La technologie au secours des travailleurs en construction

29 septembre 2021
Par Mathieu Ste-Marie

Plus récente innovation de la quatrième révolution industrielle, les équipements de protection individuels (ÉPI) intelligents promettent d’assurer plus que jamais la sécurité des travailleurs de la construction.

Cette technologie qui permet notamment l’interconnectivité entre l’humain et la machinerie lourde, la communication en réseau, la mesure des signes vitaux et la collecte de données est pourtant encore peu utilisée sur les chantiers au Québec. Cette situation serait néanmoins sur le point de changer.

 

L’an dernier, sur l’imposant chantier de construction de l’échangeur Turcot à Montréal, qui a compté jusqu’à quelque 1200 travailleurs à son pic d’activité, les casques des travailleurs étaient munis d’un capteur connecté à des boites posées à l’arrière des machines.

 

« Lorsque l’opérateur engageait la manoeuvre de recul, la boite envoyait un signal qui était reflété par des bandes magnétiques à l’intérieur du casque. Celui-ci était ensuite retourné à la boite et une alarme sonore était émise à l’extérieur ainsi qu’une alarme sonore et visuelle à l’intérieur de la machine où se trouvait l’opérateur », explique Daniel Landry, directeur de la santé et sécurité de KPH Turcot, le consortium mandaté pour réaliser le projet de réfection de l’échangeur Turcot et responsable du chantier. En entendant l’alarme, le travailleur était rapidement averti du danger alors que l’opérateur devait immédiatement s’immobiliser afin d’éviter un incident grave.

 

KPH Turcot est l’une des premières entreprises, sinon la première, à avoir utilisé cette technologie de détection de personnes appelée Cat Detect et mise au point par Caterpillar sur les chantiers de construction au Québec. Au sud de la frontière, cette technologie, développée d’abord pour le secteur minier, existe déjà depuis quelques années, observe Alireza Saidi, chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

 

Alireza Saïdi, chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). Crédit : IRSST

 

« Il y avait tellement d’accidents mortels dans le secteur des mines que le gouvernement a fait passer un décret pour rendre l’utilisation de ce capteur obligatoire. L’Australie et l’Afrique du Sud ont également passé un décret similaire. »

 

Plusieurs avantages

Ces capteurs sont issus de l’industrie 4.0, caractérisée, entre autres, par l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, l’infonuagique et les mégadonnées. Alireza Saidi suit cette tendance de près depuis quelques années. Il constate qu’en plus d’avoir créé une technologie qui permet de prévenir les collisions entre les travailleurs et les machines, les fabricants ont trouvé plusieurs autres utilités aux équipements de protection individuelle intelligents pour maintes situations.

 

Les capteurs, d’abord utilisés dans les mines, gagnent tranquillement les chantiers. Crédit : Laurent Canigiani

 

Par exemple, l’accéléromètre connecté accroché au casque, à la ceinture ou sur tout autre vêtement permet de détecter les chutes de hauteur en temps réel. « Si la personne ne bouge pas pendant plusieurs secondes, une alerte va être envoyée à ses collègues », explique le chercheur de l’IRSST.

 

Pour ceux qui travaillent en espace clos, des vêtements munis d’un capteur biométrique peuvent mesurer le rythme cardiaque et la fréquence respiratoire. Ainsi, même si un travailleur se trouve isolé de ses collègues, ceux-ci peuvent savoir si ses signes vitaux sont normaux. Des ÉPI vont également mesurer la température du corps et le taux de sudation de la personne afin d’envoyer une alerte aux superviseurs si le seuil de stress thermique a été dépassé. Les capteurs posés sur les équipements permettent d’éviter les coups de chaleur ou l’hypothermie.

 

De plus, pour éviter des troubles musculosquelettiques, des capteurs de mouvement peuvent être posés sur les vêtements ou l’ÉPI. « Ces capteurs sont connectés au cellulaire du travailleur et si celui-ci fait des mouvements brusques ou trop répétés, des alertes et des recommandations vont lui être envoyées. Par exemple, le message peut être : “Si tu continues comme ça, tu vas te claquer les muscles de l’épaule, tu vas avoir une tendinite ou une entorse” », explique le chercheur, qui souligne que « cette technologie a permis de réduire de moitié des couts de réclamation aux assurances, selon les fabricants ».

 

En plus de détecter le risque d’accident ou d’avertir lorsqu’il y en a un, ces ÉPI intelligents ont l’avantage de récolter plusieurs données grâce à la géolocalisation des travailleurs. Cette collecte de données puis leur analyse, qui sont à la base de l’industrie 4.0, aident ensuite les spécialistes en santé et sécurité à améliorer les pratiques de sécurité sur les chantiers de construction.

 

Encore marginale

Malgré tous ces avantages, l’utilisation de ces équipements demeure très marginale au Québec, juge le chercheur Saidi, selon qui son principal frein est le cout, qui peut s’avérer très élevé. À titre d’exemple, KPH Turcot a déboursé près d’un million de dollars pour munir ses employés de capteurs. Il s’agit d’un investissement clé pour le consortium, celui-ci ayant ainsi pris la décision d’entreprise de libérer les fonds nécessaires au maintien de la santé-sécurité de ses travailleuses et travailleurs sur ce chantier majeur.

 

« Au final, l’investissement en a valu la chandelle puisqu’il y a eu zéro accident alors que le risque de contact entre un travailleur et une machine était le danger le plus important sur le chantier. Si au bout du compte l’investissement a permis de sauver une vie, ça veut dire que nous avons fait le bon choix », illustre Daniel Landry.

 

Daniel Landry, directeur de la santé et sécurité de KPH Turcot. Crédit : Construction Kiewit

 

D’autre part, les outils technologiques actuellement utilisés sur le marché dans le domaine de la construction sont peu homologués et il existe peu de normes certifiant la qualité et la durabilité de ces équipements. Également, la réticence des travailleurs peut représenter un frein à l’adoption de nouvelles technologies.

 

D’ailleurs, sur le chantier de l’échangeur Turcot, certains employés ont fait part de leur scepticisme à propos de ce nouvel équipement. Néanmoins, durant la formation pour utiliser celui-ci, ces travailleurs ont rapidement compris les avantages de ce capteur.

 

Cette formation a aussi été l’occasion de rappeler les bonnes pratiques aux travailleuses et travailleurs : « La détection de personnes n’enlève rien à l’importance de garder les distances devant un équipement lourd et d’avoir un contact visuel avec l’opérateur avant de s’en approcher », précise Daniel Landry.

 

Une question de temps

Selon Alireza Saidi, ce n’est qu’une question de temps avant que ces ÉPI envahissent les chantiers de construction au Québec. « Une fois qu’ils auront constaté l’effet positif d’un outil par rapport aux frais d’indemnisations, les entrepreneurs vont se dire qu’ils feraient mieux d’implanter cette technologie. Je vois ça comme les cellulaires qui sont apparus il y a une quinzaine d’années et qui font maintenant partie de notre vie de tous les jours. » Les outils technologiques sont disponibles sur le marché et continueront à se développer. Il reste maintenant aux donneurs d’ouvrage à les adopter.

 

QU’EST-CE QUE L’INDUSTRIE 4.0 ?

Il n’existe pas de définition unanime de l’industrie 4.0, mais dans un rapport publié ce printemps l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) a tenté d’en dresser les contours. Selon l’Institut, cette quatrième révolution industrielle se distingue par la présence d’une connectivité omniprésente. « Celle-ci fait référence à la communication en temps réel entre toutes les composantes de l’entreprise grâce à Internet et aux nouvelles technologies pour surveiller les activités de l’entreprise », écrit l’organisation. Ainsi, les éléments physiques, par exemple les machines, et les travailleurs sont interconnectés grâce aux échanges de données numériques.