11 juillet 2016
Par Marie Gagnon

Le verre mixte issu de la collecte sélective promet un avenir durable à l’industrie du béton comme aux infrastructures québécoises. Décryptage.

Donner une deuxième vie au verre récupéré en l’incorporant au béton, voilà le défi que se sont donné des chercheurs du département de génie civil de l’Université de Sherbrooke. Sous l’égide de la Chaire SAQ de valorisation du verre dans les matériaux, ils planchent notamment sur la formulation de nouveaux bétons à partir de verre mixte recyclé. Ils poursuivent ainsi un triple objectif : détourner ce verre de l’enfouissement, améliorer le bilan environnemental de l’industrie du béton et mettre au point des bétons plus performants.

 

« Les objectifs de la chaire sont les mêmes que ceux poursuivis par le Laboratoire intégré de recherche en valorisation des matériaux et de structures innovatrices et durables, indique son titulaire, le professeur Arezki Tagnit- Hamou. Ils visent à cerner les mécanismes structuraux et chimiques du verre, à optimiser son incorporation dans différents types de béton et à transférer les connaissances acquises vers l’industrie, entre autres par la normalisation. »

 

Un ajout durable

Créée en 2004, la chaire avait pour visée initiale d’explorer l’utilisation du verre mixte dans le béton, comme substitut de granulats, et dans le ciment, comme matériau cimentaire alternatif (MCA). « Le principal intérêt de cette recherche, c’est la réduction des gaz à effet de serre produits par les cimenteries, souligne Arezki Tagnit-Hamou. On estime que la fabrication du ciment est responsable de 5 à 8 % du dioxyde de carbone émis dans le monde. Pour améliorer ce bilan carbone, il faut remplacer le ciment par autre chose et le verre, qui est un silicate comme le ciment, fait partie de la solution. »

 

Les études ont montré que, même si les processus de réaction du verre et du ciment diffèrent, le résultat final est le même. « Le ciment et l’eau réagissent ensemble pour former un silicate de calcium hydraté, ou CSH, qui agit comme une colle en durcissant, note le professeur. On obtient la même colle en mélangeant du ciment, du verre et de l’eau, mais les propriétés mécaniques de ce CSH sont plus intéressantes, entre autres parce qu’elles diminuent la perméabilité du béton. »

 

Sous les cycles de gel et de dégel, ce béton est donc plus résistant à l’écaillage et aux ions chlore et, de là, beaucoup plus durable qu’un béton ordinaire. Par ailleurs, le verre, qu’il soit clair ou coloré, devient comme tout silicate d’un blanc immaculé lorsque réduit en poudre. Lorsqu’il remplace une partie du ciment dans le béton, ce dernier prend une teinte plus claire que le béton classique. Le verre contribue ainsi à la réduction de l’effet d’îlot de chaleur en milieu urbain.

 

 

Le Jardin de verre et de métal de Blainville. Photo de  Albert Mondor

 

Aujourd’hui commercialisé par Tricentris, qui a acquis le brevet du procédé de micronisation mis au point par Arezki Tagnit-Hamou et ses collègues, l’ajout cimentaire Verrox ne cesse d’ailleurs de gagner en popularité auprès des municipalités membres du regroupement. « Verrox offre une solution durable à la pénurie des ajouts cimentaires traditionnels, comme le laitier ou la fumée de silice, mentionne l’ambassadeur de la marque, Gregory Pratte. À preuve, on a remporté un prix Durabilys, dans la catégorie Innovation en produits et matériaux, en mars dernier.

 

« Ça a créé un buzz commercial et de plus en plus de villes l’exigent pour les trottoirs et les bordures de rues, entre autres Montréal, qui l’utilisera pour réhabiliter 10 % de ses trottoirs en 2016, poursuit-il. Mais ses applications sont beaucoup plus vastes. On peut en faire des dalles et du mobilier urbain, l’employer en béton projeté dans les mines. Comme ces bétons offrent une surface plus lisse, la Ville de Lorraine compte s’en servir pour construire un planchodrome. À Blainville, Verrox a été utilisé dans l’aménagement du Jardin de verre et de métal créé par l’horticulteur Albert Mondor. »

 

La force du verre

Tandis que la poudre de verre micronisée fait son chemin auprès des donneurs d’ouvrage, les chercheurs du laboratoire de génie civil de l’Université de Sherbrooke ont entamé une deuxième phase de recherche dans le cadre de la Chaire SAQ de valorisation du verre dans les matériaux, qui a été renouvelée en 2009 pour cinq ans. Cette fois, les travaux portaient sur la mise au point d’un béton ultraperformant incorporant des agrégats de verre mixte récupéré en fractions variées.

 

« Les résultats parlent d’eux-mêmes, relève Arezki Tagnit-Hamou. En compression, le béton ordinaire a une résistance de 30 MPa comparativement à 50 à 100 MPa pour un béton à haute performance. Le nouveau béton à ultra haute performance que nous avons mis au point a une résistance en compression qui va de 150 à 250 MPa, et même plus. Dans ce béton, le verre remplace jusqu’à 50 % des produits actifs, alors que dans le béton ordinaire, il est limité à 20 %. »

 

Passerelle expérimentale construite avec le nouveau béton - Photo de Université de Sherbrooke

 

Ce nouveau béton a d’ailleurs été mis en oeuvre sur le campus de l’université, où il a servi à la construction de deux passerelles aux formes minces et élancées. Un brevet a également été déposé en vue d’une prochaine commercialisation. « Preuve que le verre mixte a de l’avenir dans l’industrie du béton, la Chaire a été reconduite en 2014 pour une troisième fois, ce qui est plutôt exceptionnel, signale le professeur. On travaille maintenant à l’échelle nanométrique pour produire un MCA équivalent à la fumée de silice. »

 

    LE VERRE TIENT LA ROUTE

    Au Laboratoire sur les chaussées et matériaux bitumineux (LCMB) de l’ÉTS, des chercheurs se penchent également sur la valorisation du verre mixte, mais cette fois dans les chaussées. Ils visent ainsi à intégrer quelque 100 000 tonnes de verre mixte dans les couches de base et de roulement des routes du Québec.

     

    « On veut comprendre l’influence du verre recyclé sur les performances des enrobés bitumineux et des matériaux de fondation, résume le responsable de l’étude, le professeur Michel Vaillancourt. La recherche comporte deux volets. D’abord, l’étude des aspects physiques et rhéologiques du verre dans les enrobés conventionnels. Ensuite, le comportement des granulats de verre dans l’assise de la chaussée. »

     

    Le premier volet est entré en phase expérimentale l’automne dernier, avec une planche d’essai d’environ 3 300 pieds carrés réalisée aux quais de réception de l’édifice Barsalou, de la Société des alcools du Québec. D’autres essais sont prévus à Montréal et à Saint- Hippolyte au cours des prochains mois.

     

    Quant au second volet, il s’intéressera aux propriétés hydriques, mécaniques et thermiques du verre. « On s’attend à ce que le verre améliore le drainage et diminue la profondeur du gel dans la fondation, indique le professeur Vaillancourt. Ce volet sera réalisé ultérieurement, d’abord par des essais de laboratoire et des modélisations numériques, puis par des planches d’essai. » Les travaux doivent se conclure en 2019.