L'impact de la pénurie de matériaux sur les chantiers

4 juin 2021
Par Jean Garon

L’industrie de la construction est confrontée à une nouvelle crise : la rareté des matériaux. Celle-ci menace de retarder la livraison des projets et la santé financière de plusieurs entrepreneurs.

La situation n’a pas cessé d’empirer depuis l’an dernier en raison de la pandémie de COVID-19, qui a chamboulé la chaine d’approvisionnement. Cette pénurie préoccupait 80 pour cent (%) des entrepreneurs lors d’un sondage de Léger Marketing en janvier dernier.

 

Un autre coup de sonde, effectué récemment sur le Web par l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT), révélait un sentiment d’urgence dans l’industrie chez 78 % des répondants concernant la nécessité d’une intervention du gouvernement en ce qui a trait au problème de la rareté des matériaux et de la flambée des prix.

 

Le bois d’oeuvre serait particulièrement visé en raison de sa plus grande popularité, tant au Canada qu’aux États- Unis, avec la recrudescence des investissements pour la relance de l’économie. « Ça crée une surchauffe qui contribue à la baisse des inventaires, note Richard Darveau, président et chef de la direction de l’AQMAT. Forcément, ç’a un effet sur les prix. » Il donne comme exemple la commande récente d’un camion-remorque de lattes de bois à charpente chez un fournisseur qui a coûté 71 000 $, soit trois fois plus qu’en mars 2020, et ce, pour la même quantité.

 

Richard Darveau, président et chef de la direction de l’AQMAT. Crédit : AQMAT

 

« Mais ça ne touche pas seulement le bois, ajoute-t-il. On trouve aussi des situations inquiétantes de cette inflation des prix pour les produits en acier, les métaux comme le cuivre et bien d’autres produits. » La directrice de l’Association d’isolation du Québec, Lyne Laperrière, lui faisait part dernièrement d’une majoration des prix de 40 % ainsi que d’autres hausses de 10 à 15 % à prévoir au cours des prochaines semaines. Et les délais de livraison peuvent aller jusqu’à six mois pour certains produits isolants. Une situation justifiée par la difficulté pour les fabricants de s’approvisionner en matières premières.

 

Attirer l’attention du gouvernement

Au nom de l’AQMAT, Richard Darveau a récemment demandé l’intervention du gouvernement du Québec dans une lettre adressée au premier ministre François Legault. Il n’avait alors obtenu pour seule réponse qu’un accusé de réception qui lui assurait qu’elle avait été lue avec attention au cabinet et transmise aux responsables du dossier.

 

Malgré son faible engagement, il ne croit pas que le gouvernement restera longtemps sans réagir, étant lui-même confronté au problème que la situation pose pour la réalisation de ses propres chantiers d’infrastructures. Sans matériaux, plusieurs chantiers risquent la paralysie et des retards de livraison : « Tant chez les consommateurs que chez les constructeurs, la patience atteint des limites. C’est incroyable de voir à quel point la tension est élevée présentement, en particulier chez les entrepreneurs qui se plaignent de la situation auprès de leurs associations », note Richard Darveau.

 

Éric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ). Crédit : Photographes commercial / CEGQ

 

Le président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ), Éric Côté, corrobore les faits : « L’inaccessibilité aux matériaux nous préoccupe beaucoup. On se pose de sérieuses questions sur les difficultés de s’approvisionner en bois coupé au Québec, alors que la moitié est exportée à l’étranger. On se demande s’il faudra bientôt importer du bois pour combler les besoins pour nos projets de construction ».

 

Une situation périlleuse pour les entrepreneurs

Selon lui, la situation est devenue également intenable en ce qui concerne l’augmentation des prix. Surtout pour les entrepreneurs qui soumissionnent aux prix fermes les plus bas pour obtenir les contrats publics et dans un contexte d’augmentation imprévisible des couts, où ils risquent parfois de laisser leur chemise.

 

En général, les prix proposés dans les soumissions sont valables pour des périodes de 60, 90 ou 120 jours suivant l’étalement des projets. « Les entrepreneurs ne peuvent pas prévoir des hausses de leurs couts de 35 ou de 40% pour les matériaux dans de tels délais, explique-t-il, ni ajouter un coussin pour les compenser. Résultat : certains entrepreneurs qui ont soumissionné l’automne dernier se retrouvent avec des factures qui dépassent largement leurs marges bénéficiaires normales. »

 

La situation prévaut également pour des contrats dans le secteur privé, dont les budgets sont également limités. Une situation qui, à son avis, incite déjà les investisseurs à reporter leurs projets, entrainant une baisse d’activité chez les entrepreneurs ou leur retrait des affaires et, du coup, une remise en question de la reprise économique.

 

La chaine d’approvisionnement est déstabilisée en ce moment. Il ne faut pas oublier le fait que des retards de livraison de matériaux sur les chantiers affectent toute la chaine de production dans le séquençage des travaux et dans l’embauche des travailleurs et des sous-traitants, précise Éric Côté. « Nous, on demande un système plus flexible pour compenser des hausses de prix imprévisibles.

 

Il existe déjà des formules contractuelles qui permettent aux clients de payer à mesure les factures (cost plus). Ça se fait dans le secteur privé. Autrement, il reste aussi la possibilité de remplacer le choix de certains matériaux plus rares par d’autres moins couteux. »

 

Un choix limité d’options

Quoi qu’il en soit, le choix de solutions parait assez limité. « Nous, on a élaboré notre action en deux temps, confie Richard Darveau. En urgence, il faut inventer des mécanismes pour aplatir la courbe des prix et réguler les approvisionnements en bois domestiques. À plus long terme, on suggère d’investiguer le champ des contrats d’approvisionnement privilégiés en créant des pools d’acheteurs jumelés à des équipes de producteurs, les uns et les autres, en synergie, par un partage transparent de l’information disponible sur les besoins à court et moyen termes des marchés. »

 

La crise actuelle fait peser un lourd fardeau sur l’économie en général et, plus particulièrement, sur l’industrie de la construction. Cependant, en dernière heure, Richard Darveau se montrait nettement plus optimiste à la suite de rencontres toute fraiches avec des membres du ministère des Transports et de celui de l’Économie et de l’Innovation avec la garde rapprochée du bureau du premier ministre. Il semble aussi que la direction d’Investissement Québec démontre un intérêt renouvelé pour le développement de circuits d’approvisionnement plus courts.

 

« Plus concrètement, avance-t-il, nous allons déposer une proposition, en collaboration étroite avec l’APCHQ, visant à se doter d’un genre de périscope pour prévoir la demande et jeter les bases d’un modèle de collaboration des scieries et des manufacturiers avec les centres de rénovation d’une même région. » Tous doivent toucher du bois afin que cette initiative rétablisse la situation, durement vécue par de nombreux entrepreneurs.