La lourde responsabilité du fabricant au Québec

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15 avril 2014 | Par Me Mathieu Turcotte

Le régime de responsabilité légale pour vices cachés au Québec peut être qualifié de favorable aux acheteurs, comparativement à ce qui existe dans les autres provinces canadiennes. Dans notre régime, les vendeurs sont responsables des vices affectant un bien, qu’ils en aient connaissance ou pas. Quant aux vendeurs professionnels, par exemple les commerçants ou les fabricants, ils sont présumés à l’avance connaître tout vice affectant leurs biens. 

Un tel régime comporte évidemment des avantages évidents pour les acheteurs de biens manufacturés, dont les entrepreneurs et donneurs d’ouvrage, qui bénéficient d’une présomption de responsabilité en cas de problème et qui peuvent, au choix, se tourner vers leur vendeur ou le fabricant du bien pour obtenir un dédommagement.

 

Pour mettre en œuvre cette responsabilité, la loi prévoit cependant une formalité importante, soit dénoncer le vice par écrit dans un délai raisonnable à compter de sa découverte. Cette règle, codifiée à l’art. 1739 du Code civil du Québec, vise à permettre au vendeur de constater l’état de la situation, procéder à des expertises afin de déterminer la cause d’un bris ou encore minimiser ses dommages en procédant à une réparation ou un remplacement à ses frais plutôt que d’assumer la facture d’un tiers.

 

La jurisprudence recèle de nombreux cas où des recours en vices cachés ont été rejetés, faute par l’acheteur d‘avoir respecté cette formalité de l’avis au vendeur. Les tribunaux ont généralement reconnu que la destruction volontaire ou la réparation d’un bien avant d’en aviser le défendeur brimait le droit de ce dernier à une défense pleine et entière. Comment, en effet, se défendre contre une poursuite en vices cachés, alors que le bien supposément défectueux a été détruit, ne laissant plus rien à expertiser ?

 

Un changement important

Dans un arrêt rendu en mars dernier1, la Cour d’appel vient sérieusement restreindre les possibilités pour un vendeur professionnel de demander le rejet d’un recours sur la base de l’absence d’un avis préalable. Dans cette affaire, CNH, un fabricant de matériel aratoire, est poursuivie pour vices cachés suite à un incendie survenu sur une moissonneuse-batteuse. Or, la carcasse du véhicule a été démantelée sans préavis et avant que le fabricant ne soit poursuivi.

 

En première instance, la Cour supérieure donne raison à CNH et rejette le recours institué contre elle sur la base de l’absence de toute dénonciation d’un vice avant la destruction du bien.

 

La Cour d’appel, saisie du dossier, renverse cette décision et en profite pour faire le point sur la question et revoir les règles applicables en particulier aux vendeurs professionnels et aux fabricants. Ces derniers ne pourront dorénavant se contenter de démontrer l’absence de dénonciation ; ils devront prouver qu’il en résulte un préjudice réel, par exemple la nécessité absolue d’examiner le bien et l’impossibilité dans les faits de se défendre autrement, y compris en utilisant les faits relatés dans l’expertise de la partie adverse. 

 

Pour les acheteurs, cet arrêt évitera l’échec prématuré de recours en vices cachés par ailleurs bien-fondés. Pour les vendeurs et les fabricants, qui avaient déjà à lutter contre une forte présomption de responsabilité, il en va tout autrement. Ils ne pourront plus bénéficier, sauf exception, d’un des rares moyens de défense dont ils disposaient dans le régime de responsabilité légale au Québec.

 

1. Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd.