Première rue écoconsciente conçue à partir de plastiques recyclés

9 juillet 2021
Par Elizabeth Pouliot

Afin de détourner des sites d’enfouissement les plastiques souples, une solution a été proposée pour les incorporer au mélange utilisé pour le pavage des routes. Résultat : la première rue écoconsciente de la province sera asphaltée à Percé en 2022.

Les astres se sont alignés cette année sur la péninsule gaspésienne. Les idées de la La Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie (RITMRG) ont trouvé écho auprès de la Ville de Percé, carburant elle aussi au développement durable. En poste depuis 2019, son directeur général, Jean-François Kacou, a rapidement dû se questionner sur la compétitivité des infrastructures de cette municipalité qui s’étend sur 108 kilomètres.

 

« Dans mes recherches, j’ai vu que plusieurs endroits du monde avaient commencé à recycler les plastiques directement dans l’asphalte afin de contribuer à la disparition définitive des plastiques à usage unique, de créer des infrastructures performantes et de réduire les couts de ces dernières », explique-t-il. Puis, lors de discussions au sein de la MRC du Rocher-Percé, le directeur général de la Ville de Percé s’est aperçu que la RITMRG travaillait justement à des stratégies pour valoriser ces matières résiduelles. Le projet de la rue écoconsciente a ainsi vu le jour.

 

Jean-François Kacou, directeur général de la Ville de Percé. Crédit : La nomade photographie

 

Juchée tout près du Géoparc mondial de l’UNESCO, cette artère innovante a pour objectif de créer un environnement durable s’articulant autour d’une rue commerciale. Du mobilier urbain fait de bois et de plastique recyclé, des trottoirs préparés à l’aide de ciment et de verre recyclé concassé en plus d’une rue pavée en partie avec du plastique, aussi recyclé, viendront sensibiliser les citoyens et les touristes à un mode de vie durable, promouvant du même coup le développement économique de Percé.

 

Un matériau innovant

La première étape du projet, qui consistait à trouver des solutions pour valoriser ces plastiques et leur attribuer des applications viables et locales, a mené à plusieurs pistes de solutions. « Deux options ont été retenues », mentionne Gregory Hersant, chimiste et propriétaire de l’entreprise de consultation Consulchem. « La première, c’est d’utiliser ces plastiques sous forme de paillettes ou de granules qui seraient incorporées au bitume. La deuxième, c’est d’utiliser ce plastique pour développer des pièces d’ingénierie, comme des poteaux, des poutrelles ou bien des planches en matériaux composites pour du mobilier urbain extérieur. »

 

Gregory Hersant, chimiste et propriétaire de l’entreprise de consultation Consulchem. Crédit : Marie Gagné

 

Cette première étape terminée, le projet en est à la phase de recherche et de développement. La Régie et Consulchem, en partenariat avec l’Université Laval et l’École de technologie supérieure, développent actuellement les formules pour les pièces d’ingénierie du mobilier urbain et du plancher. Des tests physicochimiques sont d’ailleurs actuellement en cours afin de trouver les meilleures formules. « L’expérience a démontré qu’on était capable d’aller chercher jusqu’à une réduction de 8 pour cent (%) des couts pour le remplacement de la partie bitumineuse et de faire disparaitre près de 2 tonnes de plastique pour chaque kilomètre pavé », indique Jean-François Kacou.

 

Il s’agit pour l’instant de gains hypothétiques, l’objectif étant de réussir à créer la recette la plus compétitive. En plus d’être financiers, les avantages sont aussi de nature environnementale. La production de bitume émettant une quantité non négligeable de gaz à effet de serre, substituer une partie de ce matériau par du plastique recyclé permettrait de réduire l’impact environnemental de ce composé. Grégory Hersant attire en outre l’attention sur un autre atout de ce matériel innovant. « Sur le plan usuel, on pense que son incorporation améliorera les performances à basses températures du bitume et des asphaltes. » Les premiers essais semblent aller dans cette direction. On y décèle une certaine flexibilité, entre autres, qui réduirait le craquage des routes l’hiver, causé par les variations de température.

 

Une première au Québec

Selon la revue de littérature réalisée en amont, très peu de projets semblables existent. Aucun n’a été recensé au Québec. En Nouvelle-Écosse, un espace de stationnement de type supermarché a été fabriqué en incorporant des sacs plastiques dans une matrice de bitume et d’asphalte. Au Royaume-Uni, la compagnie MacRebur se spécialise dans l’incorporation du plastique dans l’asphalte. Au Ghana et en Inde, plusieurs infrastructures sont refaites avec du plastique recyclé.

 

Nathalie Drapeau, directrice générale de la RITMRG. Crédit : RITMRG

 

Ayant ainsi compris qu’une telle chose était rare mais possible, la Régie souhaitait, elle aussi, l’intégrer. « L’asphalte, ça fait partie des enjeux et des responsabilités des municipalités. Ce mélange, c’est une matière qu’on pourrait réintroduire au sein d’opérations quotidiennes des municipalités », souligne Nathalie Drapeau, directrice générale de la RITMRG. Car le plastique souple, s’empilant toujours plus dans la cour de la RITMRG, pose problème, en Gaspésie comme ailleurs. Le revaloriser pourrait donc devenir une option intéressante pour bien des villes et incarner le principe d’économie circulaire. « C’est-à-dire une matière générée chez nous, transformée chez nous et réutilisée chez nous, ajoute Nathalie Drapeau. Et c’est clair que si cette application démontre les résultats attendus, ça pourrait susciter beaucoup d’intérêt au niveau provincial très certainement. » Le ministère des Transports se serait d’ailleurs montré intéressé par le projet.

 

Ni la Régie, ni Consulchem, ni la Ville de Percé ne visent à garder le secret pour eux. Chacun des intervenants du projet, au contraire, aimerait le voir s’appliquer dans les autres villes du Québec, du Canada et du monde. « C’est ça, notre objectif, mentionne Jean-François Kacou. Rendre ce matériau le plus démocratique et le plus accessible possible afin de faire du Québec et du Canada des leaders en infrastructures compétitive. »

 

Orientée vers le futur, Percé désire faire sa part en matière de lutte contre la pollution. « Et, pourquoi ne pas utiliser ce matériau dans des routes secondaires, des stationnements ou des entrées de maisons par exemple ? », se demande Grégory Hersant. « C’est vraiment urgent de trouver une solution viable sur le long terme. »

 

En attendant, les essais doivent d’abord se conclure, d’autant plus que l’asphalte utilisé en infrastructure doit respecter plusieurs critères. Néanmoins, un appel à propositions a été lancé en avril 2021 pour le projet de rue éco-consciente. La Ville de Percé souhaite déjà trouver des investisseurs prêts à venir s’y installer. Avant même cet appel, plus de 200 personnes s’étaient montrées intéressées.

 

Les appels d’offres, quant à eux, se feraient à l’hiver 2022. Ainsi, la construction de la première rue éco-consciente du Québec aurait lieu à la fin du printemps ou au début de l’été 2022. « On a beaucoup d’espérance. Maintenant, il reste à réaliser ce projet innovant », termine Nathalie Drapeau.

 

QU’EST-CE QUE LA RITMRG ?

La Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie est n organisme municipal oeuvrant auprès de deux partenaires : la MRC du Rocher-Percé et la Ville de Gaspé. Ses agents verts accompagnent les institutions, les commerces et les industries dans l’implantation de bonnes pratiques de gestion des matières résiduelles. La mission première de la Régie est de gérer l’ensemble des matières résiduelles des deux territoires. Pour y arriver, elle est propriétaire et opératrice d’un centre de tri de matières recyclables, de sites de compostage pour les matières organiques et d’un lieu d’enfouissement technique pour les déchets. Elle opère également des écocentres, assure la gestion du contrat de collecte et transport, et développe des projets plus audacieux, comme l’implantation de puces électroniques sur l’ensemble des bacs du territoire ou le traitement des eaux de compostage via une plantation de saules. À noter que la régie transforme aussi le verre localement. La gestion des matières résiduelles au Québec est prise en charge par des entreprises privées, des OBNL, des centres de travail adaptés ou encore quelques régies intermunicipales, comme la RITMRG.