Lente progression de la mixité sur les chantiers

15 décembre 2023
Par Roxanne Caron

Représentant 3,65 % de la main-d’oeuvre totale sur les chantiers en 2022, la proportion de femmes dans le milieu de la construction est encore marginale. Animées par un souci d’inclusion et par un besoin criant de main-d’oeuvre, certaines entreprises tentent cependant de faire grimper cette statistique.

C’est notamment le cas de TCI+, où près de 15 % des embauches réalisées en 2022 étaient féminines.
L’implication de TCI+ (auparavant Transelec/Common) dans la promotion de la place des femmes dans l’industrie lui a d’ailleurs valu le prix Reconnaissance-mixité lors du 79e congrès annuel de l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec. TCI+ s’est effectivement démarquée en 2022 en embauchant un grand nombre de femmes détenant un certificat de compétence de l’industrie de la construction. Et cette initiative ne date pas d’hier. Anne Sabatié, vice-présidente du département Énergie bas carbone, en sait quelque chose. Embauchée il y a près de 33 ans, elle a d’une certaine façon pavé le chemin pour les années à venir en étant la première femme ingénieure chez TCI+ à travailler sur les chantiers, et ce, dès l’âge de 20 ans.

 

Son patron avait alors vu en elle un profil qui correspondait bien à ce qu’il recherchait. « Il a pensé que ce serait bon d’avoir une vision féminine. J’étais avec 600 hommes dans le même campement ! Les travailleurs ont vraiment aimé travailler avec moi », explique la vice-présidente, qui ajoute avoir parfois été obligée de mettre son pied à terre en début de carrière afin d’être respectée. C’est cette expérience positive qui a ensuite poussé les gestionnaires à porter une plus grande attention à la place de la femme dans leur entreprise.

 

Une richesse à découvrir

Aujourd’hui, la culture de l’organisation combat toute forme de discrimination à l’embauche, au sein des relations de travail et dans l’évolution des carrières des employés. L’entreprise s’engage à féminiser et à s’ouvrir plus largement aux personnes de toute origine. « Nous nous engageons à garantir des conditions favorables pour que l’ensemble des hommes et des femmes aient les mêmes chances d’évoluer au sein de notre entreprise », souligne-t-elle. L’avantage à cette initiative ? La pluralité des visions. Selon elle, tout se voit transformé par la diversité : les perceptions, les discussions et même le climat. « Je suis convaincue que la différence est une source de créativité et d’enrichissement commun. D’ailleurs, nous comptons aujourd’hui des employés des quatre coins du monde avec une vision et une culture différentes. »

 

Anne Sabatié, vice-présidente du département Énergies Bas Carbone chez Transelec Common inc (TCI). Crédit : Photo professionnelle TCI

 

TCI+, qui compte près de 1 000 employés permanents, s’active particulièrement pour impliquer des femmes au sein de la direction. À ce jour, le comité de direction comprend près de 25 % de femmes qui occupent plusieurs postes de direction, que ce soit en ressources humaines, en sécurité ou en environnement. « La présence de femmes fait en sorte que les réflexions d’équipe et les plans stratégiques changent. Elles amènent une saveur différente. Une plus grande présence féminine au sein de la direction oblige tout le monde à revoir leur perception de l’industrie », ajoute Anne Sabatié, qui observe une progression de la mixité en ce qui a trait au genre, à la nationalité et au profil principalement dans les bureaux.

 

Une question d’éducation

Mais les efforts doivent être entrepris rapidement pour susciter l’intérêt des femmes quant aux métiers liés à la construction. En compagnie de l’Ordre des ingénieurs du Québec et d’autres organismes, la dirigeante de TC+ participe activement à des concours de science pour tenter d’éveiller la curiosité des jeunes filles afin de les encourager à travailler auprès de compagnies de l’industrie. C’est pourquoi TCI+ participe aux journées carrière d’écoles secondaires et invite même les jeunes à venir passer une journée dans l’entreprise, accompagnés d’un vice-président.

 

Car beaucoup de postes ne sont pas nécessairement liés aux métiers de la construction traditionnels : « Dans une compagnie de construction, il y a tous les métiers. Il s’agit d’une société en ellemême. » Il existe en effet toute une déclinaison de postes qui permettent à l’entreprise de fonctionner. « Les jeunes, souvent, quand on leur parle de construction, pensent qu’ils doivent tenir un marteau. Mais ce n’est pas forcément le cas. C’est cette vision qui, selon moi, doit être changée pour éviter que les jeunes filles grandissent avec cette idéelà. Il faut casser le stéréotype », soutient Anne Sabatié. L’attitude des parents aurait aussi un important impact sur la perception des jeunes face au domaine de la construction. « Ils jouent un rôle pour ouvrir les horizons des jeunes filles. Encore aujourd’hui, elles n’ont pas nécessairement idée que ce milieu peut leur être ouvert, et pourtant ! »

 

Encadrement et pénurie de main-d’oeuvre

Depuis 2015, les femmes bénéficient d’un meilleur accès à l’industrie de la construction du Québec grâce au Programme d’accès à l’égalité des femmes lancé par la Commission de la construction du Québec (CCQ). Pas moins de 40 mesures ont été mises en place pour favoriser l’intégration des femmes et la mixité sur les chantiers. La CCQ entend, par ces mesures, soulever l’intérêt des femmes pour les métiers et les occupations de la construction ainsi que simplifier leur accès aux programmes de formation et à l’industrie. Ce programme, espère-t-on, contribue ainsi à contrer la rareté de main-d’oeuvre.

 

Mais encore faut-il que ces femmes soient bien reçues et encadrées par les entreprises qui les accueillent. « Ce sont des réflexions d’entreprise à avoir : comment tu encadres, comment tu formes ces jeunes-là qui ont parfois des cartes plus facilement. On va voir dans les prochaines années si le fait de donner plus facilement des cartes va réellement attirer plus de femmes », conclut Anne Sabatié.

 

ENCORE DU TRAVAIL À FAIRE

Bien que les femmes soient de plus en plus nombreuses sur les chantiers, il reste encore du travail à faire pour augmenter leur représentativité. Selon le portrait statistique des femmes dans l’industrie de la construction pour l’année 2022 publié par la CCQ, un nombre record de plus de 7 200 femmes ont travaillé cette année-là sur les chantiers, soit 3,65 % de la main-d’oeuvre totale. Ce nombre représente une augmentation de près de 970 travailleuses par rapport à l’année précédente.

Avec plus de 9 % d’entrées féminines dans l’industrie, plus de 1 900 femmes ont ainsi entrepris une carrière sur les chantiers en 2022. Le métier de peintre est celui qui comptait le plus de femmes en 2022 (1 712 travailleuses), suivi par ceux de charpentière-menuisière (1 423) et de manoeuvre (1 268). N’empêche, après un an dans l’industrie, le taux d’abandon grimpe à 21 % pour les femmes, alors qu’il se fixe à 13 % pour les hommes. Et l’attractivité des femmes dans certains métiers demeure complexe : « Par exemple, travailler sur des chantiers éloignés est très challengeant en termes de recrutement. Surtout lorsque les employés ont des enfants. Il s’agit d’un contexte qui n’est pas facile ni pour les hommes ni pour les femmes », remarque Anne Sabatié.