horaires de chantier et les employés qui travaillent en équipe, c’est certain qu’on ne dispose pas d’une même flexibilité. »

 

« Il faut prendre en compte tous ces enjeux pour arriver à proposer des solutions qui pourront y répondre, renchérit Corinne Vachon Croteau. Bien sûr qu’on ne peut pas faire du télétravail et être sur un chantier en même temps, mais il y a d’autres mesures pour atténuer certaines difficultés qui peuvent se présenter. Il est important d’ouvrir la discussion avec le syndicat pour s’assurer de travailler le plus possible ensemble, main dans la main, pour faire des avancées. »

 

Dans un tel contexte, la culture de l’entreprise joue un rôle prépondérant dans la mise en oeuvre des objectifs de la CFT. « C’est grâce au rôle central qu’elle occupe que les choses vont pouvoir bouger, souligne Marie-Laure Labadie. Les employés veulent évoluer dans un environnement sain et serein avec de bonnes conditions de travail, et seule une culture d’entreprise fondée sur des valeurs humaines contribuera à la réussite de l’implantation de la CFT. Mais pour cela, il est primordial que l’employeur soit à l’écoute de son personnel et qu’il fasse preuve de bonne volonté. »

 

Véronique Gagné est bien d’accord : « Chez Groupe Humaco, l’humain est au coeur de l’organisation. Toutes nos actions et toutes nos intentions vont dans cette direction. Une entreprise dont la culture serait trop rigide, très fermée et très axée sur la productivité ne pourrait pas aller de l’avant avec la CFT. »

 

Des chiffres qui parlent

Toujours selon le sondage Léger réalisé en mai 2021, 90 % des répondants ont mentionné un impact important des mesures de la CFT sur leur satisfaction au travail, 89 % ont indiqué que l’ouverture d’esprit de leur employeur à l’égard de la CFT avait un impact important sur leur motivation au travail, alors que 85 % soulignent un impact important sur leur propension à rester plus longtemps au sein de l’entreprise. De tels résultats amènent à conclure que ces mesures ont un effet très positif autant pour l’employeur que pour l’employé et constituent un atout inestimable pour la fidélisation des travailleurs, et ce, particulièrement en temps de pénurie de main-d’oeuvre.

 

Dans le souci d’élargir leurs horizons, l’initiative Concilivi a développé son offre de mesures de CFT en veillant à ce qu’elles touchent à quatre domaines : l’aménagement du temps et du lieu de travail, les congés pour responsabilités familiales, le soutien aux employés et à leur famille, et l’adaptabilité de l’organisation. Cette initiative représente un bel exemple de mesures qui pourraient être implantées, mais encore faudra-t-il qu’elles répondent aux besoins des employés.

 

« Il est essentiel de faire l’étude des besoins au préalable, car nous voulons éviter à tout prix que notre belle intention se transforme en un coup d’épée dans l’eau, affirme sans ambages Corinne Vachon Croteau. D’ailleurs, les sondages démontrent clairement que la majorité des parents-travailleurs-proches aidants exigent des mesures formalisées, c’est-à-dire, clairement spécifiées et diffusées. Et si on veut mettre en place des mesures qui auront de l’impact et qui seront utilisées, cette étape de formalisation est incontournable. »

 

Raymond Villeneuve, directeur général du Regroupement pour la valorisation de la paternité. Crédit : Gracieuseté

 

Les ressources sont multiples et accessibles sur les sites Internet, sans parler des organismes et autres entreprises qui se développent dans ce domaine. « Il n’y a pas de limites aux solutions qui peuvent être apportées, ajoute Marie-Laure Labadie. Les ressources existent, mais les employés sont aussi invités à intervenir et à proposer leurs propres idées. »

 

La question de l’implication paternelle s’impose d’emblée comme un impératif à intégrer aux mesures de la CFT. « Il faut emboiter le pas dans ce domaine, car l’implication paternelle est l’un des meilleurs leviers en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, fait valoir Raymond Villeneuve. L’équilibre du partage des tâches constitue le facteur le plus important sur le plan de la vie personnelle. Forts de ce constat, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que l’implication d’un conjoint au quotidien constitue l’une des meilleures mesures à adopter en matière de conciliation famille-travail. »