La Cour d’appel du Québec s’est récemment prononcée sur la responsabilité pour la perte de l’ouvrage entourant un système de protection incendie défectueux et sur la question plus large de défaut d’entretien du système alors que les travaux n’ont jamais été achevés ni reçus en bonne et due forme.
Dans l’arrêt Tyco international du Canada ltée c. 9413-4343 Québec inc.[1], la Cour d’appel du Québec se penche sur des notions suivantes :
(i) l’application de l’article 2118 CcQ relatif à la responsabilité solidaire de l’entrepreneur, les sous-traitants et les professionnels pour la perte de l’ouvrage dans les 5 ans suivant la fin des travaux;
(ii) la notion de fin des travaux lorsqu’un immeuble n’a jamais fait l’objet d’une réception en bonne et due forme;
(iii) l’interprétation de l’article 1480 CcQ en matière de responsabilité extracontractuelle solidaire;
(iv) la dépréciation liée au manque d’entretien d’un système qui n’a jamais été opérationnel.
Les faits : Quand un système d’incendie défectueux compromet tout un projet
Le cœur du litige repose sur la défectuosité du système de protection incendie installé dans un entrepôt frigorifique neuf. Ce système, conçu pour fonctionner sous le point de congélation, n’a jamais été achevé ni certifié. Avant même la fin des travaux, les professionnels ont constaté que le système de protection incendie mis en place rencontrait des problèmes.
Malgré tout, le propriétaire accepte de libérer la retenue contractuelle suivant les promesses de l’entrepreneur général de parachever l’installation du système à ses frais. Suivant quelques tentatives afin de finaliser les travaux, le 1er août 2012, l’entrepreneur général annonce qu’elle ne donnera pas suite à son engagement et abandonne les travaux, aux motifs que toute réclamation serait prescrite et que la cause des problèmes rencontrés relève de la conception.
Le propriétaire apprend, au mois d’octobre 2012, que le système de protection incendie est complètement hors d’usage et inopérant.
Le recours entrepris par le propriétaire, 9413-4343 Québec inc., vise à compenser le coût de remplacement du système ainsi que des dommages pour la perte de revenue locatifs occasionnés par les problèmes en lien avec le système.
Qu’est-ce qui constitue une « perte de l’ouvrage » au sens de la loi ?
La Cour confirme que la notion de « perte de l’ouvrage » au sens de l’article 2118 CcQ.[2] doit recevoir une interprétation large, incluant les défectuosités graves qui rendent l’ouvrage impropre à son usage. Le système de gicleurs et de détection incendie est considéré comme une composante essentielle et indissociable du bâtiment, sa défaillance compromettant :
- sa vocation locative et
- la sécurité des occupants.
La défectuosité de ce système est suffisamment grave pour satisfaire les critères de perte de l’ouvrage.
Concernant l’argument de la prescription du litige, la Cour détermine que les promesses de l’entrepreneur général entre 2008 et 2012 ont suspendu les travaux de sorte que la fin des travaux ne survient qu’au moment où l’entrepreneur général annonce qu’il abandonne les travaux, au mois d’août 2012.
La perte du système, constatée en octobre 2012, est donc survenue dans les cinq ans suivant la fin des travaux de sorte que le délai de 5 ans de l’article 2118 n’est pas échu au moment où le propriétaire entreprend son recours en 2013. Par ailleurs, le délai de prescription de 3 ans n’était pas échu non plus.
Les vices de réalisation et la solidarité
Quatre vices majeurs ont été identifiés par les experts comme causes de la perte du système qui relève de la responsabilité de Tyco et du sous-traitant en électricité. Le juge de première instance avait retenu la responsabilité solidaire de Tyco et l’entrepreneur général sous l’article 1480 CcQ en concluant qu’ils avaient participé à un fait collectif fautif. Toutefois, la Cour d’appel corrige cette approche : le juge ayant identifié les fautes distinctes et ayant attribué des parts de responsabilité précises, il n’était pas justifié d’invoquer l’article 1480 CcQ qui suppose une impossibilité d’identifier l’auteur du préjudice.
Cependant, cette rectification n’affecte pas le résultat final, puisque leur responsabilité solidaire demeure engagée sous l’article 2118 CcQ.
La dépréciation pour défaut d’entretien
Un élément important de l’analyse du juge de première instance concerne l’imputation partielle au propriétaire de la responsabilité liée à l’absence d’entretien du système. Le juge avait initialement déduit 9 % du coût de remplacement du système, estimant que le défaut d’entretien avait contribué à sa dégradation.
Or, la Cour d’appel renverse cette conclusion :
- D’abord, le système n’avait jamais été achevé ni certifié, et n’avait pas fait l’objet d’une mise en service finale par l’ingénieur-concepteur, comme l’exigeaient les normes de l’industrie.
- Ensuite, le propriétaire n’avait reçu ni formation ni documentation sur les modalités d’entretien du système, ce qui rendait impossible toute intervention adéquate de sa part.
La Cour rappelle que, selon les pratiques usuelles en construction, l’obligation d’entretien incombe à l’entrepreneur ou au sous-traitant jusqu’à la livraison complète et conforme de l’ouvrage. En l’espèce, cette responsabilité reposait sur les épaules de l’entrepreneur général et ses sous-traitants, qui avaient reconnu le caractère inachevé et non fonctionnel du système.
Par ailleurs, la Cour souligne qu’il serait illogique d’attendre d’un propriétaire qu’il entretienne un système qu’il n’a jamais reçu en bon état de fonctionnement. En conséquence, la réduction de 9 % est annulée, et le montant est réintégré intégralement dans le calcul des dommages-intérêts.
Finalement, Tyco et l’entrepreneur général sont condamnés solidairement à verser au propriétaire la somme de 956 183,20 $ au titre de coût de remplacement du système et 758 182,50 $ au titre de pertes financières.
Conclusion
Cet arrêt représente une belle illustration des principes applicables à la notion de garantie quinquennale prévue à l’article 2118 du CcQ. Par ailleurs, les commentaires de la Cour d’appel concernant le défaut d’entretien d’un système qui n’a jamais été fonctionnel et accepté sont particulièrement intéressants.
1. Tyco international du Canada ltée c. 9413-4343 Québec inc. (Entrepôt international Québec), 2025 QCCA 1227
2. L’article 2118 C.c.Q est rédigé comme suit :
2118. À moins qu’ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l’entrepreneur, l’architecte, l’ingénieur et le technologue professionnel qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol.






