Allier esthétisme et sécurité sur les chantiers

9 juin 2023
Par Isabelle Pronovost

Signe de vitalité économique, les chantiers de construction sont aussi source de nombreux désagréments. Outre les entraves qu’ils occasionnent, ils enlaidissent le paysage. Un entrepreneur a cependant découvert une solution permettant de les enjoliver.

Les chantiers de construction à Montréal font jaser. Les automobilistes se plaignent des entraves à la circulation, les piétons rechignent à fréquenter certaines artères et les commerçants déplorent les baisses d’achalandage. Les médias et les caricaturistes, eux, s’en donnent à coeur joie. « De mon point de vue, c’est beau de voir que la ville est prospère, qu’il y a des grues partout, que ça bouge, mais pour le commun des mortels qui n’est pas passionné de construction, c’est juste un irritant », fait remarquer David Widmer, chargé de projets pour JCB Construction.

 

La Ville tente pourtant de réduire les inconvénients. En aout 2018, l’administration municipale révèle officiellement son escouade mobilité afin d’améliorer les déplacements sur les principaux axes routiers de Ville-Marie, du Plateau- Mont-Royal et du Sud-Ouest, une surveillance qui a depuis été étendue à l’ensemble des arrondissements. Fin mars 2023, Montréal lance un Sommet sur les chantiers. En vue d’alimenter les discussions, elle propose alors de fixer un délai maximal de 12 heures pour l’installation et le démontage de la signalisation – dont les fameux cônes orange – pour libérer plus rapidement la voie publique et les trottoirs occupés.

 

David Widmer, chargé de projets pour JCB Construction. Crédit:  Bénédicte Brocard

 

Ces efforts visent principalement les problèmes de circulation, mais pourrait-on faire autre chose pour rendre les chantiers moins déplaisants ? Une piste de solution se trouve peut-être du côté de leur esthétisme.

 

Une invention New-Yorkaise

C’est lors d’un court voyage à New York pendant la période des Fêtes en 2019 que David Widmer découvre une structure d’échafaudage nouveau genre. Développée par l’entreprise Urban Umbrella, elle permet de marier design urbain et protection des piétons. Il est étonné de voir à quel point cette ville américaine est en avance par rapport à ce qui se fait ici, soit le recours systématique à des échafaudages à rosettes. « C’est ce qu’il y a partout à Montréal pour les passages piétonniers et on dirait que les gens acceptent ça! », se désole-t-il.

 

Puisque JCB Construction avait comme mandat de rénover la totalité de l’enveloppe de l’édifice de la Banque Nationale – qui appartient à Kevric – David Widmer croit qu’il s’agit du projet idéal pour tenter l’utilisation du système de Urban Umbrella.

 

Pour le chargé de projets, cette structure comporte de nombreux avantages, le premier étant l’esthétisme. Autre atout : la sécurité. L’« ombrelle urbaine » accepte en effet une charge de 300 lb au pied carré (contre 50 lb au pied carré pour un échafaudage à rosettes), ce qui s’avère plus sécuritaire pour le public en cas de chute d’objets provenant de travaux en hauteur. Troisième avantage : les plus grandes portées, qui permettent de limiter le nombre de pattes de la structure. Jumelées à une hauteur de dégagement plus importante et à un éclairage aux DEL, elles réduisent le sentiment d’insécurité et la claustrophobie parfois engendrés par les échafaudages traditionnels.

 

« La personne qui entre au travail le matin n’a pas l’impression de passer à travers un chantier », illustre-t-il. À cet égard, il mentionne avoir vu des gens attendre l’autobus sous la structure, ce qu’ils ne feraient sans doute pas s’ils jugeaient l’endroit peu sécuritaire.

 

Installer un tel échafaudage demande toutefois plus de planification en amont. Puisque Urban Umbrella fait seulement la location et non la vente de son armature, elle doit être contactée environ au moins un mois avant l’installation prévue afin de se rendre sur le chantier pour prendre les mesures et produire un plan détaillant le nombre exact de colonnes et de pontages métalliques nécessaires. À la réception des morceaux, JCB Construction a dû faire un pré-assemblage dans ses ateliers, mais « après, quand c’est arrivé sur place, ça a été un jeu d’enfant », témoigne David Widmer.

 

Un produit de niche

Le produit de Urban Umbrella a certes de nombreuses qualités, mais il coute le double d’un échafaudage traditionnel, souligne David Widmer. Pour cette raison, le chargé de projets ne croit pas que son utilisation devienne la norme à Montréal, mais estime qu’il existe tout de même une niche pour ce type de produit. Il pense notamment aux hôtels, restaurants et commerces haut de gamme qui pourraient souffrir d’une baisse d’achalandage pendant des travaux de construction. « Si l’édifice est en rénovation, les gens ne vont pas vouloir entrer en dessous de l’échafaudage pour aller acheter des souliers à 400 $ et des montres à 1 000 $. » En revanche, une structure comme celle de l’entreprise new-yorkaise fait oublier qu’un chantier se déroule à proximité. « C’est propre comme n’importe quelle marquise d’édifice, c’est de l’échafaudage de luxe ! », ajoute-t-il.

 

Offrir des échafaudages repensés pourrait permettre à une entreprise de construction de se démarquer de ses concurrents, affirme David Widmer. « Oui, il y a des couts associés à ça, mais ce n’est pas rare que les clients soient prêts à payer une surprime pour avoir un chantier propre et sécuritaire. » Il pense aussi aux clients qui ont un souci du détail et de l’esthétisme, en ce qui concerne non seulement leur produit final, mais également le processus de construction.

 

Enfin, à l’ère des réseaux sociaux, une ville comme Montréal pourrait bénéficier d’un peu plus de beauté, surtout lorsque vient le temps d’attirer les touristes.

 

UNE INSPIRATION POUR MONTRÉAL ?

En 2009, l’entreprise Urban Umbrella remportait le concours Urban Shed, une initiative de la Ville de New York pour trouver une solution de rechange plus sécuritaire et attrayante aux échafaudages qui se déployaient habituellement sur ses trottoirs. Le prototype gagnant – qui a évolué depuis – était fait de fibres de carbone et s’ouvrait comme un parapluie.

Le Bureau du design de la Ville de Montréal a ces dernières années lancé deux concours relatifs aux chantiers : Vivre le chantier Sainte-Cath – Mise en valeur du chantier de la rue Sainte-Catherine en 2016 et Pour mieux informer sur le chantier – Conception de modules d’information de chantier en 2017. Des lauréats ont été sélectionnés, mais aucune mesure permanente n’a découlé de ces démarches. À quand une compétition en design industriel visant à repenser pour de bon le mobilier de chantier ?