Vers une surveillance obligatoire des chantiers?

4 novembre 2021
Par Aurélie Beaupré

La réalisation de plans et devis permet d’assurer une certaine conformité des bâtiments, mais cela ne suffirait pas pour assurer l’intégrité des ouvrages. La surveillance de ce type de chantiers devrait-elle devenir obligatoire ? Oui, considèrent de nombreux spécialistes.

« Présentement, on ne sait pas exactement quels chantiers de bâtiments ont été surveillés. Pour les grands projets immobiliers ou pour les projets publics, la surveillance est généralement appliquée systématiquement, mais ce n’est pas le cas pour les plus petits projets ou dans le secteur résidentiel par exemple. Il y a une zone grise », souligne Kathy Baig, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ).

 

Kathy Baig, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). Crédit : Gracieuseté

 

Bien que plusieurs chantiers soient déjà suivis par des professionnels, une uniformisation des pratiques est présentement sujette à discussion. Comme la surveillance des travaux n’est pas obligatoire pour le moment, la même protection et le même sentiment de sécurité concernant la qualité des ouvrages ne peuvent être promis à tous les résidents et à tous les utilisateurs des bâtiments. « Le problème, c’est que comme ce n’est pas obligatoire, on ne sait pas quels chantiers ont été surveillés. Plus encore, on ne sait pas s’ils sont surveillés par des professionnels détenant une formation suffisante », explique Pierre Corriveau, président de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ).

 

Élucider la question du cout et de la pénurie

La couverture médiatique de la surveillance des chantiers a connu une forte croissance au cours des dernières semaines; celle de la pénurie de la main-d’oeuvre aussi. Ces deux enjeux ne rentrent-ils pas en contradiction? Non, considèrent unanimement les deux spécialistes.

 

« On est actuellement en train de faire un règlement de délégation d’acte avec les technologues professionnels qui touche une grande partie de la surveillance des plus petits projets. Comme cela, on s’ajoute entre 20 et 25 pour cent (%) de force de frappe. On se donne les moyens pour arriver à répondre à ce que l’on se crée comme obligation », affirme le président de l’OAQ.

 

En ce qui concerne le cout supplémentaire engendré par la surveillance d’un projet, celui-ci serait absorbé par l’absence de vices, qui feraient augmenter la facture s’ils devaient être corrigés. « Les entrepreneurs ont souvent une préoccupation concernant les potentiels impacts sur l’échéancier et sur les couts. Pour les couts, on ajoute des professionnels qui vérifient la qualité, ce qui engendre donc leur augmentation », fait remarquer Kathy Baig. Cependant, un sondage indépendant effectué auprès du public propose qu’une grande majorité des répondants seraient prêts à débourser plus que la somme nécessaire pour assurer la qualité de l’ouvrage, soit un montant qui se trouve sur une fourchette allant de 3,5 à 7,5 %. La démarche s’avère donc bien reçue du public.

 

Des avantages considérables

Plusieurs avantages seraient recherchés par la surveillance obligatoire des chantiers. Parmi ces derniers, on note la protection des citoyens. « Le travail obligatoire est présentement limité à la conception des plans et devis, ce qui est important, mais cela n’élimine pas les risques si les travaux ne sont pas surveillés », fait valoir Pierre Corriveau. Les entrepreneurs aussi bénéficieraient de la surveillance obligatoire, car celle-ci permettrait de répartir la responsabilité ayant trait à la qualité des ouvrages entre ces derniers et l’ingénieur responsable de la surveillance.

 

Pierre Corriveau, président de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ). Crédit : OAQ

 

« Le fardeau ne reposerait plus uniquement sur les épaules des entrepreneurs. Ça permettrait de partager la responsabilité, car il va y avoir un autre intervenant sur le terrain qui va avoir le devoir de faire le plan de surveillance et de signer l’attestation à la fin pour certifier que l’ouvrage est conforme aux plans », explique la présidente de l’OIQ. Et comme résultat final : une meilleure qualité des bâtiments érigés et, de ce fait, une plus grande pérennité de ces derniers. « Encore une fois, on peut revenir sur la notion de développement durable, qui nous est très chère actuellement. S’il y a moins d’erreurs sur la construction, on obtient une plus grande longévité des bâtiments. On construit aujourd’hui le patrimoine de demain, mais faut-il qu’il soit à l’épreuve du temps », souligne Pierre Corriveau.

 

Mais ces avantages ne peuvent être obtenus que si la surveillance est effectuée de façon adéquate. En effet, afin d’assurer une bonne surveillance des travaux, il faut aller sur place assez régulièrement afin d’arriver aux étapes importantes et d’obtenir toutes les informations sur le chantier. Le professionnel doit aussi posséder les compétences suffisantes pour certifier la conformité du bâtiment.

 

Une adaptation nécessaire

La surveillance obligatoire engendrerait inévitablement des changements dans la façon de faire de certains entrepreneurs et requerrait que ces derniers s’adaptent à une nouvelle réalité. « Pour les entrepreneurs qui n’ont jamais fait de projet où la surveillance de chantier était exigée, oui ça va demander de l’adaptation. Ils devront établir un plan de surveillance en début de chantier et se coordonner avec les ingénieurs pour déterminer les éléments critiques et les moments où l’ingénieur va effectuer sa surveillance », explique Kathy Baig. Celle-ci ajoute cependant qu’un chantier déjà bien ordonné et collaboratif deviendra d’autant plus efficace, puisqu’un ingénieur sera présent pour répondre aux questions et trouver des solutions aux problèmes rencontrés.

 

Ce projet demandera une grande collaboration entre les différentes parties impliquées, afin que celui-ci soit adapté aux réalités de tous et pour que la transition se fasse dans le respect de chacun. « On veut faire partie de la solution et travailler avec les entrepreneurs pour que ce soit fonctionnel, pour que les chantiers soient efficaces et pour qu’ensemble, on offre des ouvrages de meilleure qualité sur l’ensemble du territoire québécois. On veut collaborer », conclut-elle.