6 novembre 2020
Par Jean Garon

À l’heure où la pandémie de la COVID-19 entre dans une deuxième vague, les regards se tournent plus que jamais vers les systèmes de chauffage, de ventilation et d’air climatisée comme moyens de prévention et de réduction des risques de propagation. Une situation qui n’est pas sans impact dans le domaine du bâtiment.

À ce jour, il n’y a pas de preuve scientifique pour démontrer que la COVID-19 se transmet par des aérosols via la ventilation des immeubles. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que les gouttelettes projetées dans l’air par les humains en parlant, en toussant et en éternuant ainsi que les contacts directs avec des sécrétions sur des objets seraient en majeure partie responsables de la propagation du virus. Ce vecteur de transmission n’écarte toutefois pas la possibilité d’une transmission par voie aérienne sous forme d’aérosols, soit des particules de moins de cinq microns en suspension dans l’air.

 

Pour toutes formes de sources infectieuses (biologiques, chimiques ou radioactives), la virulence d’une contamination dépend de la concentration du contaminant et de la durée de l’exposition. L’ingénieur Roland Charneux, directeur adjoint chez Pageau Morel et président du Réseau Énergie et Bâtiments (REB), comprend qu’il faut des doses élevées pour la transmission du virus actuel SRAS CoV-2.

 

Roland Charneux, directeur adjoint chez Pageau Morel et président du Réseau Énergie et Bâtiments (REB) - Photo : Gracieuseté

 

« Cependant, une exposition de longue durée à des aérosols contaminés, sans ventilation, sans apport d’air neuf, peut faire augmenter la concentration de virus dans l’air et possiblement les risques de contamination », avance-t-il prudemment.

 

Son confrère ingénieur chez Bouthillette Parizeau, Eddy Cloutier, partage son avis et préconise l’application de trois mesures principales recommandées par des organismes de santé et de normalisation comme l’Institutnational de santé publique du Québec (INSPQ) et l’AmericanSociety of Heating, Refrigerating and Air Conditioning Engineers (ASHRAE) pour réduire l’intensité de l’exposition au virus dans tous les types de bâtiments, à savoir la diminution de la contamination à la source par le port du couvre-visage et l’exclusion des personnes ayant le virus ou ayant été en contact étroit avec une personne infectée, la dilution des contaminants par l’apport d’air extérieur selon les normes et la réduction de la présence de contaminants par la filtration de l’air.

 

Des plus grands systèmes aux plus petits

Lorsqu’on parle de bâtiment, l’ASHRAE édicte des normes qui établissent la quantité d’air à admettre en fonction des usages des bâtiments, et ce, suivant le nombre d’occupants et la superficie à ventiler. Il est donc important de ne pas excéder la capacité des systèmes. Surtout en contexte saisonnier de chauffage, au risque de créer d’autres problèmes de taux d’humidité relative pas assez élevés, ou encore de températures inégales et inconfortables pour les occupants.

 

Eddy Cloutier, ingénieur chez Bouthillette Parizeau - Photo : Bouthillette Parizeau

 

Eddy Cloutier observe que bon nombre de gestionnaires de grands immeubles ont commencé à mettre en pratique ces précautions depuis le début de l’été dernier, en procédant à des modifications légères ou plus importantes dans leurs systèmes CVAC. « Le plus gros problème avec les systèmes de ventilation des grandes organisations commerciales et institutionnelles, c’est que ça ne se fait pas en criant ciseau. Les modifications des systèmes ou de leurs contrôles peuvent exiger des travaux très importants qui doivent être bien planifiés », précise-t-il.

 

Dans certains cas, poursuit-il, certains gestionnaires sont allés jusqu’à augmenter le niveau de filtration de l’air en remplaçant les filtres de catégorie MERV 8 à MERV 13. Quelques rares cas ont même intégré des procédés de désinfection aux ultraviolets dans leurs systèmes de ventilation. Des mesures qui nécessitent d’être conçues et mises en service avec soin pour atteindre leur objectif.

 

Roland Charneux observe pour sa part que les systèmes des grands bâtiments ont des capacités d’admission d’air frais proportionnelles à la taille de l’édifice et des solutions de remplacement pour les filtres sans trop de pertes de pression dans le débit d’air. « C’est plus difficile à faire quand il s’agit de plus petits systèmes avec des unités de toit qui ne peuvent accepter des filtres plus performants. Dans ce cas, il faut admettre plus d’air pour compenser une capacité de filtration moindre. »

 

Il en profite pour mettre en garde les propriétaires de petits bâtiments commerciaux et résidentiels équipés de systèmes split ou découplés contre un sentiment de fausse sécurité. Ces systèmes sont conçus pour la climatisation (chauffer ou refroidir l’air); ils n’apportent pas d’air frais de l’extérieur et n’offrent pas beaucoup de filtration non plus. Dans ce cas, il suggère d’ouvrir les fenêtres pour aérer en air neuf, si possible.

 

Pour les maisons plus récentes équipées d’un système d’échangeur d’air de type VRC ou VRE, il ne voit pas trop de problèmes, tout en recommandant de veiller à son bon fonctionnement et entretien. Particulièrement dans les régions froides où il y a un excès d’humidité en saison de chauffage. Pour les maisons plus anciennes ou qui ne disposent pas d’un tel système, il reste toujours la solution d’entrouvrir une fenêtre et de laisser fonctionner le ventilateur d’évacuation d’air de la salle de bain.

 

Impacts financiers à prévoir

Il est certain que l’ajustement des systèmes de ventilation pour aérer et filtrer davantage l’air des bâtiments en période de pandémie peut avoir des répercussions sur les couts d’opération et l’efficacité énergétique. Roland Charneux mentionne à ce propos qu’une augmentation de 25 pour cent (%) de l’apport d’air frais dans un bâtiment peut couter environ 1,85 $/m2 sur une base annuelle et dans des conditions d’opération optimales avec 100 % d’occupation des locaux. Le rehaussement de la capacité de filtration, quant à lui, peut représenter un surcout de 0,80 $/m2. C’est relativement peu par rapport au cout d’énergie d’un bâtiment qui peut être de l’ordre de 10 à 20 $/m2 annuellement.

 

Eddy Cloutier souligne que cela se fera sentir notamment en respectant la recommandation d’usage de l’heure qui consiste à faire fonctionner les systèmes de ventilation deux ou trois heures plus tôt avant l’arrivée des occupants et plus tard après leur départ. Une mesure qui pourrait avoir aussi un impact sur les couts et la fréquence des entretiens et ultimement sur la durée de vie des systèmes. Cependant, les deux spécialistes estiment que l’occupation partielle des bureaux, comme en ce moment, permet généralement de faire fonctionner les systèmes sans augmenter l’admission d’air frais, puisque la quantité d’air à admettre est de loin supérieure au minimum requis par l’ASHRAE.

 

Eddy Cloutier ajoute toutefois que la perte de chaleur passive résultant de la faible occupation des édifices devrait avoir pour effet d’augmenter la consommation d’énergie en chauffage dans plusieurs immeubles l’hiver prochain. « En revanche, une faible occupation pourra entrainer moins d’éclairage, moins de locaux à chauffer, moins d’ordinateurs et d’équipements en fonction, ce qui pourra faire fléchir la consommation d’énergie. Quoi qu’il en soit, l’effet global de tout ça sur les systèmes se verra dans les prochains mois. »