Un centre de R&D marqué du sceau du secret pour Défense nationale

5 avril 2021
Par Marie Gagnon

Plusieurs inconnues occultent la construction des nouvelles installations de recherche de la base de Valcartier. Dont la nature précise des travaux.

D’ici 2024, le Centre de recherche et développement de Valcartier sera entièrement métamorphosé. Bien malin toutefois qui saura dire la forme qu’il prendra à terme. Secret militaire oblige, le projet de 144 millions de dollars (M$) comporte en effet plusieurs inconnues qui ne seront levées qu’au fil de sa construction, et sous certaines conditions de sécurité visant à contrer l’espionnage industriel. Bienvenue dans l’univers de la Défense nationale !

 

Pour la petite histoire, rappelons tout d’abord que Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC) englobe sept centres de recherche au Canada, chacun possédant des expertises qui lui sont propres afin de répondre aux besoins actuels et futurs des Forces armées canadiennes (FAC). Celui de Valcartier, le plus important de ces centres, se concentre sur les systèmes d’information, la surveillance et la reconnaissance tactiques ainsi que sur l’armement et les équipements de protection du personnel et des véhicules.

 

À terme, le nouveau complexe pavillonnaire viendra remplacer les infrastructures existantes, construites dans les années 1950. D’une superficie de 31 000 mètres carrés (m2) répartie sur six niveaux, il sera composé de trois ailes disposées en parallèle et abritera 80 laboratoires modulables, dont des laboratoires de chimie, d’optronique et de prototypage. Il comprendra en outre des ateliers, des bureaux, des salles de réunion et des aires de travail collaboratives.

 

Attirer l’élite

Qui plus est, ces installations brigueront la certification LEED Argent. C’est dire que le futur complexe, en plus d’afficher un bilan énergétique de 38 pour cent (%) supérieur aux exigences du Code national du bâtiment (CNB) 2015, fera la part belle à la lumière naturelle grâce à des murs-rideaux en façade et à un immense atrium vitré en son centre. Il inclura par ailleurs quatre zones végétalisées en toiture tout en participant à l’électrification des transports. Son stationnement sera en effet équipé de 24 stations de covoiturage et de 15 bornes de recharge pour véhicules électriques, reliées au réseau d’Hydro-Québec et accessibles à tout un chacun.

 

Jacques Vaillancourt, gestionnaire du projet pour la Défense nationale. Photo : Ministère de la Défense nationale

 

« Il s’agit d’un centre de recherche de calibre international, indique Jacques Vaillancourt, gestionnaire du projet pour la Défense nationale. D’un côté, il doit être adapté à sa mission, c’est-à-dire offrir des installations à la fine pointe de la technologie; de l’autre, il se doit d’être d’une grande qualité architecturale pour attirer des chercheurs de partout dans le monde. Sur ce point, sa conception a nécessité des négociations avec les architectes en raison de nos limites budgétaires. Pour le reste, il répond aux exigences normales d’un bâtiment de ce type, avec des zones de haute sécurité, entre autres pour les laboratoires de chimie où sont mis au point des explosifs. »

 

Composer avec l’inconnu

En termes de construction, les exigences de la Défense nationale en matière de sécurité sont encore plus élevées. En 2018, le Ministère a publié un préavis informant les éventuels soumissionnaires qu’ils devaient au préalable obtenir une cote de sécurité industrielle pour déposer une offre dans le cadre de ce projet. « Pour l’obtenir, il faut être parrainé par le CDC, signale Simon Flamand, chef d’équipe pour Construction de la défense Canada (CDC). C’est nous qui les accompagnons dans cette démarche. Le processus est assez long, on parle de 12 à 18 mois. Une fois la cote octroyée, ils peuvent soumissionner. »

 

Simon Flamand, chef d’équipe pour Construction de la défense Canada. Photo : Louise Leblanc

 

Mais encore doivent-ils élaborer leur offre à l’aveuglette. En février 2020, lors de la publication de l’appel de propositions pour services de construction, les adjudicataires n’ont eu accès qu’aux plans génériques du bâtiment. Seul le nombre de zones sujettes à changement y était indiqué. « Cela représente tout un défi pour un entrepreneur, convient Jacques Vaillancourt. Il ne voit que les 1 300 plans publics, mais aucune zone secrète. C’est donc difficile de faire un budget détaillé. En contrepartie, on leur accorde une allocation contractuelle de 1,3 (M$) pour les éventuels changements, qui seront négociés en temps et lieu. »

 

Décourager l’espionnage

Il ajoute que ce n’est qu’une fois le marché conclu que le voile a été levé sur les zones de sécurité. Mais encore là, la nature des activités du centre de R&D de Valcartier est à ce point sensible que, pour décourager toute tentative d’espionnage industriel, les plans et devis ne peuvent être consultés que dans les locaux de la Défense nationale. Impossible de les copier ni de les télécharger. Pour les entreprises qui travaillent en BIM, cela constitue une difficulté de plus. « Pour la jeune génération, habituée aux technologies de l’information, c’est un peu un retour à l’âge de pierre », ironise-t-il.

 

Jusqu’ici, le projet se réalise toutefois comme prévu. Confié à EBC, qui travaille à partir de plans et devis préparés par Provencher_Roy et GLCRM, architectes en consortium, le chantier s’est amorcé en octobre dernier par la mobilisation des équipes de l’entrepreneur et le décapage des sols de surface, qui a pris fin avant Noël. Le 15 février, le sous-traitant en travaux civils reprenait ses activités d’excavation en vue de la coulée des fondations, prévue début mars, et de la construction d’un bassin de rétention.

 

« La structure, qui sera composée à 80 pour cent de béton et à 20 pour cent d’acier, sera érigée par la suite, précise Simon Flamand. Cette étape doit être complétée vers la fin de l’année, sinon au début de 2022. Ensuite, l’entrepreneur procédera à la fermeture de l’enveloppe, puis il passera aux finitions intérieures en mars. La livraison est prévue pour l’été 2024. Une période de commissioning est également prévue, avant l’occupation des lieux. »

 

DEUX AUTRES PHASES

La modernisation des installations de RDDC à Valcartier ne se limite pas à la seule construction du centre de recherche. Le projet comprend également deux autres phases et la mise à niveau du centre se chiffre en tout à 272 M$. Sa deuxième phase, dont les couts étaient estimés à 26 M$ en 2018, prévoit la construction d’un garage de 175 m2 et la rénovation de 44 bâtiments. En février, les plans et devis étaient avancés à 85 %.

 

Quant à la troisième, elle vise la démolition de bâtiments désuets totalisant quelque 2 000 m2, pour une valeur globale de 8 M$. « On ne sait pas encore s’ils seront démolis ou déconstruits, note Jacques Vaillancourt, on n’est pas encore rendus là. Mais, en principe, tout devrait être terminé en 2028. »

 

TROIS GRANDS DÉFIS
  1. La sécurité industrielle : la construction du centre de recherche et développement comporte plusieurs inconnues qui ne seront levées qu’au fil de la construction.
  2. La complexité du système mécanique : les systèmes de CVC doivent répondre à plusieurs exigences en matière de filtration, d’évacuation, d’humidité, de pressurisation et de contrôle de la température.
  3. La COVID-19 : en plus des mesures sanitaires visant à limiter les risques de contagion, la pandémie pourrait avoir un impact sur l’approvisionnement en matériaux et, de là, sur l’échéancier global.