Le bruit, ce danger insidieux sur les chantiers

29 septembre 2021
Par Vincent Rioux

Le vacarme sur les chantiers de construction a longtemps été considéré comme un risque bénin pour les travailleurs, notamment en raison du caractère graduel de la surdité qu’il engendre.

Depuis quelques années, la sonnette d’alarme, elle, est bien entendue par les acteurs du milieu qui constatent dorénavant l’importance de cet enjeu pour le bien-être et la productivité des travailleurs. Selon l’ASP Construction, la surdité constitue la maladie professionnelle la plus répandue au Québec et plus particulièrement dans le secteur de la construction. « Les indemnités pour le bruit ont explosé, à tel point que c’est rendu l’une des principales dépenses dans le milieu de la construction », constate d’entrée de jeu Rémy Oddo, directeur des ventes chez Mecanum, une entreprise spécialisée dans le domaine du contrôle du bruit.

 

Le danger le plus évident lié au bruit est la perte d’audition. Néanmoins, comment reconnait-on un bruit qui pourrait nuire à l’ouïe ? Pour Hugues Nélisse, chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), si on doit élever la voix pour discuter avec une personne qui est à environ un mètre de nous, il s’agit déjà d’un bruit considéré comme dangereux pour la santé auditive. « Évidemment si ça arrive une fois pendant trente secondes dans une journée, ce n’est pas très dangereux, admet-il. Mais si ça arrive régulièrement, ça commence à être problématique. »

 

Rémy Oddo, directeur des ventes chez Mecanum. Crédit : Mecanum

 

Bien sûr, le nombre de décibels est un facteur important lorsqu’on cherche à en estimer le danger. Cependant, la durée de l’exposition au bruit l’est tout autant selon le chercheur. Il peut être perçu comme un contaminant dans l’air. Le danger est lié tant à la force du contaminant qu’à sa durée d’exposition.

 

Un des principaux risques consiste sans doute en la perte de l’audition, qui représente un phénomène irréversible. « On perd l’ouïe et ça prend du temps avant de s’en rendre compte, note Hugues Nélisse. Ça se manifeste à long terme. » Ce caractère graduel de la surdité en fait un problème insidieux, que le travailleur ne voit pas nécessairement venir jusqu’à ce qu’il soit déjà trop tard et que des dommages irréparables soient commis.

 

La surdité, un problème à prendre au sérieux

Quand on développe des problèmes de surdité, cela peut devenir un enjeu sur un chantier de construction. « Ça peut avoir de graves conséquences, soutient le chercheur à l’IRSST. Quand on développe des problèmes de surdité, on perçoit moins bien les signaux auditifs. Ce ne sont pas tous les bruits qui sont inutiles dans le milieu de travail. Il faut entendre nos collègues, les camions, les alarmes, les machines. Il peut y avoir des problèmes de sécurité sur les chantiers si on n’entend pas bien. »

 

Mal comprendre une commande, mal interpréter un message, ne pas entendre certains bruits, comme l’alarme de recul d’un camion, représente un réel danger lorsque l’ouïe est affaiblie. « De plus, les personnes atteintes de surdité auront tendance à s’isoler de leur entourage, parce qu’ils ont plus de difficulté à socialiser », mentionne le chercheur.

 

Hugues Nélisse, chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité
du travail (IRSST). Crédit : IRSST

 

Outre la surdité, le bruit peut provoquer une foule d’effets non auditifs, comme un niveau de stress accru, des problèmes cardio-vasculaires tels que l’hypertension ainsi que la modification de la fréquence cardiaque, l’agacement, des troubles du sommeil de même que des problèmes de santé mentale.

 

Comment se protéger contre le bruit ?

Bien que la solution qui semble la plus évidente consiste en le port d’une protection auditive, il s’agit du dernier recours, selon Hugues Nélisse. « C’est celle à laquelle on pense en premier parce que c’est la plus simple à mettre en place. On achète des bouchons qui ne coutent pas cher et on demande aux travailleurs de les porter en pensant qu’on est protégé. Les études scientifiques ont cependant montré que ce n’est pas très efficace, les protecteurs auditifs, révèle-t-il. Ce n’est pas que les protecteurs soient inutiles. C’est plutôt qu’il y a une multitude de raisons qui font que ces protecteurs ne sont pas toujours bien portés. C’est rare une personne qui va mettre ses bouchons toute la journée. C’est inconfortable et il faut bien entretenir la communication avec son voisin », précise-t-il. Un bouchon mal inséré dans l’oreille peut exposer le travailleur à un danger auditif accru.

 

« Tous les ingénieurs, tous les gens qui travaillent dans le domaine du bruit sont unanimes : la meilleure solution, la plus efficiente, de loin devant toutes les autres solutions, c’est de réduire le bruit à la source », poursuit-il. Pour attaquer le problème, il s’agit donc de cibler les machines qui font du bruit afin de les remplacer par des équipements moins bruyants. Si cela s’avère impossible, on peut utiliser des procédés plus silencieux ou faire des encoffrements par-dessus les sources de bruit les plus problématiques.

 

Chez des entreprises spécialisées en la matière, comme Mecanum, on offre des services de consultation afin d’évaluer le bruit sur les chantiers de construction et de proposer des solutions pour le réduire. « On va aller sur un chantier et on va leur dire d’acheter un compresseur moins bruyant, suggère M. Oddo. Il existe des compresseurs relativement silencieux. Il existe aussi des équipements pour rendre le marteau piqueur plus silencieux, par exemple. On peut aussi placer l’équipement bruyant dans un encoffrement, c’est-à-dire une structure en bois avec, à l’intérieur, de la laine minérale qui va absorber le bruit. »

 

La deuxième approche consiste à réduire l’exposition au bruit grâce à une rotation du personnel. « On appelle ça faire de l’aménagement administratif de tâches, expose le chercheur à l’IRSST. C’est moins efficace, mais ça peut tout de même avoir un effet positif. Il faut essayer de penser son chantier en fonction des sources de bruit et s’arranger pour que les gens travaillent à des endroits moins bruyants. »

 

Enfin, la réglementation sur le bruit en milieu de travail est sur le point de changer au Québec. Pour M. Oddo, il s’agit d’une modification souhaitable. « Actuellement, au Québec, on a une des règlementations les plus permissives au monde en ce qui a trait au bruit dans les milieux de travail, croit-il. Nous permettons 95 décibels pendant quatre heures, alors qu’en général dans les autres pays, c’est 88 décibels pour quatre heures. On est vraiment à la remorque du reste du monde. »

 

La nouvelle réglementation, qui sera en vigueur en 2023, abaissera le niveau de bruit à 85 décibels pour huit heures. Cette initiative contribuera sans doute à protéger les travailleurs de ce danger sous-estimé.

 

NIVEAU DE DÉCIBELS

Le ministère de la Santé et des Services sociaux a dressé une échelle présentant des exemples de sources de bruit, selon leur niveau de décibels.

En voici quelques-uns :

  • 20 décibels : vent léger dans les arbres
  • 40 décibels : moteur d’un réfrigérateur
  • 60 décibels : conversation normale
  • 80 décibels : restaurant bruyant
  • 100 décibels : scie à chaine
  • 120 décibels : sirène d’un véhicule d’urgence