50 ans d’évolution de l’architecture résidentielle québécoise

25 novembre 2011
Par Louise A. Legault

L’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec célébrait en 2011 son 50e anniversaire. Pour l’occasion, elle dévoilait une édition spéciale 50 ans d’histoire (1961-2011) de son magazine Québec Habitation. En collaboration avec l’APCHQ, Portail Constructo a le privilège de vous en offrir quelques extraits. Ici, découvrez un demi-siècle d’évolution de l’architecture résidentielle québécoise.


 

Quand l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (APCHQ) a vu le jour, il ne se construisait au Québec que 23 500 maisons par année ; une maison coûtait environ 15 000 $, et ça prenait au moins 24 semaines à la construire. Le marché de l’habitation était alors en pleine ébullition, répondant à une pénurie de logements à la suite de la Crise et de la Deuxième Guerre mondiale. Le secteur locatif occupait plus de la moitié des mises en chantier, une dominante qui allait rétrécir comme peau de chagrin au fil des années, à la faveur de l’engouement des Québécois à devenir propriétaires.

 

1960


Il y a 50 ans, la banlieue commençait à se dessiner autour des grandes villes, inspirée par le mouvement Cité-jardin anglais. Ces projets réalisés à l’écart de la circulation automobile se distinguaient par leurs rues en lacet, leurs espaces verts et communautaires, tout à l’opposé du macadam des villes et de leur pollution. Le bungalow y régnait en roi et maître. On y retrouvait, dans un espace de 1 000 pi ca sur un seul étage, le salon (souvent réservé à la visite), la cuisine, la salle de bains et trois chambres à coucher de taille sensiblement égale. Les plans de l’époque ne comportaient pas encore de garage ; un abri d’auto y figurait, tout au plus.

 

Le bungalow en L était un modèle très populaire. Denis Chamberland, concepteur en chef chez Dessins Drummond, souligne la contribution de la Société centrale d’hypothèques et de logement (SCHL) à l’époque (avant qu’elle ne troque le mot « centrale » pour « canadienne » en 1979) : « La SCHL publiait le seul catalogue de plans canadiens, rappelle-t-il. L’acheteur pouvait d’ailleurs se procurer des plans complets pour 10 $. » Au milieu des années 1960, les normes de logement du Canada comptaient parmi les meilleures au monde. C’est aussi à cette époque que l’on commençait à occuper le sous-sol, un trait particulier au Canada.

 

Les projets de démonstration de la SCHL

Créée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale pour loger les vétérans de retour au pays, la SCHL a fortement marqué l’évolution de la maison canadienne. Benny Farm, construit à Montréal en 1946, était l’un des premiers projets de logements subventionnés au Canada et il est devenu, lors de son réaménagement au début des années 2000, un véritable laboratoire des techniques de construction « vertes ».

 

Dès 1948, la Société publiait un catalogue de plans, 67 Homes for Canadians, comprenant les gagnants du concours de Petites maisons canadiennes, qui a influencé la construction de maisons pendant une vingtaine d’années. En 1957, la Société y allait de son premier projet de démonstration : Mark I, suivi d’autres prototypes au fil des ans, qui ont permis de mettre à l’épreuve de nouveaux matériaux de construction, de nouvelles techniques et ainsi apporter des modifications au Code national du bâtiment, le tout dans un souci d’accessibilité et de qualité. La SCLH a aussi marqué l’aménagement et le lotissement par ses normes et ses publications.

 

1970


Démocratisation de la relation architecte/entrepreneur

 La SCHL a participé à plusieurs projets d’avant-garde ; que l’on songe à Habitat 67 lors de l’Expo 67, qui mettait à profit la préfabrication. Il y a eu aussi la Maison saine en 1992, puis la maison pour personnes hypersensibles, qui se penchaient sur les questions de santé des occupants et la qualité de l’air intérieur. Plus récemment, en 2006, l’initiative EQuilibrium mettait de l’avant 11 projets de démonstration (dont trois au Québec), des maisons à consommation énergétique nette zéro, suivie en 2009 par l’initiative Collectivités EQuilibrium, qui vise à étendre les principes de construction durable à un ensemble d’habitations.

 

Selon André Bourassa, président de l’Ordre des architectes du Québec, la maison des années 1960 était souvent simple, dépouillée et fonctionnelle. Dans les années 1970, la tendance voulait que l’on « enjolive ». Le Québec retournait alors à ses racines et l’habitation retrouvait la galerie avant, les lucarnes et le toit en larmier des vieilles maisons québécoises. Bien des « néo-québécoises » datent de cette époque.

 

En septembre 1979, à la faveur d’amendements à son code municipal, la Ville de Montréal relance la construction résidentielle sur son territoire avec l’Opération 10 000 logements, rapidement devenue Opération 20 000 logements. Montréal mettait ainsi en valeur des terrains vagues ; on évaluait en ce temps-là que le renouveau urbain des années 1950 et 1960 avait laissé le centre de la ville à moitié vide et que l’Opération 20 000 logements donnait une seconde vie à certains quartiers. Pour plusieurs entrepreneurs, ça a été un premier contact avec les architectes, ces nouveaux projets étant attribués, entre autres, en fonction de leur intégration au milieu et leur qualité architecturale.

 

La relation architecte/entrepreneur s’est alors démocratisée. Les entrepreneurs ont pu reconnaître ce que les architectes pouvaient apporter en « réconciliant l’inconciliable ». André Bourassa explique : « L’architecte apportait un complément d’expertise et pouvait souvent mettre à profit l’expertise d’autres secteurs, les entrepreneurs étant plus spécialisés. Dans un secteur de plus en plus concurrentiel, c’était une façon de se démarquer de ses concurrents, une maison bien dessinée se vendant toujours mieux. »

 

1980


Au début des années 1980, la récession frappe de plein fouet, les taux d’intérêt atteignant 22 % en 1981. Pour relancer l’économie, l’industrie et ses partenaires lancent le programme Corvée Habitation qui permet de soutenir l’industrie de l’habitation pendant trois ans. Récession oblige, Denis Chamberland se rappelle de maisons plus petites, autour de 900 pi ca, aux lignes simples, mais hardies. Prix moyen : 49 277 $. Le revêtement de vinyle faisait son apparition de même que la brique pastel. On s’adressait alors plus spécifiquement aux premiers acheteurs.

 

Durant les années 1980, l’industrie repart de plus belle et flirte avec des marchés et concepts inédits. Répondant à de nouveaux segments de marché dans les grands centres urbains, la copropriété explose, allant jusqu’à supplanter la construction de propriétés individuelles dans la plupart des régions du Québec. La Belle Province devient le paradis de la petite copropriété : des immeubles de moins de cinq étages, offrant des logements abordables qui affichent cependant des caractéristiques des maisons plus luxueuses. Le marché de la rénovation prend aussi son envol. La valeur des travaux de rénovation ira même jusqu’à dépasser celle de la construction neuve dans les années qui suivront. Ce sont les quincailleries et magasins de matériaux de construction à grande surface qui seront les premiers à s’en réjouir.

 

Petit à petit, la maison à paliers gagne des adeptes. « Dans certains cas, ironise Denis Chamberland, le nombre de paliers était un facteur d’ascension sociale. » Les Québécois craquent pour les plafonds cathédrale, les salons surbaissés et les mezzanines. La maison prend aussi du coffre, sa superficie grimpant à 185 mètres carrés (1 991 pi ca).

 

Autre concept qui trouvera un terreau fertile au Québec : la maison évolutive. Mise au point par les professeurs Avi Friedman et Witold Rybczynski du Programme de logements abordables de l’Université McGill en 1990, la maison évolutive sera adoptée par de nombreux entrepreneurs québécois. On compterait quelque 6 000 unités de ce type dans la région de Montréal. Cette maison d’environ 1 000 pi ca, d’une largeur de 14 pi, était destinée aux ménages à revenus modestes et conçue de façon à pouvoir évoluer avec la famille et sa situation financière. Elle mettait à profit l’aménagement à aire ouverte, l’intérieur ne présentant aucun mur porteur. Le concept a mérité le Prix mondial de l’habitat de la Building and Social Housing Foundation en 1998.

 

Plus ouvert, l’aménagement intérieur connaît d’importantes modifications. « Là où le salon était réservé aux grandes occasions, on recherche maintenant des pièces multifonctionnelles, plus confortables », raconte le designer André Lapointe, président de l’Association professionnelle des designers d’intérieur du Québec (APDIQ). On cherche aussi à créer une circulation plus fluide entre les pièces.

 

La table à dessin de l’APCHQ

L’APCHQ a elle aussi mis de l’avant des concepts d’habitation. De 1988 à 1995, les maisons Expo-Habitat ont présenté des concepts novateurs comme la maison de verre, la maison dans le métro et même une maison verte. En 1991, Tendances, une initiative composée de deux copropriétés situées dans le Parcours du cerf à Longueuil, se voulait un projet de démonstration des nouvelles techniques en matière d’insonorisation, de ventilation, d’économie d’énergie et d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite.

 

En 1992, l’APCHQ reprenait du marteau avec La Maison performante, au Domaine Champfleury à Laval. Conçue par l’architecte Christian Ouellet, grand défenseur de l’énergie solaire, la Maison performante a été lauréate d’un concours organisé par Énergie, Mines et Ressources Canada. Le concept partait du principe que la nouvelle génération de maisons super efficaces devait consommer la moitié moins d’énergie que la maison R-2000, la norme d’alors. Géothermie, solaire passif et actif, domotique étaient mis à contribution. La Maison performante ne devait consommer que 10 500 kWh d’énergie par année. On parlait aussi de matériaux sains et recyclés, de conservation de l’eau avec la récupération de l’eau de pluie et l’utilisation de toilettes à faible débit, et même de protection contre les champs électromagnétiques. Vingt ans plus tard, ces technologies ne sont pas encore monnaie courante. La Maison performante avait même fait l’objet à l’époque d’un reportage dans le magazine américain Popular Science.

 

1990


Des excès de styles

« Le début des années 1990 verra le retour de l’architecture victorienne, la moindre petite maison étant flanquée de sa tourelle », se souvient Denis Chamberland. Un cauchemar pour les menuisiers, avec toutes ces moulures ! Fenêtres à carreaux, porches sur deux et parfois trois façades, le Québec reproduit les excès de cette période stylistique.

 

Dans la seconde moitié des années 1990, le style « néo-manoir » s’impose avec des maisons de 2 500 pi ca et plus. L’abri d’auto des années 1960 a été transformé en garage double. On multiplie les salles de bains, la chambre principale étant souvent flanquée de sa propre salle de bains avec bain à remous et douche, et d’une penderie à l’avenant. On y va d’entrées majestueuses avec des escaliers grandioses. « L’utilisation de logiciels de conception a permis de complexifier outre mesure les volumes de toit », souligne André Bourassa. Il estime que cette poussée de gigantisme a souvent eu raison de la finesse des détails.

 

2000


Les « boumeurs », qui ont mené tambour battant cette évolution, continuent de plus belle aujourd’hui avec une recrudescence des projets pour personnes âgées et un intérêt marqué pour la villégiature, la résidence secondaire devenant souvent la maison principale, et se faisant plus ouverte, plus lumineuse, mais aussi prévoyante. « Souvent, une chambre est aménagée au rez-de-chaussée pour assurer le maintien à domicile, advenant des ennuis de santé », note Denis Chamberland.

 

L’intégration des principes de développement durable redessine l’habitation actuelle. Les professionnels qui travaillaient souvent en vase clos sont appelés à travailler tous ensemble dès l’étape de conception. L’architecture de paysage retrouve tout son sens ; une évolution considérable si l’on songe aux terrains nivelés, mais non gazonnés, autrefois livrés à l’acheteur. Il n’y a qu’à voir l’intérêt soulevé par l’horticulture pour comprendre tout le chemin parcouru.

 

Pour André Lapointe de l’APDIQ, la relation entrepreneur/designer a elle aussi changé du tout au tout. « C’est le jour et la nuit, dit-il. Il s’agit maintenant d’un travail d’équipe, qui se fait en collégialité avec les autres professionnels du bâtiment ». De son côté, le client est mieux informé, plus averti.

 

Dans une perspective de développement durable, l’architecte André Bourassa voit, pour sa part, une évolution vers des maisons plus compactes et un style plus contemporain. Influencés par le mobilier et le design, les gens ont déjà commencé à aménager leur intérieur de cette façon, et l’extérieur devra suivre. Il n’y a qu’à voir les réalisations dans la copropriété en hauteur pour constater où va la tendance.

 

Source : APCHQ