Faire équipe avec un robot sur les chantiers

8 juin 2020
Par Marie Gagnon

Au chantier, le robot peut donner un sérieux coup de pouce, notamment en accédant aux espaces les plus dangereux tout en promettant d’intéressants gains de productivité.

Notre-Dame de Paris (France). Sous la haute voute, à la croisée des transepts, deux robots s’affairent à ramasser les gravats noircis par l’incendie qui a ravagé la cathédrale en avril 2019. Une solution technologique qui s’impose, selon l’architecte en chef des monuments historiques de France, Philippe Villeneuve, qui refuse que des ouvriers s’aventurent sous la structure de maçonnerie fragilisée par les flammes et par l’eau déversée pour les éteindre.

 

De ce côté-ci de l’Atlantique, ce sont également des raisons de santé et de sécurité qui ont d’abord motivé les dirigeants de GSR Construction Décontamination à acquérir, en aout dernier, un robot de démolition de la société française Brokk. Un investissement évalué à 700 000 dollars en tout et partout pour la jeune entreprise fondée par Angélique Salvas, qui concentre depuis 2014 ses activités de démolition, de décontamination et de désinfection dans le bâtiment non résidentiel.

 

Or, on le sait, ces travaux sont habituellement exécutés manuellement, au moyen d’outils comme des marteaux- piqueurs ou des découpeuses à disque. On sait aussi que l’usage fréquent et prolongé d’un marteau-piqueur peut provoquer des douleurs et une fatigue prématurée, à cause des vibrations émises par l’appareil et de postures et de positions de travail contraintes. Avec, à la clé, des blessures musculosquelettiques chroniques parfois très invalidantes. Et c’est sans compter les dangers associés à la présence même des contaminants – plomb, amiante, hydrocarbures et autres risques bactériologiques.

 

« On parle d’un poids de 105 livres (lb) pour un marteau piqueur; même à deux, c’est difficile à bouger, commente Martin Robichaud, l’associé d’Angélique Salvas. C’est un travail très physique et les gars deviennent vieux rapidement. Ils commencent à 20 ans et à 30 ans, ils ne sont plus capables de lever les bras ni de bouger les épaules. C’est pas étonnant qu’il y ait de moins en moins de gars qui veulent faire ça : ils n’ont pas envie de risquer leur santé pour rien. »

 

Avantages multiples

Dirigé au moyen d’une radiocommande efficace jusqu’à 1 000 pieds (pi), le Brokk 170 de GSR, affectueusement baptisé BumbleBee en l’honneur du film sorti en 2018, préserve l’opérateur des risques inhérents au chantier, tout en le soustrayant aux vibrations nocives des outils à main. De plus, comme il est équipé d’un moteur électrique de 600 volts développant une puissance de 24 kilowatts, il ne génère aucun gaz toxique et peut être utilisé sans crainte dans un espace clos.

 

À ces avantages sur le plan de la santé et de la sécurité des travailleurs s’ajoute un encombrement réduit qui lui permet d’accéder aux endroits les plus exigus. Pesant 3 500 lb sans accessoire, il fait à peine 4 pi de haut, 5 pi de long et 30 pouces de large. C’est dire que le petit engin sur chenilles peut être transporté facilement par monte-charge, grimper des escaliers sans s’essouffler et même se glisser avec agilité dans le cadre d’une porte.

 

De plus, son bras articulé en trois parties offre une portée verticale maximale de 15 pi, marteau compris, qui réduit le besoin d’échafaudage pour les travaux en hauteur. Il est aussi très polyvalent grâce à l’ajout d’outils comme un marteau, une cisaille ou un godet. Pour sa part, GSR s’est équipée d’une fraiseuse BCP 250, reçue en octobre. Avec cet outil, elle peut désormais décontaminer des cloisons et des plafonds de bâtiments sans tout démolir.

 

Bénéfices durables

Un atout dans les projets à visée écologique ou du moins lorsqu’on se soucie de préserver l’environnement et de diminuer la pression sur les ressources, fait valoir Angélique Salvas. « On vient seulement enlever les contaminants qui se trouvent en surface, que ce soit une peinture au plomb ou un crépi d’amiante, dit-elle. On produit donc moins de déchets et c’est aussi beaucoup moins couteux, parce qu’on n’a pas à tout refaire par la suite. »

 

Elle ajoute que l’engin est équipé d’un système d’aspiration à la source, qui ramasse jusqu’à 80 pour cent des poussières toxiques. « On n’a pas besoin de vider un hôpital pour enlever de l’amiante, dit-elle. Il suffit de cloisonner le site et d’effectuer les travaux selon les règles de l’art. Quand les gars peuvent rester à l’extérieur de la zone contaminée, il y a encore moins de risques pour leur santé et leur sécurité. »

 

À l’invitation de la Ville de Montréal, qui avait eu vent de sa récente acquisition, GSR a mis son robot à l’essai dans un ancien couvent de Montréal, où des murs contaminés à l’amiante se présentent comme d’excellents candidats au fraisage. En effet, le projet, mis de l’avant par un OSBL, exclut toute démolition, car le budget, modeste, ne permet pas de reconstruire. Grâce à cette technique, les murs en briques de terre cuite ont pu être conservés à moindre cout.

 

L’approche est moins couteuse car elle est aussi plus rapide. Le robot peut accomplir en une heure ce qu’une minipelle ferait en quatre heures. Et il peut accéder à des endroits, une salle de classe par exemple, inaccessibles à un engin plus volumineux. Dans les faits, il est capable d’abattre autant de travail qu’une dizaine d’hommes, sans les risques propres au métier. Sauf que sa présence au chantier éveille la méfiance.

 

Rentabilité confirmée

« Au départ, certains clients sont réticents, mais quand ils voient notre robot à l’oeuvre, ils sont ébahis, souligne Martin Robichaud. Il peut travailler dans des environnements extrêmement hostiles. Dans une fonderie, par exemple, on n’a pas besoin d’attendre que le four refroidisse pour remplacer les briques réfractaires, parce que le robot, lui, il n’a pas chaud. Et avec la planeuse, il va dix fois plus vite qu’un gars avec une meuleuse. Il permet de réaliser des gains de productivité énormes. »

 

Un aspect appréciable alors que la main-d’oeuvre se fait rare. Deux hommes suffisent en effet pour manoeuvrer l’engin : un qui dirige les opérations au moyen de la radiocommande, l’autre en soutien. « La compétition est forte dans le marché, mais quand les jobs sortent plus vite, la rentabilité est là », conclut-il.

 

UNE INNOVATION BIENVENUE

« Ça fait 30 ans que je travaille de même… » On en conviendra, l’industrie de la construction n’est pas très portée sur l’innovation ni la technologie. C’est du moins le constat que font les dirigeants de GSR Construction Décontamination. « Au chantier, les jobs sont difficiles et pourtant, tout se fait encore avec des outils à main, observe Martin Robichaud. Alors que si on industrialisait davantage, un peu comme dans l’automobile, on améliorerait les conditions de travail et on réduirait en même temps les risques qui y sont associés. On gagnerait en productivité au bout du compte. »

La venue de BumbleBee a par ailleurs radicalement changé les façons de faire au sein de l’équipe, note pour sa part Angélique Salvas. « Les travailleurs sont fiers de leur robot et ils apprécient son efficacité, dit-elle. Avant, j’aurais eu de la misère à me trouver un gars un samedi pour une urgence. Aujourd’hui, je n’ai plus ce problème! »