La soumission : une étape cruciale de tout projet

29 mars 2023
Par Elizabeth Pouliot

Faisant foi de l’obtention ou non de tout projet de construction, la soumission ne doit jamais être laissée au hasard. Quels sont les secrets pour bien la réussir ?

Obtenir un projet de construction, c’est le pain et le beurre des entrepreneurs généraux et spécialisés. Voilà pourquoi la phase de soumission est si cruciale, non seulement pour leur réussite, mais aussi pour leur avenir. « Lorsqu’un entrepreneur général dépose une soumission, il s’engage contractuellement et légalement à réaliser l’ouvrage au prix donné. Une mauvaise estimation peut donc avoir des conséquences fâcheuses pour lui », confirme Éric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ).

 

Éric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ). Crédit : Photographes commercial/CEGQ

 

La soumission demande, dans un temps très restreint, de prévoir l’imprévisible, tout en tenant compte des couts, comme le plus bas soumissionnaire emporte la plupart du temps le projet. « Si une estimation juste et compétitive est réalisée selon les meilleures pratiques, ça a aussi un impact sur la réputation de l’entrepreneur », renchérit Frédéric Boisvert, économiste de la construction et trésorier à l’Association des estimateurs et des économistes de la construction du Québec (AEÉCQ). « Le secteur voit alors en lui un gage de réussite. »

 

L’estimateur : la personne clé

Le défi de la soumission commence dès le départ, avec la bonne compréhension des plans et devis du projet convoité. Une évaluation adéquate mène souvent à des questionnements, des demandes de précision formulés au donneur d’ouvrage. « Le principal défi, c’est d’avoir toute l’information au moment où on prépare la proposition. Et il arrive que certains soumissionnaires découvrent des éléments plus ambigus. Ça provoque alors l’émission d’addenda à l’appel d’offres, et tout le monde doit refaire ses calculs, tout ça dans un délai très serré », explique Éric Côté.

 

Pour Frédéric Boisvert, détenir des connaissances pluridisciplinaires peut permettre d’éviter bien des écueils. « Le défi principal, c’est la connaissance de tous les items constructifs, de la portée des travaux, de toutes les variables, notamment les couts indirects, les indexations futures, l’impact des conditions de chantier sur les couts, etc. » Car l’estimateur en chef, engagé par l’entrepreneur général pour préparer la soumission ou encore par le donneur d’ouvrage pour déterminer le budget d’un projet, doit non seulement évaluer les couts de son équipe, mais également ceux proposés par les entrepreneurs spécialisés. Ses connaissances multiples pourraient lui permettre de discerner des erreurs si les sous-traitants se trompent, que ce soit à la hausse ou à la baisse.

 

Frédéric Boisvert, économiste de la construction et trésorier à l’Association des estimateurs et des économistes de la construction du Québec (AEÉCQ). Crédit : Pierre Pelletier

 

Le prix et la disponibilité des matériaux, influencés par la pandémie, ainsi que la pénurie de main-d’oeuvre, amorcée bien avant l’arrivée de la COVID-19 par des départs à la retraite entre autres, ont eut un fort impact sur le secteur de la construction. Par ricochet, le dépôt de soumissions le plus juste possible s’en voit complexifié. « Il est difficile en ce moment de prévoir le cout de certains matériaux dans trois mois, soit quand le contrat commencera », souligne Éric Côté.

 

Afin de soutenir le secteur dans ces bris de chaines d’approvisionnement, on a pris la décision, à la CEGQ, de surveiller près d’une vingtaine de matériaux, comme le bois, l’acier, le verre, les fenêtres. Évaluer la productivité avec la pénurie de travailleurs devient aussi difficile à l’heure actuelle. « Est-ce qu’on a les ressources qui pourront, avec un certain niveau de productivité, arriver dans le temps ? », se demande Éric Côté. « Car la durée du chantier a un impact sur le cout. » Dans le contexte d’aujourd’hui, certains entrepreneurs sont donc fragilisés. « Ils sont moins solides… donc moins en mesure de compétitionner », croit Frédéric Boisvert, selon qui une saine concurrence est essentielle dans le secteur de la construction québécoise.

 

Planifier : le mot d’ordre

Même si de plus en plus d’outils technologiques existent pour faciliter la vie des entrepreneurs généraux et spécialisés, la machine qui se chargera toute seule d’établir les couts n’a pas encore été inventée. Il s’agit encore d’un travail d’analyse, de lecture et de compréhension. « La gestion des risques est la clé. L’idée, c’est de ne pas faire d’erreur, de mieux se préparer, de réviser les échéanciers, les couts, de détecter les endroits où il pourrait y avoir des fluctuations, des changements possibles, et se préparer en conséquence », note Éric Côté. « On enseigne des méthodes à la CEGQ pour les gens en formation, mais je ferais appel aux estimateurs et économistes en construction. Ils peuvent aller plus dans le détail, mieux prévoir. »

 

Pour Frédéric Boisvert, les solutions ne passent peut-être pas seulement par les entrepreneurs, mais aussi par un changement structurel dans le secteur. « Je pense que ça s’en vient, notamment avec la Société québécoise des infrastructures (SQI) qui propose beaucoup d’initiatives en ce sens avec des modes de réalisation différents. » Et chez les entrepreneurs ? « Planifier, planifier, planifiernbsp; Souvent, les entrepreneurs font comme ils peuvent pour réaliser des échéanciers, mais ce qu’on voit très peu souvent, c’est l’intégration de l’estimation dans un échéancier. Une solution, c’est donc de mieux planifier les projets, avec un échéancier réalisé selon les bonnes pratiques. »

 

Les deux spécialistes recommandent tout de même de se tenir à jour avec les nouvelles technologies, quand même très utiles lors du dépôt d’une soumission. « Il faut toujours être à l’avant-garde. Par exemple, on s’en va vers une numérisation du secteur, avec le BIM et les maquettes numériques. Il faut donc acquérir ces connaissances… et mieux planifier ! », termine le trésorier de l’AEÉCQ.

 

QU’EST-CE QU’UN ÉCONOMISTE DE LA CONSTRUCTION ?

Existant depuis 1973, regroupant 200 professionnels et assurant la compétence de ses membres, l’AEÉCQ délivre deux certifications de la construction dans la province : celle d’estimateur et celle d’économiste. Qu’est-ce qui les différencie ? « L’économiste de la construction travaille généralement beaucoup plus dans les projets majeurs », précise Frédéric Boisvert. « Il est plus polyvalent ou pluridisciplinaire que l’estimateur. Il traitera aussi des domaines de connaissance comme l’économie du secteur de la construction, l’applicabilité d’un contexte économique à travers des projets et l’impact de l’échéancier sur les couts. »