Mode hybride, le nouveau « normal » du travail ?

6 janvier 2023
Par Sandra Soucy

De plus en plus, le travail en mode hybride s'installe sur le devant de la scène et renforce sa position en séduisant un nombre sans cesse croissant de salariés. D'où l'importance pour l'employeur d'instaurer des politiques claires qui s'adapteront à cette nouvelle tendance qui n'est pas à la veille de faire marche arrière.

Certains pays, comme la France, ont mis en place une politique de droit à la déconnexion. Ce droit, clair et établi, permet à l’employé de couper toute communication de l’employeur avec lui en dehors des heures normales de travail. « Mais ce droit n’existe pas encore au Québec, soulève d’entrée de jeu Éric Thibaudeau, avocat et associé chez Lavery Avocats. Cependant, il y a des droits qui existent, notamment pour les employés assujettis à la Loi sur les normes du travail. Ceci ne constitue qu’un exemple. Mais, quoi qu’il en soit, si l’employeur veut bien faire les choses, il devrait toujours conclure un contrat de travail écrit, puis trouver une manière de le formuler pour y inclure la rémunération des heures supplémentaires. »

 

Le télétravail et les risques pour l’employeur

Avec l’avènement du télétravail, bon nombre d’employés manifestent le désir d’aller travailler à l’étranger. Mais ce qui peut paraître attrayant pour eux, peut l’être beaucoup moins pour les employeurs. Or, comme le fait remarquer Éric Thibaudeau, même si les employeurs sont très soucieux de conserver leur main-d’oeuvre, rien ne les oblige à autoriser le travail hors du pays. Et c’est sans compter tous les aspects relatifs à la sécurité informatique et à la protection de l’information, qui font aussi l’objet d’une attention particulière si le travailleur est à l’étranger. « Non pas lors d’un voyage d’affaires de courte durée, précise-t-il, mais bien s’il s’agit du plus long terme. Pourquoi ? Notamment parce que l’employeur n’aura aucun contrôle sur les fournisseurs Internet, ce qui pourrait augmenter le risque de danger en lien avec la sécurité des informations échangées sur les divers réseaux. »

 

Éric Thibaudeau, avocat et associé chez Lavery Avocats. Crédit : Lavery

 

De plus, poursuit celui qui est aussi associé chez Lavery, pour beaucoup de salariés, le travail en mode hybride est considéré comme un fait accompli. Cependant, il n’en est rien, car le télétravail imposé par les mesures sanitaires n’est pas devenu un droit acquis. « Être présent au travail, partiellement ou en totalité, fait partie des conditions de travail au même titre que l’horaire. Bien entendu, un employeur qui déciderait du retour à temps plein au bureau dans un pareil contexte de pénurie de main-d’oeuvre devient moins séduisant sur le marché du travail en matière de recrutement. Mais il est tout à fait possible de l’exiger. »

 

Meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle

Depuis la sortie du confinement, la plupart des entreprises ayant adopté un mode d’organisation de travail hybride continueront de le faire, et ce, pour répondre aux besoins de leurs employés qui considèrent avoir acquis un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle. Pour Alison Roger, partenaire d’affaires en ressources humaines chez Garoy Construction, il est clair que le mode hybride constitue une opportunité pour innover et travailler autrement. « Nous avons mis cette politique en place pour répondre aux besoins de ceux qui y trouvaient leur compte et nous nous sommes aperçus que non seulement cela ne nuisait pas aux activités mais, qu’en plus, certains employés étaient plus performants. »

 

Alison Roger, partenaire d’affaires en ressources humaines chez Garoy Construction. Crédit : Studio Les Fleurs

 

Pour sa part, Caroline Tardif, directrice des ressources humaines chez Groupe SM Tardif, préconise le retour en présentiel à temps plein. « Le contact humain est ancré dans l’ADN de notre entreprise. Nous offrons le travail hybride à nos employés afin de leur donner un coup de main pour la conciliation de leurs vies personnelle et professionnelle, mais notre plus grand désir serait qu’ils reviennent volontairement sur les lieux de travail. Nous croyons fermement que l’on apprend au contact de nos pairs. Le télétravail demande des ajustements. C’est la raison pour laquelle nous avons mis sur pied un projet pilote qui nous permettra, d’ici la fin de 2022, de mieux cerner les besoins et d’évaluer adéquatement cette possibilité d’un retour au travail en présentiel à temps plein. »

 

Même s’il n’existe pas véritablement de définition officielle du télétravail dans la loi, les règles qui s’appliquent en télétravail ou en présentiel sont relativement les mêmes. Et cela vaut pour les conditions de travail. À titre d’exemple, un employé devrait avoir le même salaire et le même horaire, qu’il effectue son travail de la maison ou du bureau.

 

Sur le plan des obligations de l’employeur lorsqu’un employé travaille de la maison, certains choisiront de lui fournir le plus souvent un ordinateur portable ou encore de l’équipement pour des raisons, notamment, de santé ou de sécurité informatique même si, dans les faits, ils ne sont pas tenus de le faire puisque rien ne les y oblige. Toutefois, que l’équipement soit fourni ou pas, il incombe à l’employé de préserver la confidentialité des renseignements de l’employeur. « Néanmoins, et en toute circonstance, l’employeur a l’obligation de fournir un environnement de travail sécuritaire à son employé qu’il travaille du bureau ou de la maison, souligne Éric Thibaudeau. »

 

Caroline Tardif, directrice des ressources humaines chez Groupe SM Tardif. Crédit : Francis Fontaine

 

Opter pour un partage du temps de travail entre le bureau et la maison soulève inévitablement la question de la supervision de l’employé. Sur le plan informatique, il existe une panoplie de logiciels qui permettent aux employeurs de s’assurer que leurs salariés travaillent, et ce, malgré la distance. Mais ce sont surtout les moyens plus courants tels que les appels téléphoniques ou les réunions en visioconférence qui ont la cote. Il est certain que l’employeur voudra s’assurer que le travail est réalisé correctement, en tout temps. À ce propos, Alison Roger signale que le rendement attendu de l’employé doit être le même, peu importe où il se trouve. « On ne doit pas voir de différence, et surtout, il ne faut en aucun cas que cela provoque une surcharge de travail aux collègues qui ont choisi d’être au bureau. Chez Garoy Construction, on s’attend aussi à ce que nos employés soient joignables de la même façon que s’ils étaient au bureau. Règle générale, nos employés sont reconnaissants d’avoir une flexibilité et ils sentent qu’on les respecte et qu’on leur fait confiance. Cela contribue de façon importante à renforcer notre lien avec eux. »

 

Établir des règles

S’il y a une chose qui n’a pas changé avec le télétravail, c’est bien le respect des règles établies par l’employeur, que l’on soit en télétravail ou non, pour des comportements attendus, notamment en ce qui concerne la courtoisie professionnelle et la civilité. « Avec l’avènement de la pandémie et du télétravail, bien des entreprises qui avaient déjà une politique ont été forcées de la revoir alors que celles qui n’en avaient pas ont dû en adopter une, relate Éric Thibaudeau. Dans tous les cas, il est très important que l’employeur ait une politique claire et bien en place qui pourra être communiquée au groupe soit par visioconférence ou par courriel. »

 

L’une des premières préoccupations concernant le mode de travail hybride porte sur l’aspect collectif du travail et de l’équité. Mettre en place de nouveaux modes de fonctionnement pour maintenir l’esprit d’équipe relève du défi, mais cela demeure essentiel pour en conserver la cohésion. Permettrons-nous à certains employés de travailler de la maison et l’interdirons-nous à d’autres ? Bien qu’il n’y ait pas de mention à ce sujet, dans une perspective juridique, il est certain que cela pourrait engendrer bien des frictions au sein de l’équipe. « Mais, surtout, fait remarquer Éric Thibaudeau, cela exige un examen de conscience de la part des employeurs, à qui je recommande de faire un exercice de réflexion sérieuse et objective pour qu’ils puissent avoir de bons motifs pour justifier le niveau de présence que l’on exige au bureau. Car, malheureusement, avec la précipitation de la pandémie, les entreprises ont adopté un seuil minimum de présence au travail un peu à l’aveuglette. » Pour Caroline Tardif, il ne fait aucun doute que le télétravail peut créer de l’isolement et nuire à la qualité des relations entre collègues. « Chaque contexte de travail est bien sûr différent, mais nous ne pouvons faire abstraction de la perte de spontanéité dans certaines équipes et d’une certaine forme de créativité qui s’exprime moins. »

 

Bien que plusieurs employeurs se soient habitués au télétravail et qu’ils y aient adhéré rapidement, d’autres se montrent plus frileux et ne s’adapteront jamais. Éric Thibaudeau est formel : « Quand la haute direction d’une entreprise croit en quelque chose, cela se répercute sur les autres, jusqu’au plancher des employés de premier niveau. It trickles down ! Et c’est comme ça qu’une culture va s’installer. Alors, si le président d’une entreprise n’y croit pas, il y a bien peu de chances que ça s’installe. Ce n’est ni bon ni mauvais; c’est un choix ! »