Réseautage : la distance n’a plus d’importance

11 janvier 2022
Par Maude Ferland

Le réseautage est reconnu comme un incontournable dans le domaine entrepreneurial. Mais dans une ère pandémique où les affaires continuent de rouler en marge des décrets de mesures sanitaires, cette pratique et ses règles ont su se réinventer. Même ouvrir de nouvelles avenues. Tour d’horizon d’une révolution obligée et appelée à rester.

Forcément, il y a eu une fracture. L’arrivée de la COVID-19 et l’état d’urgence qu’elle a généré ont chamboulé les pratiques, toutes industries confondues. Les secteurs commercial et institutionnel entrent alors dans un confinement, fermant les frontières au-delà de la géographie, mettant par le fait même abruptement fin aux échanges dans leurs plus traditionnelles façons de faire. Et le réseautage y a passé, sans surprise. Maryse Gingras, vice-présidente des sections du Québec, de la Colombie-Britannique et des provinces de l’Atlantique chez Futurpreneur, en témoigne : « Le réseautage a été délaissé; c’était un peu moins dans les priorités, même s’il demeure tout de même important de le pratiquer. » La femme à la haute direction de cet OSBL voué aux jeunes entrepreneurs de 18 à 39 ans a, elle aussi, dû s’adapter aux nouvelles réalités du réseautage virtuel, à l’instar de tous.

 

Maryse Gingras, vice-présidente des sections du Québec, de la Colombie-Britannique et des provinces de l’Atlantique chez Futurpreneur. Crédit : Jacques Frenette, Longueuil Photo

 

Mis sur pause dans un premier temps, le réseautage a ensuite repris forme, contexte sanitaire oblige, par écrans interposés. Ce qui se révélait d’abord comme un simple ajustement a dévoilé à la face du monde la grande force du réseautage en mode virtuel : celle de l’absence de frontières, qui décuple les occasions d’échange. Désormais, personnes d’intérêt et événements, autrement inaccessibles du fait de contraintes géographiques, sont à portée de main. Des possibilités inédites sont dès lors offertes dans une perspective entrepreneuriale. Maryse Gingras nuance : « La clé du réseautage demeure cependant de bien choisir les événements qui ciblent les objectifs que l’on souhaite atteindre. » Une réflexion que doit avoir l’entrepreneur, même déjà accompli. Et l’objectif ne se retrouve pas que dans la stricte perspective de conclure une entente, doit-on garder à l’esprit.

 

Ouvrir les perspectives

Le réseautage dit d’affaires, pratiqué par tout bon entrepreneur en quête d’opportunités, permet d’élargir et d’entretenir son réseau de contacts, dans un but transactionnel. Cette manière d’aborder le réseautage est cependant bien restrictive pour le développement de ses affaires : elle prive l’entrepreneur de tout un spectre de possibilités qui, à terme, ont de réelles retombées sur l’entreprise et, par conséquent, sur sa force d’affaires.

 

Pour Stéphane Gingras, recruteur à l’École d’entrepreneurship de Beauce, le réseautage est bien plus qu’une simple opportunité d’affaires. Par la nature même de leur fonction, les entrepreneurs font face à de nombreux enjeux, précise celui qui est en contact étroit avec plusieurs d’entre eux, notamment ceux oeuvrant dans le domaine de la construction. Il cite notamment des enjeux liés à l’équilibre personnel, à la relève de l’entreprise, à la délégation des responsabilités et, même, à la solitude. Le réseautage dit de soutien, pour sa part, permet une entraide entre les entrepreneurs dans la résolution d’enjeux communs. Ce qui peut s’avérer bénéfique dans le domaine de la construction, présentement aux prises avec de nombreux enjeux.

 

L’après-COVID

Maintenant que nous effectuons un retour progressif à la vie normale, le réseautage en mode virtuel est-il appelé à rester ? Oui, mais les classiques rencontres et événements sur le terrain aussi. Le modèle hybride – qui alterne entre les rencontres virtuelles et celles en présentiel – s’impose de plus en plus comme le mode général de réseautage de l’ère post-COVID. D’une part, les enjeux transactionnels se feront sur le terrain. « Une grosse entente, ça se fait en personne », rappelle Stéphane Gingras. Sur le réseautage en ligne, l’homme habitué aux loges des affaires y voit des possibilités de développement. Afin d’en assurer l’efficacité, celui-ci doit cependant être mené de façon stratégique : « Si le réseautage virtuel est bien géré, si la communication est efficiente, ça augmente le rayonnement d’action », poursuit-il. On fait ici intervenir les réseaux sociaux – incontournables plateformes de réseautage virtuel – qui offrent des opportunités déjà préqualifiées.

 

Peu importe que le réseautage se fasse par l’intermédiaire d’une plateforme virtuelle ou sur le terrain, tout se joue d’abord et avant tout sur le plan de la communication. À la base même du réseautage se trouve la création d’un lien, qui doit permettre un véritable accès à l’autre. Un lien de confiance réciproque s’engendre, lequel débouche en occasions d’affaires, car faut-il le rappeler, les affaires entre entrepreneurs sont le fruit d’une relation de confiance qui existe d’abord entre eux. « Ça crée de la valeur, de la productivité, de la richesse, juste en réseautant et en le faisant d’une façon logique », précise le recruteur. Autrement, la communication ne se limite qu’à un mode opérationnel.

 

Cette ouverture à l’autre dans le cadre du réseautage, qui va bien au-delà du simple échange de la carte professionnelle, Maryse Gingras y accorde aussi de l’importance, poussant la note encore plus loin. La femme qui gravite dans l’écosystème entrepreneurial depuis maintenant près de dix ans aborde d’elle-même une condition médicale l’affectant, dans le cadre de ses rapports d’affaires. Atteinte de sclérose en plaques, elle révèle dorénavant cet état de fait qu’elle gardait jusqu’alors privé. « C’est important en tant que leader de le démontrer », souligne-t-elle à propos d’une plus grande ouverture à l’autre dans un contexte professionnel.

 

Savoir être efficace

Une réflexion sur ce que représente le réseautage était déjà en cours avant la pandémie. Marine Agogué, professeure à l’École des hautes études commerciales (HEC), étudie notamment l’organisation du travail en temps de pandémie. Des aspects négatifs, récents et encore peu explorés par la recherche, résulteraient cependant de la pratique, selon elle, en raison notamment d’un conflit d’allocations des ressources.

 

Marine Agogué, professeure à l’École des hautes études commerciales. Crédit : HEC

 

Tout individu dispose de ressources, intellectuelles et émotionnelles. Or, ces ressources individuelles sont limitées dans une journée et sont en grande partie consacrées au travail. Un événement de réseautage, qu’il soit virtuel ou non, représente un investissement important en termes de ressources personnelles : « Il faut retenir des noms, se présenter, peut-être même se vendre, gérer son langage corporel, parmi tout un tas d’autres choses », illustre madame Agogué. Dans un contexte où, qui plus est, les activités de réseautage se déroulent aux heures d’après-travail, celui-ci représente donc un surinvestissement des ressources dans un contexte d’épuisement de celles-ci.

 

Comment alors conjuguer nécessaire réseautage dans un contexte entrepreneurial et efficacité de la méthode ? Selon Stéphane Gingras, les rencontres et les événements seront sélectionnés plus rigoureusement : « Les gens ont réalisé qu’ils pouvaient être aussi productifs sans se voir. Ils voudront se rencontrer pour les bonnes raisons, il y aura peut-être moins de rencontres ‘’inutiles‘’ », anticipe-t-il. Ce qui ne manquerait pas, finalement, de ramener l’entrepreneur au point de départ : déterminer précisément les objectifs qu’il souhaite atteindre à l’aide du réseautage.