Le béton à l’ère de la biocicatrisation

23 juillet 2014

Il n’est pas si loin le jour où des bactéries pourront être utilisées pour colmater les fissures dans le béton. Bienvenue dans l’univers de la biocicatrisation.

Par Rénald Fortier

 

Les fissures dans le béton sont très pénalisantes pour les structures extérieures comme les ponts, c’est bien connu, puisqu’elles permettent aux chlorures, aux sels de déglaçage et à l’humidité d’y pénétrer pour y faire corroder les barres d’armature. Si elles peuvent être colmatées en surface avec des mortiers contenant des polymères ou des résines époxy, ou encore en y injectant ces dernières, l’opération demeure onéreuse.

 

Mais une solution économique, et bien vivante il faut le dire, se profile à l’horizon : l’utilisation de bactéries qui, de par leur activité métabolique, peuvent produire du carbonate de calcium – à la manière du corail – pour former de la pierre calcaire et, ainsi, colmater le béton par biocicatrisation. Car tout le béton a la capacité de se cicatriser lui-même, du moins dans le cas de petites fissures (moins de 100 microns).

 

Un phénomène que les chercheurs visent à amplifier pour en arriver à colmater des fissures plus importantes de 300 ou 500 microns (un demi-millimètre). D’où le recours à des bactéries parce qu’elles peuvent étonnamment vivre et se reproduire dans un milieu affichant un pH élevé… comme celui du béton. Du moins après que ce matériau eut été exposé à l’atmosphère, ce qui permet d’en abaisser le pH à environ 9 et 10.

 

Les résultats obtenus en laboratoire sont à ce jour très prometteurs, à telle enseigne que la solution bactérienne pourrait être testée sur une structure extérieure d’ici quatre ou cinq ans, selon Richard Gagné, professeur au département de génie civil de l’Université de Sherbrooke, institution qui mène conjointement une recherche en ce sens avec l’École des mines de Doué, en France.

 

« Nous ne sommes pas encore rendus au point où on va vraiment utiliser des bactéries pour réparer des structures réelles, dit-il, mais ça ne saurait tarder. Il suffit alors tout simplement d’asperger avec une solution contenant des bactéries les fissures apparentes sur les parois d’une structure de béton, ou encore y injecter cette solution, pour en arriver à colmater complètement. Et ce, grâce à la formation de dépôts calcaires après avoir répété le processus deux ou trois fois sur une période de deux à trois ans.

 

« Présentement, poursuit-il, nous effectuons des tests en injectant des bactéries dans des fissures de 300 microns – un tiers de millimètre – sur des morceaux de béton. Et au bout de six mois, la fissure est parfaitement comblée. Elle a littéralement disparu. »

 

Cet expert de la durabilité des bétons fait remarquer que pour vivre et se développer dans une fissure, et ainsi former du carbonate de calcium, les bactéries doivent nécessairement être en mesure de se nourrir. C’est pourquoi, lors des essais en laboratoire, on les injecte avec un gel nourricier qui leur fournit tous les éléments leur permettant de se multiplier. « Sinon, elles mourraient tout simplement », observe-t-il, en soulignant que ces bactéries étaient non pathogènes et qu’elles ne représentaient donc pas un risque pour la santé des humains.

 

Il note également que les bactéries sont actuellement conservées dans un environnement contrôlé très confortable pour elles, à 38°C et 100 % d’humidité relative. La prochaine étape, donc en situation réelle, il va falloir évaluer si ces bactéries peuvent arriver à faire aussi bien leur travail lorsque le climat est sec durant plusieurs jours. Ou lorsqu’il fait très froid, comme chez nous en hiver.

 

Mais Richard Gagné ne s’inquiète pas outre mesure. Il précise : « C’est sûr que notre climat, comme on a des hivers assez rigoureux, les bactéries n’aiment pas ça du tout. Mais elles sont sur terre depuis des milliards d’années et on a développé des mécanismes pour survivre à de haute et basse températures. Les bactéries qui sont étudiées actuellement pour la biocicatrisation, lorsque c’est trop sec ou trop froid, elles se transforment et diminuent leur volume total pour former une spore. En fait, chacune d’elles s’emprisonne dans une petite coquille très résistante et elle va rester comme ça jusqu’à ce que les conditions redeviennent favorables. »

 

Pour lui, il est évident que l’usage de bactéries se traduirait par des économies importantes lors du colmatage de fissures. « L’approche des bactéries, ce n’est pas cher du tout, dit-il. Nous, on en achète quelques millions contenues dans un microtube de même pas un millimètre, puis on les fait se reproduire. Pour quelques dollars, on va en avoir rapidement des milliards…

 

« Et il faut considérer, conclut-il, que le produit formé par les bactéries dans la fissure, c’est de la pierre calcaire. C’est très stable dans le temps. »