15 décembre 2023
Par Maude Ferland

Pour maintenir sa compétitivité, il est nécessaire pour les entrepreneurs d'adopter une approche de rémunération flexible.

On la dit « flexible » car elle réinvente la rémunération au-delà du salaire direct et, s’il y a lieu, des avantages sociaux dits traditionnels. Philippe Marceau, directeur principal, Conseil en ressources humaines chez Raymond Chabot Grant Thornton, nous en offre une définition généraliste : « La rémunération flexible, c’est tout ce qui englobe ce qui n’est pas le salaire direct. C’est la réponse courte. » Le spécialiste l’avoue d’emblée, la rémunération classique a de moins en moins la cote : « C’est de moins en moins la tendance. Ceux qui demeurent en rémunération classique en 2023 commencent à être derrière le marché, ça, c’est sûr et certain. » Pour tirer son épingle du jeu, l’employeur doit donc sortir de la boîte.

 

Les bons réflexes

Que faire, cependant, lorsque les conditions de rémunération d’une partie de ses troupes relèvent du décret strict de la Commission de la construction du Québec (CCQ) ? Rappelons-le, les régimes de retraite et d’assurance, notamment, font partie des clauses communes des conventions collectives 2021-2025. « Les conditions du décret de la CCQ sont quand même intéressantes sur le marché », reconnaît néanmoins Philippe Marceau.

 

Qu’à cela ne tienne, on fait preuve de créativité sans empiéter sur les conditions de la CCQ. Un atout dans sa marque employeur, selon Paméla Bérubé, vice-présidente et cofondatrice de GoRh, qui commente l’avantage conféré aux entrepreneurs qui en font plus que ce qu’exige les conventions collectives : « Les entreprises en construction vont avoir un effet de levier supplémentaire parce que ça ne touche pas aux conditions syndiquées. »

 

Pensez ici aux initiatives de toutes sortes pour faciliter la conciliation travail-famille ou la qualité de vie des employés. Paméla Bérubé rapporte des exemples vus chez des entrepreneurs en construction… pour le moins créatifs ! « L’accès à un véhicule de compagnie en dehors des heures de travail, le changement de pneus des véhicules personnels des employés au sein du garage de l’entreprise, l’accès à des lunchs et repas via un partenariat avec un fournisseur local en sont quelques exemples », rapporte-t-elle.

 

Des initiatives qui font une pierre deux coups, puisqu’elles permettent, pour certaines d’entre elles, la bonne continuité des activités de l’employé qui ne se voit pas obligé de s’absenter pour remplir des obligations personnelles. Les campagnes de vaccination organisées par l’employeur sur le lieu de travail s’inscrivent aussi dans ces initiatives « gagnantes-gagnantes ».

 

L’employé : le premier concerné

Le point de départ pour l’élaboration d’une stratégie de rémunération flexible est le travailleur lui-même. Exit, donc, le modèle de rémunération imposé par le patronat, sans consultation préalable. « Une relation employeur-employé, c’est maintenant une relation d’égal à égal », fait remarquer Philippe Marceau. L’employeur doit prendre le pouls de ses troupes et les consulter à propos de leurs besoins.

 

Philippe Marceau, directeur principal, Conseil en ressources humaines chez Raymond Chabot Grant Thornton. Crédit : Raymond Chabot Grant Thornton

 

Les sondages organisationnels – menés par une firme externe, de préférence – sont par ailleurs d’excellents outils pour ce faire. Des rencontres de fidélisation pour sonder les employés de plus longue date (dès deux ou trois années en poste) sur les raisons de leur loyauté envers notre marque employeur sont aussi à mettre au calendrier. « Cela permet de miser par la suite sur les éléments positifs de la fidélisation », précise Philippe Marceau. Et lorsque l’un d’eux quitte pour un concurrent, on peut saisir l’occasion afin d’effectuer une entrevue de départ. Encore peu courante, elle gagne pourtant à être intégrée au sein des pratiques entrepreneuriales.

 

L’entrevue de départ représente effectivement une excellente source d’information pour améliorer l’attractivité de son offre future. L’exercice fera sans doute ressortir la réalité du marché, soit la diversité du personnel. « La rareté de la main-d’oeuvre nous amène à embaucher des gens issus d’autres pays et d’autres secteurs d’activités, avec l’ouverture des bassins. Cette diversité nous amène de nouveaux besoins et, par le fait même, nous oblige à devoir faire preuve d’une plus grande flexibilité », soutient Paméla Bérubé.

 

Paméla Bérubé, vice-présidente et cofondatrice de GoRh. Crédit : Gracieuseté

 

Autre variable : les différentes générations d’employés, dont le nombre s’élève parfois jusqu’à cinq au sein d’une même entreprise et dont les besoins distincts sont irréconciliables avec un régime de rémunération plus universaliste. Plus encore, les demandes d’un même employé sont appelées à évoluer dans le temps, et sa rémunération devrait s’adapter en conséquence. Pour cette raison, les programmes d’avantages sociaux « à la carte » et modulables ont d’ailleurs la cote de nos jours.

 

Pensez demain, aujourd’hui

L’élaboration d’une stratégie de rémunération flexible commence par les bons gestes et une bonne réflexion. « Il faut réfléchir, pour 2024, à la manière de bonifier les conditions de travail et de les amener vers une orientation plus flexible, au même titre que le développement de marché ou le développement d’un nouveau produit. Il faut inclure cette démarche comme une priorité pour la prochaine année », tranche Paméla Bérubé.

 

Notons que la génération qui fait présentement son entrée sur le marché du travail s’apprêterait à bouleverser les statistiques en représentant jusqu’à 75 % des travailleurs d’ici 2030. Une nouvelle génération d’effectifs avec des besoins générationnels qui, sans doute, n’auront jamais été aussi individuels et qu’il faut s’apprêter à accueillir. « L’employeur qui va faire cette réflexion-là est clairement celui qui va tirer son épingle du jeu de façon agile », conclut Paméla Bérubé.