Les enjeux de la réalisation du futur pont de l'île d'Orléans

15 juillet 2022
Par Isabelle Pronovost

Sols liquéfiables, roc inégal, marées d’amplitudes différentes, espèces marines et milieux naturels à protéger : les défis entourant la conception et la construction du futur pont de l’ile d’Orléans seront de taille.

Mis en service en 1935, le pont reliant l’ile d’Orléans et Québec ne respecte plus les normes en vigueur (voies trop étroites et absence d’accotements) et arrive à la fin de sa vie utile. Le gouvernement du Québec a donc décidé en 2015 de construire un nouveau pont à haubans pour remédier à ces problèmes. D’une longueur approximative de 2,1 kilomètres et situé 120 mètres (m) à l’ouest de l’infrastructure actuelle, il fera aussi une plus grande place aux piétons et aux cyclistes grâce à de larges pistes polyvalentes aménagées de chaque côté de la chaussée. Son design épuré, inspiré de l’histoire maritime, ne laisse quant à lui rien deviner de la multitude de défis techniques que les concepteurs ont dû surmonter.

 

Caractéristiques géotechniques et sismiques particulières

Le secteur dans lequel le projet sera réalisé présente plusieurs caractéristiques très particulières, dont la présence de sols liquéfiables. Il s’agit d’un sol qui perd de sa portance lorsque soumis à des efforts sismiques, pouvant ainsi causer l’enfoncement ou l’effondrement des constructions.

 

Autre défi majeur : l’inégalité du roc se trouvant de part et d’autre du fleuve. « Le roc est situé très profondément du côté nord et, du côté sud, à la surface. Les unités de fondation sont donc très différentes du côté nord et du côté sud. Du côté nord, on va avoir des pieux enfoncés jusqu’à 80 m. Du côté sud, on va avoir des semelles à la surface », explique Monica Gallego, chargée d’activité en ingénierie à la Direction des grands projets de la région métropolitaine de Québec au ministère des Transports du Québec.

 

La conception de l’ouvrage lui permet aussi de résister aux marées, qui se comptent au nombre de quatre par jour (deux marées hautes et deux marées basses). Ces marées se caractérisent en outre par leur amplitude variable : elles s’élèvent en moyenne à 4,4 m, mais peuvent atteindre 6 m lors d’événements de grandes marées.

 

Un milieu à protéger

Lors de la construction du futur pont, ce sera en bonne partie la protection de l’environnement naturel qui se révélera un défi. « Les travaux se réalisent dans un paysage qui est reconnu comme exceptionnel à Québec et aussi dans un milieu faunique sensible. On a, à proximité, des sites qui sont protégés par différents règlements et lois, que ce soit la Loi sur le patrimoine culturel, la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en péril. C’est donc beaucoup d’autorisations à obtenir », précise Jessica Potvin, gérante du projet de reconstruction du pont de l’ile d’Orléans pour le ministère des Transports du Québec.

 

Jessica Potvin, gérante du projet de reconstruction du pont de l’ile d’Orléans pour le ministère des Transports du Québec. Crédit : MTQ

 

Ces autorisations s’accompagnent de restrictions et de mesures d’atténuation à respecter durant les travaux. Par exemple, le secteur du pont est considéré comme l’habitat essentiel du bar rayé, un poisson protégé en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Pour ne pas nuire aux larves et aux juvéniles, les activités de dragage devront donc être retardées le plus tard possible à l’automne.

 

En outre, des efforts devront être consentis pour limiter l’émission de matières en suspension, notamment pendant la construction des jetées ou durant les travaux de forage. L’envergure des ouvrages temporaires devra aussi être réduite le plus possible.

 

D’ailleurs, l’emplacement de la nouvelle infrastructure à proximité du pont existant vise notamment à restreindre la portée de l’impact environnemental, puisque les travaux seront concentrés dans le même secteur. Autre avantage : en gardant les mêmes entrées et sorties, les habitudes de déplacement des usagers seront conservées. Jessica Potvin souligne toutefois que le nouveau pont ne pouvait pas non plus être situé trop près de la structure existante, afin d’avoir suffisamment d’espace pour travailler sans nuire à cette dernière.

 

En raison des investissements majeurs qu’occasionneraient la remise en état, l’entretien et le changement de vocation de l’ancien pont, le gouvernement du Québec a choisi de le déconstruire une fois les travaux achevés. Rien n’a toutefois encore été décidé quant au recyclage ou à la réutilisation des matériaux. « C’est certain que pour la déconstruction, il y a un aspect humain qu’on doit prendre en compte. Le pont existant a une valeur importante pour le milieu, donc le Ministère est en voie de préparer une démarche de valorisation pour le pont existant après son démantèlement », indique Jessica Potvin.

 

À CONSULTER

 

Réduire le bruit et la pollution de l’air

Plusieurs mesures d’atténuation sont prévues pendant les travaux. Par exemple, le Ministère veut s’assurer que les niveaux sonores maximaux recommandés seront respectés et que les résidents du secteur seront avisés en amont de la réalisation des activités les plus bruyantes.

 

Monica Gallego, chargée d’activité en ingénierie à la Direction des grands projets de la région métropolitaine de Québec au ministère des Transports du Québec. Crédit : MTQ

 

« Pour la qualité de l’air, nous allons nettoyer les rues avoisinantes et arroser fréquemment les routes sur le chantier, recouvrir avec une membrane géotextile les piles de matériaux et recouvrir également les chargements des camions contenant des matériaux », mentionne Monica Gallego. Le Ministère souhaiterait aussi, en collaboration avec l’entrepreneur, organiser des navettes pour les ouvriers du chantier et planifier les horaires de travail afin d’éviter les heures de pointe.

 

Le contrat de conception-construction n’a pas encore été accordé, mais le processus de sélection le concernant s’amorcera prochainement. En attendant, des travaux préparatoires auront lieu en 2022 avec le réaménagement de la côte du Pont et de son intersection avec le chemin Royal et la route Prévost. La mise en service de la nouvelle infrastructure est prévue pour la fin de 2027 et son cout devrait s’élever à plus de 100 M$.

 

UN FORT ATTACHEMENT SENTIMENTAL

Pour sonder le pouls de la population, le ministère des Transports a mené une étude auprès des personnes concernées, laquelle a été réalisée en mars et en avril 2021. Le sondage a révélé que près de 60 pour cent des répondants étaient très ou assez attachés au pont actuel de l’ile d’Orléans. Certains auraient voulu le conserver pour le passage des motoneiges ou des véhicules tout-terrain, alors que d’autres auraient plutôt opté pour une voie pour les cyclistes, les piétons et les skieurs de fond.

Néanmoins, la créativité ne manque pas pour mettre en valeur des portions du vieux pont après son démantèlement : exposer certaines composantes à proximité de l’ancienne infrastructure pour en rappeler la présence et l’histoire, réutiliser les matériaux pour en faire des oeuvres d’art, des structures consacrées aux sports et aux loisirs – une tyrolienne par exemple – ou des bacs à fleurs et du mobilier urbain.

Plusieurs souhaitent que des parties soient laissées en place pour aménager une jetée avec aire de repos, belvédère et accès au fleuve. Grâce à toutes ces suggestions, parmi lesquelles certaines idées seront sans doute sélectionnées, nul doute que l’actuel pont de l’ile d’Orléans continuera d’être présent dans la vie des insulaires sous une forme ou une autre.